MEXIQUE

Étudiants disparus au Mexique : "On ne laissera pas ces crimes impunis"

Sans nouvelles de 43 de leurs camarades disparus après avoir manifesté fin septembre, les étudiants de l’École d'Ayotzinapa, au Mexique, se sont mobilisés en début de semaine à Chilpancingo, pour faire pression sur les autorités. Une mobilisation en voie de radicalisation, explique notre Observateur, qui refuse que ces crimes restent impunis. Lire la suite…

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Les étudiants de l’École normale rurale d'Ayotzinapa ont incendié le Palais du gouvernement du Guerrero, à Chilpancingo, dont ils s'étaient emparés en fin de matinée, le 13 octobre 2014. Photo publiée sur Facebook par SubVersiones.

Sans nouvelles de leurs 43 camarades disparus après avoir manifesté fin septembre, les étudiants de l’École de Ayotzinapa, au Mexique, se sont mobilisés en début de semaine à Chilpancingo pour faire pression sur les autorités. Une mobilisation en voie de radicalisation, explique notre Observateur, qui refuse que ces crimes restent impunis.

Le 26 septembre, les étudiants de l’École normale rurale Raúl Isidro Burgos de Ayotzinapa s’étaient rassemblés à Iguala, dans l’État du Guerrero, afin de demander des moyens supplémentaires pour financer leur scolarité. Des dizaines d’entre eux avaient été emmenés par des policiers municipaux vers une destination inconnue, à la suite de violents affrontements. Six personnes avaient été tuées – dont trois étudiants – et 25 autres blessées. Quarante-trois étudiants sont portés disparus depuis cette date.

Le directeur de la sécurité de la ville d’Iguala, Felipe Florez, avait demandé à des membres du groupe criminel Guerreros Unidos d’épauler les policiers locaux dans leur intervention, selon le procureur de l’État du Guerrero. Quelques jours plus tard, deux membres de ce groupe avaient avoué le meurtre de 17 étudiants. Aucun de leur corps n’a toutefois été retrouvé pour l’instant. Afin de mener l’enquête, l’armée et la gendarmerie fédérale ont pris le contrôle d'Iguala et désarmé la police municipale. Une trentaine d’individus ont été arrêtés, dont 22 policiers locaux et des membres présumés du groupe criminel.

L’inquiétude quant au sort des disparus grandit après la découverte de fosses communes début octobre, dans les alentours d’Iguala. Le ministre de la Justice a toutefois annoncé mardi 14 octobre qu’aucun des étudiants disparus ne figurait parmi les 28 cadavres retrouvés dans ces fosses, même si des analyses ADN sont toujours en cours.

Les étudiants de l’École normale rurale d'Ayotzinapa font face aux policiers anti-émeute, le 13 octobre 2014, à Chilpancingo. Photo Twitter de @proamboax.

Les étudiants d'Ayotzinapa ont organisé une journée de protestation à Chilpancingo, la capitale de l’État du Guerrero, lundi 13 octobre 2014, afin de réclamer des actions fortes de la part des autorités. Le Palais du gouvernement de l’État du Guerrero et la mairie ont été en partie saccagés et incendiés en fin d’après-midi par les étudiants et quelques membres de la CETEG, un syndicat regroupant des travailleurs du secteur de l’éducation.

"Le gouvernement continue à nous réprimer, au lieu de dialoguer avec nous"

Esteban Gonzalez (pseudonyme), étudiant à l’École normale d'Ayotzinapa, a participé à la journée d’action à Chilpancingo, avec "300 ou 400 camarades", sur les 540 que compte l’institution. Il explique pourquoi ils ont réagi violemment lorsque les policiers sont venus les déloger du Palais du gouvernement, dont ils s’étaient emparés en fin de matinée.

