IRAK

Doutes sur la volonté de l’EIIL de pratiquer l’excision

Une représentante de l’ONU en Irak a affirmé jeudi matin que l’autoproclamé Etat islamique avait ordonné dans une fatwa l’excision de toutes les femmes et jeunes filles de la région de Mossoul, qu’ils contrôlent depuis la mi-juin. Une perspective effrayante sauf que... le document sur lequel s’appuie Jacqueline Badcock pourrait bien être un faux, qui circule en ligne depuis plusieurs mois. Lire notre décryptage…

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Extrait d'un faux, présenté comme une fatwa de l'autoproclamé État islamique.

Une représentante de l’ONU en Irak a affirmé jeudi matin que l’autoproclamé Etat islamique avait ordonné dans une fatwa l’excision de toutes les femmes et jeunes filles de la région de Mossoul, qu’ils contrôlent depuis la mi-juin. Une perspective effrayante sauf que... le document sur lequel elle s’appuie pourrait bien être un faux, qui circule en ligne depuis plusieurs mois.

"C'est quelque chose de nouveau pour l'Irak, particulièrement dans cette région, de très préoccupant" s’est alarmé Jacqueline Badcock, en charge du bvuraeu de l’ONU à Erbil, au Kurdistan irakien, proche de Mossoul, lors d’une visioconférence avec des représentants onusiens à Genève, ajoutant que 4 millions de femmes seraient ainsi menacées d’excision.

La perspective est effrayante, mais elle a vite soulevé de sérieux doutes sur les sources de Mme Badcock. En effet la veille, mercredi, un document avait commencé à circuler sur les réseaux sociaux. Il est présenté comme une fatwa émise par l’EIIL qui ordonne que toutes les femmes des territoires sous son autorité devront être excisées.

La fausse fatwa qui a circulé de nouveau depuis merecredi. Le mot "calife" est entouré à la cinquième ligne.

Or ce document est un faux. D’abord, il a déjà circulé sur les réseaux sociaux en 2013. Selon des internautes qui ont décortiqué le document, deux éléments montrent qu’il date : en haut à droite, la date correspond à celle de 11 juillet 2013 et à gauche, il est fait référence aux villes syriennes d’Alep et Azaz, que l’autoproclamé État islamique contrôlait à l’époque et dont il a depuis été délogé.

Par ailleurs, le document fait référence au chef de l’organisation "Abubakar Al Baghdadi", en tant que "calife". Sauf que celui-ci s’est autoproclamé " calife" seulement au début du ramadan 2014 et que ce terme ne faisait pas partie du vocabulaire officiel de l’organisation avant cette date. Enfin, le tampon en bas à gauche ne comporte pas de signature manuscrite. Beaucoup d’habitants des régions concernées par la fatwa avaient par ailleurs assuré n’en avoir jamais entendu parler.

De manière générale, l’excision n’est pas une pratique répandue au Moyen-Orient, et n’est pas mentionnée dans le Coran. Cette pratique concerne essentiellement des régions d’Afrique subsaharienne. Et il est donc peu probable que les djihadistes décident de la faire appliquer à des millions de femmes sous leur autorité.

Il n’est pas possible pour le moment de savoir si la représentante de l’ONU s’est basée sur ce document pour faire ses déclarations. Néanmoins, le document ayant recommencé à circuler très récemment, ce scénario est possible, ainsi que le confirme le spécialiste du Moyen-Orient Charles Lister, membre du Brookings Doha Center, interrogé par FRANCE 24. "On ne peut pas dire à 100 % que la représentante de l’ONU se soit basée sur ce document, mais c’est assez probable : le document est réapparu en ligne mercredi après-midi, ce qui aurait pu laisser assez de temps pour qu’il attire l’attention du personnel de l’ONU en Irak. Ca serait une grande coïncidence si la source de l’ONU était différente, mais était sortie en même temps que ce faux a fait sa réapparition en ligne".

FRANCE 24 a contacté l'agence de l'ONU en Irak pour connaître ses sources. Nous publierons sa réponse si elle nous parvient.

Article écrit par Corentin Bainier (@cbainier) et Wassim Nasr (@simnasr), journalistes à FRANCE 24.