ÉTATS-UNIS

Des Hawaïens se mobilisent contre un télescope qui menace leur volcan sacré

Ce jour d’octobre devait être un moment de célébration pour les astronomes avec la pose de la première pierre du plus grand et performant télescope du monde à Hawaï. Mais des locaux et des défenseurs de l'environnement, opposés à son édification sur un volcan sacré, en ont décidé autrement. Lire la suite...

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Des manifestants devant le Mauna Kea, volcan sacré d'Hawaï, où un nouveau télescope géant doit être construit. Photo Kerri Petersen Marks publiée sur Facebook.

Ce jour d’octobre devait être un moment de célébration pour les astronomes avec la pose de la première pierre du plus grand et performant télescope du monde à Hawaï. Mais des locaux et des défenseurs de l'environnement, opposés à son édification sur un volcan sacré, en ont décidé autrement.

Mardi dernier, un groupe d’environ 300 personnes, originaires d’Hawaï mais également d’autres États américains et d’autres pays, défenseurs de l’environnement, activistes ou scientifiques, se sont réunis au pied du Mauna Kea, un des plus anciens volcans d’Hawaï. Après avoir récité des prières traditionnelles, une partie du groupe a entrepris l’ascension de la montagne pour bloquer l’accès au sommet où avait lieu une cérémonie d’inauguration du projet "Thirty Meter Telescope" [TMT ou "télescope de trente mètres de diamètre"] réunissant des astronomes, politiques et personnalités du monde entier.

Pendant quelques heures, les manifestants ont bloqué les routes menant au lieu de conférence, alors que tous les invités n’étaient pas encore arrivés. Ils ont pratiqué des danses et chants traditionnels hawaïens jusqu’à ce que les autorités interviennent. Il n'y a pas eu d' arrestation, mais la cérémonie a dû être écourtée. Sa diffusion en direct sur Internet a également été annulée, déclenchant la colère des passionnés de sciences.

Chants traditionnels hawaïens lors du blocage du mardi 7 octobre. Vidéo publiée sur Facebook par Tina Floyd.

Les manifestants dénoncent la violation d’un territoire sacré : pour eux, le Mauna Kea symbolise le lien entre le ciel et la terre. Dans la mythologie hawaïenne, le dieu du ciel et la déesse mère ont donné naissance aux îles d’Hawaï, et le Mauna Kea est considéré comme leur "premier enfant". Ce sommet est selon la tradition la "région des dieux ", source de toute vie humaine et naturelle.

Les manifestants ont empêché l'accès à ceux qui voulaient se rendre à la cérémonie d'inauguration du télescope. Certains touristes ont pu cependant passer selon nos Observateurs. Photo Occupy Hilo.

"Ces travaux perturbent l'écosystème et rentrent en conflit avec nos traditions"

Hawane Rios est une chanteuse et activiste originaire d’Hawaï. Elle participe aux rassemblements depuis 2010 et était à la manifestation du mardi 7 octobre.

Je me suis rendue plusieurs fois au Mauna Kea pour des cérémonies rituelles. C’est un endroit qui m’a permis de me construire. Je viens d’un peuple hawaïen qui a parcouru notre île en suivant les étoiles. L’astronomie est une partie importante de notre culture, mais il est complètement absurde pour nous que cette activité ait des conséquences sur la nature. Voir ces gros blocs sur le sommet est un crève-cœur pour moi.

Notre principale crainte est que la construction de ce nouveau télescope ait des conséquences irréversibles sur l’écosystème dans des zones où la main de l’homme n’avait pas encore fait de dégâts. La victime principale serait "l’insecte du sommet" [Nysius wekiuicol - lien en anglais], une espèce unique qui vit dans les roches volcaniques de cette montagne. En plus d’avoir un intérêt scientifique, son corps pouvant vivre jusqu’à -20° Celsius, il est nécessaire à l’équilibre végétal du sommet. Mais le sort de cet insecte n’est qu’un exemple des dégâts plus généraux qu’il pourrait y avoir avec la construction de ce télescope : nous craignons également que les travaux retiennent la fonte des neiges qui permet d’alimenter les bassins en contrebas du volcan. Perturber cet écosystème va à l'encontre de ce en quoi nous croyons.