On a investi le Palais vers 11 h, avec l’idée de ne laisser personne en sortir. Vers 14 h, on a laissé partir les femmes et les personnes plus âgées. Mais on a empêché les hommes de quitter le bâtiment, qu’il s’agisse des députés ou des fonctionnaires, d’où un certain nombre de tensions. Vers 17 h, des policiers anti-émeute sont arrivés sur place pour nous déloger, ce qui nous a mis en colère. Après le massacre du 26 septembre, comment est-il possible que les autorités continuent à envoyer des policiers pour nous réprimer, au lieu de dialoguer avec nous ? Il y avait également un hélicoptère qui survolait le bâtiment, à très basse altitude, peut-être pour nous filmer. La situation était donc critique. Les travailleurs du Palais ont profité de leur présence pour sortir du bâtiment à ce moment-là. Comme il n’y avait plus personne à l’intérieur, on est passé à l’action. On a ouvert la porte principale, on a cassé des vitres… Il n’y a pas eu de blessés graves. C’est la première fois qu’on fait ça, mais on sera de plus en plus radicaux si nos camarades disparus ne sont pas retrouvés.

Le 13 octobre 2014, en début d'après-midi, les étudiants ont laissé sortir les femmes du Palais du gouvernement de l'Etat du Guerrero, dont ils s'étaient emparés vers 11 h, à Chilpancingo. Photo Twitter de @proamboax.

Outre le Palais du gouvernement et la mairie, le Congrès local a également été encerclé en fin de matinée par des membres de la CETEG. Ils ont été chassés par les policiers avant d’avoir pu investir les lieux.

Face aux dégâts provoqués par les étudiants, le secrétaire général du gouvernement du Guerrero, Jesús Martínez Garnelo, a dénoncé "l’intolérance et le déchaînement violent" de ces derniers, et indiqué que la protection des bâtiments officiels serait renforcée. Il a néanmoins précisé que les recherches visant à retrouver les disparus continuaient.

"On ne veut pas que cette affaire reste impunie"

Dans un pays gangréné par la violence liée au crime organisé, les étudiants de l’École normale d'Ayotzinapa craignent que la disparition de leurs camarades ne reste impunie.

On voulait mettre la pression sur les autorités pour que les recherches des étudiants disparus s’accélèrent et que les responsables du massacre du 26 septembre soient punis. Cette affaire nous affecte beaucoup, on en parle beaucoup en classe. Après le 12 décembre 2011 [ndlr : deux étudiants de la même école avaient été assassinés lors d’une journée d’action], les coupables n’ont jamais été punis. On ne veut pas que cela se reproduise.

On ne fait pas confiance aux autorités – étatiques et fédérales – parce qu’elles avaient déjà connaissance des liens entre le groupe criminel Guerreros Unidos et la municipalité d’Iguala, mais elles n’ont rien fait. [Selon un rapport du renseignement mexicain (Cisen), le maire est lié au crime organisé à travers sa belle-famille, NDLR.] Du coup, on s’organise pour effectuer nos propres recherches pour retrouver nos camarades, à Iguala et dans les alentours de la ville.

Les soupçons de collusion entre les autorités locales et le crime organisé ont été renforcés par la fuite du directeur de la sécurité d’Iguala, Felipe Florez, du maire de la ville et de son épouse, José Luis Albarca et Maria de los Angeles Pineda, début octobre. Au Mexique, les institutions locales sont fréquemment infiltrées par les cartels de la drogue.

Par ailleurs, la mobilisation continue au Mexique afin de réclamer le retour des 43 étudiants disparus. Le 14 octobre, une nouvelle manifestation à Chilpancingo a rassemblé les familles et les amis des disparus. Une grève de 48 h est également organisée jusqu’à aujourd’hui au sein de plusieurs universités du pays.

Une pétition circule actuellement sur Internet afin de réclamer la destitution du gouverneur de l’État du Guerrero, Ángel Aguirre Rivero, demande rejetée par le Sénat mexicain jusqu’à présent.

 

Le 14 octobre 2014, une autre manifestation a eu lieu à Ometepec, dans l'État du Guerrero, en soutien aux étudiants de l'Ecole normale d'Ayotzinapa. Vidéo prise par Juancho69.

Cet article a été rédigé en collaboration avec Chloé Lauvergnier (@clauvergnier), journaliste à France 24.