ETATS-UNIS

Violences policières : indignation après l’"étranglement" d’un New Yorkais

Enserrer le cou de sa victime pour lui bloquer la respiration : c’est le principe de la "prise de l’étranglement" ("chokehold"). Interdite depuis 1993, cette technique a pourtant été utilisée jeudi dernier par un policier new-yorkais lors de l’arrestation d’Eric Garner, un Noir-Américain asthmatique, décédé peu après d’une crise cardiaque.

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Capture d'écran de la vidéo montrant l'arrestation et la mise au sol d'Eric Garner, qui finira par perdre connaissance.

Enserrer le cou de sa victime pour lui bloquer la respiration : c’est le principe de la "prise de l’étranglement" ("chokehold"). Interdite depuis 1993, cette technique a pourtant été utilisée jeudi dernier par un policier new-yorkais lors de l’arrestation d’Eric Garner, un Noir-Américain asthmatique, décédé peu après d’une crise cardiaque.

Eric Garner avait 43 ans et vivait à Staten Island, au sud de New York, avec sa femme et ses six enfants. C’est là qu’il a été appréhendé par des officiers du New York Police Department (NYPD), qui le soupçonnaient de revendre illégalement des paquets de cigarettes détaxés, ce pour quoi il avait déjà été arrêté à plusieurs reprises. Mais selon certains témoins, Eric Garner venait juste de séparer deux hommes qui se battaient. Une enquête est en cours.

Il reste qu’Eric Garner est pris à partie par plusieurs officiers de police. Il ne monte pas le ton et ne se montre pas menaçant. "Chaque fois que vous me voyez, vous cherchez à me provoquer. […] S’il vous plaît, laissez-moi tranquille", dit-il. L’homme de 160 kilos pour 1m90 est finalement saisi par quatre officiers et mis à terre. L’un d’eux, en civil, lui prodigue le "chokehold". À huit reprises, on entend la victime dire "je ne peux pas respirer", avant de perdre connaissance.

L’enquête doit déterminer si la prise est à l’origine de la mort d’Eric Garner, qui souffrait de diabète, d’apnée du sommeil et d’asthme. Dans son rapport, obtenu par le New York Daily News, la police écrit que Garner avait adopté une "position de combat", ce que les images contredisent. Elle juge également qu’il n’a pas semblé "en grande détresse", alors qu’il perd connaissance. Le rapport ne fait pas de prise d’étranglement et estime que Garner est mort des suites d’une crise cardiaque.

"C’est symptomatique du traitement que réserve la police de New York aux gens de couleur"

Kirsten John Foy est le responsable pour le nord-est des États-Unis du National Action Network (NAN), une association de défense des droits civiques basée à New York.

Tous les éléments convergent : les vidéos, les récits des témoins, les analyses des médias, pour affirmer que les agents de police sont pleinement responsables de la mort d’Eric Garner. On l’entend très clairement dire à plusieurs reprises qu’il ne peut plus respirer et rien n’a été fait pour lui prodiguer des soins : c’est tout juste si on est venu lui reprendre le pouls (voir ci-dessous).

La police de New York a décidé d’interdire le "chokehold" en 1993, suite à plusieurs cas de décès. Mais ça a continué : en 1994, par exemple, un jeune garçon avait involontairement envoyé son ballon de football sur une voiture de police. Ce n’est pas un délit… mais les agents l’avaient interpellé, utilisant le "chokehold". Il en est mort.

Ce qui est arrivé à Eric Garner est pour moi symptomatique du traitement que réserve la police de New York aux gens de couleur, notamment les Noirs et les Hispaniques. Ils appliquent la loi de manière nettement plus sévère avec ces personnes. Par exemple, il a été prouvé que les personnes de couleur ne consommaient ou vendaient pas plus la marijuana que les Blancs. Il y a pourtant une proportion très nettement supérieure de Noirs en prison pour ce délit [selon Human Rights Watch, de 1980 à 2007, les Noirs possédant de la drouge ont été arrêtés entre 2,8 et 5,5 fois plus que les Blancs, selon les années, NDLR].

Cette affaire témoigne également du sentiment d’impunité qui règne au sein de la police new-yorkaise. En interne, la NYPD semble avoir avec ses propres règles, ses propres sanctions. Le challenge est de faire réintégrer à cette police une culture de la transparence et de la responsabilité.

Peu après l’intervention, une autre vidéo montre par ailleurs qu’Eric Garner semble ne pas avoir reçu une attention très appuyée de la part des secours. Une femme en uniforme de police lui prend le pouls mais ne prodigue pas d’autres soins, alors qu’il est manifestement inconscient. Lorsqu’il est soulevé pour être mis sur un brancard, on peut voir ses yeux révulsés.

"Nous avons enfin la preuve que la prise de l’étranglement est toujours utilisée"

Jessica est membre de l’association Justice Committee, qui recense les abus policiers à New York.

Ce qui est arrivé à Eric Garner est absolument tragique, et le témoignage vidéo est essentiel car il prouve que la prise de l’étranglement est toujours utilisé par la police de New York malgré son interdiction. Au Justice Committee on nous a rapporté plusieurs fois des cas d’utilisation de cette prise, mais nous n’avions jusqu’ici pas de preuve. [Selon le Civilian Complaint Review Board, une organisation indépendante, en 2013, 223 cas d’utilisation du chokehold ont été recensés à New York, NDLR].

Très souvent, les victimes n’osent pas porter plainte, ou pensent que cela ne servira à rien car beaucoup estiment que la police bénéficie de l’impunité. Ce sentiment est aussi ce qui incite les agents de police à minimiser leurs actes. Ça ne m’étonne pas que le rapport sur le cas d’Eric Garner ne mentionne pas le "chokehold"… Mais quoi qu’il en soit, elle ne peut pas nier que l’un des ses officiers a utilisé une prise illégale. Il doit donc être jugé pour cela.

L’officier qui a prodigué la prise sur Eric Garner, Daniel Pantaleo, s’est vu retirer son arme, et consigné à des tâches administratives. Il avait déjà été mis en cause dans deux précédentes affaires où il aurait dépassé ses prérogatives. Un autre officier a également été suspendu.

Sur l’initiative du National Action Network et des proches d’Eric Garner, des marches commémoratives ont été organisées, notamment le week-end dernier.

Manifestation en hommage à Eric Garner. Sur ce petit mémorial installé sur les lieux de son arrestation, il est notamment écrit : "Je ne peux pas respirer" et "Stop à la guerre contre les pauvres", alors que des cigarettes ont été dispersées au milieu des bougies. Photos : @tommymiles

Article rédigé en collaboration avec Corentin Bainier (@cbainier), journaliste à France 24.