Dans notre culture, nous somme pacifiques, et s’opposer à un projet, quel qu’il soit, est une épreuve. Cette action était la première d’envergure à laquelle je prenais part. Au-delà de la communion entre tous les manifestants, je suis fière d’avoir vu des jeunes, des vieux, des Hawaïens et des non-Hawaïens se réunir pour défendre ce que nous aimons.

Sur le volcan, les Observatoires de Mauna Kea sont déjà édifiés, avec une douzaine de télescopes. Le flanc nord, pour l'instant épargné, accueillerait le nouveau télescope géant.

"Ces mobilisations témoignent du fossé entre les natifs hawaïens et leur gouvernement"

La mobilisation n’est pas simplement le fait de natifs d’Hawaï. Kerri Petersen Marks est une journaliste citoyenne américaine qui habite depuis quatorze ans à Hilo, ville proche du volcan.

Il y a eu par le passé des manifestations de rue, des prières… mais ce qu’il s’est passé ce jour-là était un moment unique dans l’histoire de la mobilisation. J’ai fait une partie de l’ascension du volcan, qui était une vraie expédition sportive, car notre corps a dû s’habituer à l’altitude. Une fois en haut, nous avons découvert que les organisateurs de l'inauguration avaient prévu une cérémonie traditionnelle pour se donner bonne conscience. Mais lorsque l’un des leaders de notre mobilisation est arrivé, vêtu d’habits traditionnels, la rencontre entre les deux mondes a fait éclater au grand jour que des natifs d’Hawaï ne sont pas d’accord avec ce projet.

A la 30ème seconde de la vidéo, Joshua Lanakila, un des leaders de la manifestation, fait irruption sur le lieu de la cérémonie et l'interrompt. Après avoir exprimé son mécontentement, des natifs improvisent une séance de prière avant de regagner les chaises prévues pour accueillir les invités (dernière minute de la vidéo).Vidéo David Corrigan  pour Big Island VIdeo News.

Ces mobilisations témoignent du fossé qui existe entre les natifs hawaïens et leur gouvernement : même si cela ne se traduit pas violemment, certains Hawaïens estiment que leur terre est occupée illégalement par les Américains [Hawaï a été annexé en 1898 par les États-Unis et est devenu le 50ème État du pays ; des groupes indépendantistes contestent la légalité de cette annexion NDLR]. Pour eux, ce projet symbolise cette occupation et méprise les croyances sacrées qui soudent la communauté.

La police a eu l'ordre de n'arrêter aucun manifestant. Photo Kerri Petersen Marks pour Occupy Hilo.

"La phase de construction est en marche, quoi qu’il arrive" pour l’équipe du télescope

Décidée dans les années 1990, la construction du télescope géant (TMT) – large comme un terrain de football, avec des miroirs de 30 mètres de diamètre permettant d’explorer l’univers à une portée 10 fois supérieure aux télescopes actuels - coûtera 1,4 milliard de dollars (1,1 milliard d’euros). Il est financé par plusieurs centres de recherche canadiens et américains. Le télescope devait être terminé d’ici 2018, mais sa construction a pris du retard, en partie parce que de la neige a repoussé le début des travaux au printemps prochain. Il devrait être finalement opérationnel en 2022.

Contacté par France 24, Sandra Dawson, manager du TMT, explique : "Nous regrettons que la cérémonie de bénédiction, en respect des traditions hawaïennes, ait été avortée ; plusieurs documents ont été validés par des représentants natifs d’Hawaï, notamment ceux prouvant l’impact limité de la construction du TMT sur l’environnement. Pour nous, la phase de construction est en marche, quoi qu’il arrive". Si des manifestants natifs d’Hawaï ont effectivement été associés aux discussions, ces derniers estiment que leurs arguments n’ont pour l’heure pas été pris en compte.

 

Cet article a été rédigé en collaboration avec Alexandre Capron (@alexcapron), journaliste à FRANCE 24.