LIBYE

La contrebande vers Malte assèche les pompes libyennes

La contrebande de carburant existe depuis plusieurs années entre la Libye et les pays voisins, notamment la Tunisie et l'Algérie. Profitant du chaos actuel dans le pays, les contrebandiers parviennent aujourd'hui à atteindre les côtes européennes.

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Pompe à essence abandonnée à Tripoli. Photo envoyée par notre Observatrice Enas Saddoh.

La contrebande de carburant existe depuis plusieurs années entre la Libye et les pays voisins, notamment la Tunisie et l'Algérie. Profitant du chaos actuel dans le pays, les contrebandiers parviennent aujourd'hui à atteindre les côtes européennes.

Le gouvernement libyen a reconnu l'existence du trafic d'essence le 18 juin dernier, reconnaissant même une "augmentation" de la contrebande entre son pays et Malte. Le chef du gouvernement a également rencontré l'ambassadeur de Malte à Tripoli pour aborder le sujet. Dans un communiqué, il a déclaré que ce phénomène représentait une menace pour la sécurité du pays.

Ce trafic a pour conséquence une pénurie dans les stations essence de Libye, notamment à Tripoli. La Société libyenne de pétrole, chargée de la distribution de carburant au niveau national, reconnaît en outre ne plus parvenir à assurer l'acheminement dans certaines régions, où la sécurité n'est pas assurée. Les Libyens ont donc du mal à s'approvisionner en essence, alors que leur pays détient 3 % des réserves mondiales de pétrole, comme l'explique Mohamed al-Harari, porte-parole de la Société libyenne de pétrole :

Lorsqu'elle était le deuxième producteur de pétrole en Afrique, la Libye avait la capacité de ne raffiner que 20 % de ses besoins intérieurs [avec la crise que traverse le pays, sa production est passée de 1.4 million à 300 000 barils quotidiens, mais les structures de raffinage sur le sol libyen restent insuffisantes]. Et encore aujourd'hui, le reste du carburant raffiné est importé et ce, dans des quantités qui dépassent les besoins de la population libyenne. Avant la révolution, une partie de ce surplus arrivait entre les mains des contrebandiers, qui le vendaient illégalement en Tunisie [le prix du litre d'essence en Tunisie est dix fois supérieur au prix en Libye]. Mais aujourd'hui, ce surplus est encore plus important puisque les problèmes de sécurité entravent la distribution nationale et de fait, les quantités vendues illégalement à l'étranger sont aussi plus importantes.

La première cause de ce trafic est l'absence de forces sécuritaires pour surveiller les frontières maritimes. Mais il y a aussi le prix de l'essence et du diesel qui est très bas, car subventionné par l'État. Ce marché est donc très juteux, surtout vers l'Europe.

"Nous produisons et importons du pétrole mais les Libyens en manque !"

Moussa el-Magherbi travaille pour une entreprise qui s’occupe du traitement du pétrole dans la ville côtière de Brega.

Il y a deux types de contrebande maritime en Libye, l'une à petite échelle et l'autre qui implique des réseaux plus importants. Pour la première, le procédé est similaire à celui de la contrebande par voie terrestre : les trafiquants remplissent des bidons de diesel et les mettent dans des barques comme celles dont les passeurs se servent pour emmener des clandestins en Europe. Comme les frontières maritimes ne sont pas surveillées actuellement, il est facile d'aller vers le large. Et ils n'ont pas besoin d'arriver jusqu'à Malte, l'échange avec d'autres contrebandiers se fait en mer.

 

"Des milices armées et des membres de la Société libyenne de pétrole sont impliqués dans ce trafic"

L'autre réseau de vente illégale implique des milices armées, à l'instar du trafic de brut intercepté par la marine américaine en mars dernier [Les forces américaines avaient pris le contrôle du pétrolier égyptien Morning Glory au large des côtes chypriotes, alors qu'il transportait illégalement du brut acheté aux rebelles libyens]. Des membres de la Société libyenne de pétrole sont aussi impliqués dans ces trafics. Le pétrole importé, qu'ils sont chargés de distribuer dans les différentes villes libyennes, n’arrive pas toujours à destination [pour des raisons de sécurité ou de blocage des ports, ndlr.] si bien que certains sont tentés d'en faire illégalement commerce. Ce diesel est fini par être détourné et vendu à des contrebandiers européens, via des pétroliers libyens ou étrangers.

Le pétrole est le nerf de la guerre en Libye et l'objet de toutes les convoitises, que ce soit de la part des groupes armés ou des petits trafiquants. Mais cette course à l'or noir plonge le pays dans une situation des plus ironiques : nous produisons du pétrole, nous importons du carburant au-delà de nos besoins et au final, nous nous retrouvons avec des queues interminables devant les pompes à essence !

Files de voiture devant des pompes à essence. Les photos ont été envoyées par notre Observatrice Enas Saddoh.