FRANCE

Tubuai, île polynésienne en lutte pour sauver son lagon de l’intoxication

Les travaux lancés, cette année, dans le petit port de Tubuai, rencontrent l’opposition farouche des pêcheurs et des associations écologistes. Leur crainte : que cette activité sous-marine ne répande une microalgue toxique pour les poissons du lagon et catastrophique pour l’environnement.

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Maurice Tehoiri, président d'une association de défense de l'environnement, montre au loin ce qu'il affirme être une "coulée de boue" due aux travaux dans le port de Tubuai.Photos Thierry Teipoarii.

Les travaux lancés, cette année, dans le petit port de Tubuai, rencontrent l’opposition farouche des pêcheurs et des associations écologistes. Leur crainte : que cette activité sous-marine ne répande une microalgue toxique pour les poissons du lagon et catastrophique pour l’environnement.

Tubuai est l’une des six îles de l’archipel des Australes de Polynésie française. Dès 2011, le gouvernement avait annoncé des travaux d’élargissement et de déroctage du chenal pour 2014 en vue d’accueillir un nouveau bateau plus gros, le Tuhaa Pae 4, qui permettrait d’acheminer davantage de marchandises et de touristes sur l’île. Selon le ministère de l’Équipement de la Polynésie française, ces travaux sont nécessaires pour garantir la sécurité des équipages et les traversées du chenal par mauvais temps.

"Ces travaux vont provoquer une épidémie de ciguatera qui mettra une vingtaine d’années à disparaître"

D’abord totalement opposées au projet, des associations environnementales, des pêcheurs locaux et des responsables de l’Église protestante Maohi, très impliquée dans la défense de l’environnement, ont fini par accepter les travaux à certaines conditions. Ils demandent de protéger la faune et la flore avec l’installation de protections pouvant retenir la boue issue des creusements, et la limitation des zones de travaux. Mais très vite, Daniel Tere, représentant de Tomite Rava'ai Ui Api, une association de pêcheurs de Tubuai, constate des trainées de boue au large du lagon.

Selon les associations de Tubuai, des coulées de boue (couleur bleue claire dans la mer) seraient visibles depuis le début des travaux. Photo envoyée par Thierry Teipoarii.

Ces trainées jaunes que vous voyez sur les images signifient que les barrières de protection ne retiennent pas la boue. Ces fuites s’étalent sur les abris des poissons pouvant à terme provoquer leur asphyxie. Mais le pire, c’est que cette boue abîme les coraux du lagon, très fragiles. La destruction des coraux entraîne la prolifération d’une microalgue, la ciguatera, dont le nom rappelle des souvenirs douloureux aux habitants de Tubuai.

La ciguatera est une microalgue qui prolifère dans les lagons où les coraux sont détruits. Les petits poissons herbivores qui mangent ces algues sont intoxiqués et infectent à leur tour les plus gros poissons. Mangé par l’homme, ces poissons provoquent la ciguatera [ou gratte, NDLR] qui se caractérise par des malaises, des démangeaisons généralisées et de fortes diarrhées.

En 1992, Tubuai a été frappée par un cyclone qui avait détruit les coraux et déclenché une épidémie de ciguatera. J’ai moi-même attrapé cette maladie en 1994 et suis resté trois mois alité. La maladie met des dizaines d’années à disparaitre d’un lagon et malgré notre vigilance, au début des années 2000, deux personnes sont décédées de la ciguatera [la maladie n’est que très rarement mortelle, NDLR]. Nous faisons régulièrement des contrôles, et à la fin de l’année dernière, la maladie avait quasiment disparu. On craint que ces travaux ne réactivent l’épidémie, et personne ne veut repartir pour vingt ans de ciguatera à Tubuai.

Des membres d'association de Tubuai refusent de quitter les lieux des travaux, malgré l'intervention de la police. Photo publiée sur Facebook.

"Nous sommes prêts à manifester en mer si le projet ne s’arrête pas"

Une pétition de 600 signatures (sur une population de 2000 habitants à Tubuai) a été présentée aux autorités polynésiennes, mais est resté sans réponse. Si bien que début septembre une cinquantaine d’habitant ont décidé de se relayer pour bloquer l’accès du port aux ouvriers de l’entreprise Boyer, qui réalise les travaux.

Pêcheurs et défenseurs de l'environnement se relaient de 5h à 17h tous les jours depuis mercredi 10 septembre pour bloquer l'accès au port aux ouvriers.

Du côté de l’entreprise, on affirme que les travaux ont été effectués en suivant le cahier des charges transmis par le ministère de l’Équipement. Mais les quinze ouvriers n’ont pas pu reprendre les travaux. La Dépêche de Tahiti affirme que les pertes se chiffreraient à "plusieurs millions de francs pacifiques" [environ un million d'euros]. Des informations qui n’émeuvent pas Daniel Tere :

On nous parle de perte de millions de francs, mais si une épidémie de ciguatera se déclenche de nouveaux, ça ne sera pas des millions, mais des milliards que la sécurité sociale devra dépenser pour soigner les gens. À Tubuai, la préservation de la nature est la priorité absolue, au dessus des intérêts économiques. La population ne veut pas payer pour des études qui ont été mal faites. Si le projet continue, nous sommes prêts à aller manifester en mer avec nos pirogues pour empêcher les machines de creuser.

Ça fait 30 ans que je pêche, et même lors des cyclones de 1992 ou de 2010, je n’avais pas vu les coraux abimés de la sorte. Aujourd’hui, on a le sentiment que les autorités nous ont menti pour lancer une politique de grands travaux qui satisfait des intérêts économiques. J’ai une trentaine de pêcheurs dans mon association qui risquent d’être au chômage technique du jour au lendemain. Je veux pouvoir les regarder en face et leur dire qu’on s’est battu jusqu’au bout.

Maurice Tehoiri, président d'une association de défense de l'environnement de Tubuai, montre ce qu'ils estiment être des travaux réalisés dans des zones interdites.

Le "flou politique" en Polynésie française retarde les discussions

La Polynésie française traverse actuellement une crise politique depuis que Gaston Flosse a été demis de ses fonctions de président le 5 septembre et de sénateur le 16 septembre. Difficile pour les militants de trouver un interlocuteur dans ce "flou politique "explique Daniel Tere.

L’actuel ministère de l’Équipement de Polynésie française, contacté par France 24, nous a confirmé être en attente de la constitution de la nouvelle équipe pour communiquer sur le sujet. La précédente équipe avait opté pour une politique de fermeté à l’égard des pêcheurs affirmant que "toutes les études nécessaires avaient été faites" et que les travaux étaient dans "l’intérêt des populations".

Vidéo résumant les problèmes à Tubuai avec des interviews de Franck teinauri, Daniel Tere, et Maurice Tehoiri, trois représentant des manifestants. Vidéo filmée par Thierry Teipoarii, avec l'aimable autorisation de LaDepeche.pf

Cet article a été rédigé en collaboration avec Alexandre Capron (@alexcapron), journaliste aux Observateurs de FRANCE 24.