Abu al-Fawz, l’artiste syrien qui "peint à même la mort"
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La guerre en Syrie s’enlise et les habitants apprennent à vivre dans ce nouveau quotidien, entre explosions de violence et raids aériens, fait de déplacements d’abri en abri où ils manquent de tout. Et c’est précisément de ce décor chaotique qu’un artiste s’est inspiré, en donnant une nouvelle vie aux obus et aux douilles qui jonchent le sol de Douma, sa ville assiégée.
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Akram Abu al-Fawz (ou Mohamad Duma) peint sur des restes d'obus dans un style traditionnel de Damas. Toutes les photos de l'article sont publiées sur la page Facebook de Mohamad Duma.
La guerre en Syrie s’enlise et les habitants apprennent à vivre dans ce nouveau quotidien, entre explosions de violence et raids aériens, fait de déplacements d’abri en abri où ils manquent de tout. Et c’est précisément de ce décor chaotique qu’un artiste s’est inspiré, en donnant une nouvelle vie aux obus et aux douilles qui jonchent le sol de Douma, sa ville assiégée.
Située à environ dix kilomètres du centre de Damas, Douma compte de nombreux opposants à Bachar al-Assad, sympathisants de la rébellion. Ses 50 000 habitants, dont l’artiste Akram Abu al Fawz, en ont déjà lourdement payé le prix. En 2012, des forces gouvernementales ont affronté des rebelles de l’Armée syrienne libre (ASL), transformant les rues en champ de bataille. La maison d’Akram Abu al-Fawz a été incendiée par les troupes du régime et comme beaucoup d’autres habitants, il a dû fuir dans une autre partie de la ville avec sa famille.
Si l’armée syrienne a remporté une première manche, les combats ont repris un peu plus tard la même année, tournant cette fois à l’avantage de l’ASL, qui a repris la zone. Les rebelles ont depuis gardé le contrôle sur Douma et le régime a répondu en organisant un blocus de la ville. La zone est régulièrement bombardée par l’armée gouvernementale contraignant les habitants à changer régulièrement d’abris.
En août 2013, c’est aussi à Douma que le régime a commis, selon des opposants, une attaque à l’arme chimique, celle qui faillit décider les États-Unis à intervenir en Syrie avant qu’ils ne fassent marche arrière. Puis les combats se sont poursuivis. Le mois dernier, douze personnes dont un enfant ont été tuées dans le bombardement d’un marché par l’armée gouvernementale. Ce ne sont là que les derniers développements du drame qui touche la ville, comme beaucoup d’autres en Syrie. En mai 2014, l’Organisation mondiale de la Santé estimait que 22 600 personnes nécessitaient des soins médicaux d’urgence à Douma, soit près de la moitié de la population.
Akran Abu al-Fawz utilise un style de peinture traditionnel de Damas pour transformer les pièces d'artillerie en œuvre d'art.
"Avant je peignais sur du verre. Maintenant, je peins sur la mort"
Akram Abu al-Fawz, aussi connu sous le nom de Mohamad Dum, est peintre à Douma où il vit avec sa famille.
Ici, les raids sont quasi-quotidiens et le blocus paralyse la ville, ce qui fait que le prix de la nourriture est exorbitant. Depuis près de deux ans, nous sommes coupés de toute possibilité de recevoir des soins et de la plupart des communications. Nous vivons sans électricité et sans eau courante. Comme beaucoup, je suis donc contraint de travailler à la lumière d’une bougie, parce qu’il n’y plus ni pétrole, ni courant.
La situation nous coûte à tous. J’ai trois enfants et leur enfance a été détruite par cette guerre, il n’y a pas de place dans leur cœur pour jouer et être heureux. Mais bien que la vie soit dure, je ressens un profond désir, un besoin même, de continuer à peindre et dessiner. La différence, avec la vie d’avant la guerre, c’est que je peignais sur du verre. Maintenant je peins à même la mort. Je dis ça parce que je peins sur des objets qui ne sont autres que les restes de la guerre. La plupart des obus et des missiles que j’utilise proviennent des raids de l’aviation du régime ou d’armes lourdes. J’utilise aussi des pièces défectueuses provenant de l’usine de munition de l’ASL. Ils les jettent, alors je les ramasse et je les utilise pour mes créations.
Akram Abu al-Fawz craint de bientôt manquer de peinture. En raison de blocus sur Douma, il n'est pas sûr de pouvoir se procurer à nouveau de quoi poursuivre son travail artistique. "Il y a des artistes en Syrie, pas seulement des combattants."
"Il y a des artistes en Syrie, pas seulement des combattants"
Je les décore dans un style de peinture qui s’appelle "Vieux Damas oriental". Ce style est en voie de disparition mais j’essaie de le faire survivre. La peinture que j’utilise est vieille, je l’utilisais déjà avant la révolution pour peindre sur verre. Aujourd’hui, mes réserves sont presque vides, et je ne peux pas m’en acheter à cause du blocus et des prix très élevés.
Je suis très fier de mon travail et de la façon dont la nouvelle s’est répandue. Je n’aurais jamais pensé que les gens pourraient être aussi enthousiastes à la vue de mon art ! Je suis également très fier de porter haut les couleurs de ma ville sur les réseaux sociaux et dans des médias arabes et internationaux
La Syrie était célèbre pour la beauté de ses vieilles ruelles et de ses maisons décorées de peintures et dessins traditionnels. Mais tout ce qu’on voit aujourd’hui sont des images de la guerre. Je veux montrer que, dans ma ville et en Syrie et en général, il y a des artistes, pas seulement des combattants. Chacun se bat à sa manière contre le régime.”
Une des oeuvres d'Akram Abu al-Fawz.
Article écrit en collaboration avec Brenna Daldorph (@brennad87), journaliste à France 24.