À Hô Chi Minh, le patrimoine colonial balayé
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C’est "l’une des plus belles villas construite à l’époque coloniale française", selon nos Observateurs. Actuellement en vente, elle pourrait être détruite pour laisser place à des projets immobiliers. Un exemple parmi beaucoup d’autres d’un pan du patrimoine vietnamien qui disparaît.
C’est "l’une des plus belles villas construite à l’époque coloniale française", selon nos Observateurs. Actuellement en vente, elle pourrait être détruite pour laisser place à des projets immobiliers. Un exemple parmi beaucoup d’autres d’un pan du patrimoine vietnamien qui disparaît.
La villa quasi centenaire de 2800 mètres carrés est située dans un quartier du centre de Hô Chi Minh. Elle appartient à un couple de retraités vietnamiens qui cherche à la vendre depuis cinq ans. Le prix initial de vente du terrain de 47 millions de dollars (37 millions d’euros) a été revu à la baisse. Il ne vaut aujourd’hui plus que 35 millions de dollars (27 millions d’euros).
Selon des experts immobiliers interrogés par la presse vietnamienne, le futur acquéreur de cette maison devra "construire un centre commercial ou des bureaux à louer s’il veut rentabiliser son investissement ". Des déclarations qui inquiètent plusieurs collectifs vietnamiens de défense du patrimoine qui estiment que cette pièce "fait partie de l’histoire vietnamienne.
SAIGON VILLA from Fabrice Turri on Vimeo.
Fabrice Turri, un Français à Hô Chi Minh, avait filmé plusieurs villas françaises, dont celle menacée de destruction. Des photos de la demeure sont également visibles ici.
Cette maison n’est que le dernier exemple de nombreux cas de bâtiments touchés par l’expansion de la ville. Avec une croissance qui approche les 10%, Hô Chi Minh a besoin de nouveaux espaces. C’est ainsi que les anciens bâtiments font souvent place à des gratte-ciel ou des immeubles modernes.
"Esthétiquement parlant, les nouveaux bâtiments sont une catastrophe"
Les actions pour tenter d’enrayer cette tendance ne sont pas légion, mais elles existent. Do Thi Tuyet Mai est une artiste vietnamienne qui habite Saïgon depuis 40 ans. Elle fait partie d’un collectif d’artiste "3A" qui a racheté et réhabilité un bâtiment de l’ère coloniale pour en faire une galerie d’art.Nous avons transformé le bâtiment construit en 1868 par les services de renseignement français pour qu’il accueille régulièrement des expositions [le bâtiment a aussi été utilisé par la CIA puis comme prison et comme camp militaire, NDLR]. Avant que nous proposions ce projet, il était question qu'il soit détruit. À notre manière, on tente de préserver un pan de l’histoire vietnamienne. C’est pour l’instant le seul endroit que nous avons réussi à réhabiliter, mais nous avons bon espoir de créer d’autres ateliers comme celui-ci sur le port de Hô Chi Minh.
Ce sont des questions qui sont très sensibles car les Vietnamiens sont partagés sur ces questions : certains voient dans ces bâtiments un "héritage colonial" douloureux et ne se sentent pas concernés par leurs destructions. Pour ma part, je trouve qu'esthétiquement parlant, les constructions qui remplacent ces bâtiments coloniaux sont souvent une catastrophe.
Mardi matin, je passais à côté de Ba Son, un ancien arsenal situé sur le port d’Hô Chi Minh, et j’ai vu qu’une partie du toit des bâtiments datant de l’époque coloniale française, commençaient à être enlevés. Ce sont des monuments que j’ai vus toute ma vie, qui font partie du paysage. Les voir être détruits est un crève cœur pour moi.
Photo de Ba Son, prise il y a 6 mois, au port de Hô Chi Minh, actuellement détruit. Photo Instagram Alexandre Garrel.
Selon le centre de prospective et d’études urbaines (PADDI), un projet français de coopération décentralisé à Hô Chi Minh, la ville comptait 377 villas françaises principalement présentes dans deux districts différents. Cinquante six de ces bâtiments ont été soit démolis, dégradés ou significativement altérés ces dix dernières années. Selon certains experts, à ce rythme, la quasi totalité des bâtiments de l’époque coloniale pourraient être détruits d’ici une dizaine d’années.
"Beaucoup de bâtiments peuvent susciter des débats sur l’époque coloniale : les autorités veulent éviter ces questionnements"
C’est en partie sur les réseaux sociaux que des discussions autour de la préservation du patrimoine vietnamien s’organisent. Tim Doling, historien et écrivain anglais, habite à Hô Chi Minh. Il est membre du groupe Facebook Saïgon-Chợ Lớn Then & Now où il publie régulièrement des photos de lieux de Hô Chi Minh prises aujourd’hui et il y a plusieurs décennies.Diaporama : cliquez sur "plein écran" pour voir les photos et la description
Cet article a été rédigé en collaboration avec Alexandre Capron (@alexcapron), journaliste à FRANCE 24.Certains bâtiments comme la poste ou la cathédrale sont protégés, mais ces monuments sont l’arbre qui cache la forêt. Il n’y a eu aucun inventaire complet réalisé par les autorités vietnamiennes des anciens bâtiments et donc aucune protection. Pour avoir beaucoup fréquenté les autorités, j’ai le sentiment que promouvoir le centre ville comme destination pour le tourisme culturel n’est pas une priorité. Par ailleurs, beaucoup de bâtiments peuvent soulever des débats liés aux périodes coloniales française et américaine. C’est précisément ce type de questions sensibles que les autorités veulent éviter.
L’objectif est très clair : transformer Hô Chi Minh ville en un grand hub commercial, avec des gratte-ciel et des centres commerciaux. Il y aurait pourtant beaucoup d’argent à faire en préservant tous ces bâtiments et en développant le tourisme, en créant un grand musée dans un des bâtiments par exemple.
Je ne suis pas un activiste, je n’ai pas l’intention d’appeler les gens à s’opposer physiquement à ces projets de destruction. Ça serait malaisé de la part d’un "étranger". Cependant, je remarque que notre groupe Facebook devient de plus en plus populaire, et surtout qu’il y a beaucoup plus de Vietnamiens que d’étranger pour débattre de l’importance de préserver ce patrimoine.