PÉROU

Le safari humain, une menace pour les Indiens Mashco Piro du Pérou

La tribu des Mascho Piro, une ethnie indienne isolée de l’Amazonie péruvienne, est l’objet ces derniers mois d’incursions touristiques organisées clandestinement par des tours opérateurs locaux. Face à cette pratique illégale, dégradante et dangereuse, notre Observateur tire la sonnette d’alarme.

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Des missionnaires évangélistes au contact de jeunes Mascho Piro. Photo prise par la Fenamad.

La tribu des Mascho Piro, une ethnie indienne isolée de l’Amazonie péruvienne est l’objet, ces derniers mois, d’incursions touristiques organisées clandestinement par des tours opérateurs locaux. Face à cette pratique illégale, dégradante et dangereuse, notre Observateur tire la sonnette d’alarme.

La communauté des Mascho Piro compte aujourd’hui quelque 600 âmes qui vivent dans la réserve de Madre de Dios, dans le sud-est du Pérou. Cette zone protégée, située en plein parc national de Manù et inscrit au patrimoine mondial de l’Unesco, est difficilement accessible et les contacts avec la tribu sont formellement interdits par les autorités péruviennes. Les Mascho Piro constituent une des quinze ethnies indiennes du Pérou coupées du monde extérieur, et l'une des cent dernières dans le monde. Les Indiens isolés sont en effet particulièrement vulnérables face à des maladies communes telles que la grippe ou la rougeole, lesquelles ont anéanti des tribus entières dans le passé.

Les ouvriers du pétrole – le gouvernement péruvien a cédé plus de 70 % de sa forêt amazonienne à des compagnies pétrolières - et les bûcherons illégaux représentent une autre menace à laquelle sont confrontés les peuples indigènes du Pérou. Au début des années 1980, la prospection pétrolière menée par la compagnie Shell a conduit à des contacts avec la tribu isolée des Nahua. En quelques années, environ la moitié d’entre eux sont morts.

Mais, depuis quelques mois, ce sont les activités des opérateurs touristiques établis dans la ville voisine de Cuzco qui inquiètent. De manière occulte – au Pérou, cette pratique est passible d’une peine d’emprisonnement -, ceux-ci proposeraient à leurs clients en mal d’exotisme des circuits garantissant, contre une forte somme d’argent, un contact avec des tribus locales et méconnues.

Embarcation avec à son bord un groupe de touristes. Photo prise par la Fenamad.

"Les agences de tourisme réalisent un excellent chiffre d’affaires grâce à cette pratique"

Hector Sueyo est conseiller technique à la Fenamad, une organisation de défense des droits des peuples indiens. Il vit dans la réserve de Madre de Dios.

Les safaris humains dans cette région de l’Amazonie ne sont pas nouveaux. Il y a deux ans déjà, j’avais alerté les pouvoirs publics du danger qu’ils représentent. Malheureusement, ma demande est restée lettre morte. Si depuis quelques mois le problème refait surface, c’est parce qu’entre mai et octobre, une période qui correspond à la saison sèche dans la jungle péruvienne, les tribus sont plus visibles. Elles viennent souvent ramasser des œufs de tortues au bord de la rivière.

Les photos que la Fenamad a prises pour dénoncer ces pratiques et qui ont été publiées sur sa page Facebook datent du 9 septembre. Ce jour-là, un de nos membres a accompagné une patrouille de surveillance dans une des zones interdites. Ensemble, ils ont découvert une embarcation appartenant à un voyagiste de Cuzco avec un groupe de personnes à bord. Un peu plus loin, sur la rive, se trouvaient des missionnaires évangélistes aux côtés de jeunes Mascho Piro. À quelques mètres d'eux, on pouvait voir des tas de vêtements de type occidental. Interrogés par les patrouilleurs sur leur présence et leurs intentions en ce lieu, les missionnaires ont soutenu qu’ils étaient seulement venus apporter des bananes à la communauté et que les vêtements avaient été apportés par d’autres touristes avant eux.

Enfants Mascho Piro portant des t-shirts. Photo prise par la Fenamad.

 

"Ils sont coupés de tout contact extérieur, du coup la moindre grippe peut s’avérer fatale"

Outre leur caractère humiliant, ces visites représentent une menace pour la survie des Mashco Piro. Coupés de tout contact extérieur, ils n’ont aucune immunité et la moindre grippe peut s’avérer fatale. Mais certaines agences de tourisme peu scrupuleuses n’en ont cure, le safari humain étant pour eux une véritable poule aux œufs d’or. D'après les informations que j'ai obtenues, la traversée coûte en moyenne 1 500 dollars [environ 1 200 euros].

De plus, les touristes viennent souvent avec de la nourriture, un geste qui plaît aux Indiens mais qui leur donne de mauvaises habitudes. Quand les patrouilleurs ou d’autres personnes autorisées se rendent dans la réserve sans la moindre victuaille, il arrive que les Mascho Piro leur réservent un accueil très hostile [Récemment, un groupe de Mascho Piro munis d’arcs et de flèches s’en est pris à des patrouilleurs pour cette raison].

Indiens Mascho Piro portant des cache-sexes. Photo prise par la Fenamad.

Contacté par France 24, le ministère péruvien de la Culture, chargé de la protection des Indiens isolés, affirme que les gardes forestiers n'ont pas les effectifs suffisants pour surveiller l'ensemble du parc de Manu, qui s'étend sur près de 2 millions d'hectares, d'où l'existence, selon le ministère, de ces safaris sauvages.

Billet rédigé avec la collaboration de Grégoire Remund (@gregoireremund), journaliste à France 24.