GABON-CAMEROUN

Comment j’ai piégé "l’arnaqueur aux statues africaines"

S’il y avait un classement des arnaques sur Internet, celle-ci pourrait remporter le premier prix. Il y a une semaine, j’ai reçu un coup de fil d’un inconnu qui m’a proposé une combine : acheter des statuettes ancestrales dans le but de sauver un petit village du nord du Gabon. Flairant l’arnaque, mais voulant en savoir plus,

Publicité

Par Alexandre Capron, journaliste aux Observateurs de FRANCE 24

S’il y avait un classement des arnaques sur Internet, celle-ci pourrait remporter le premier prix. Il y a une semaine, j’ai reçu un coup de fil d’un inconnu qui m’a proposé une combine : acheter des statuettes ancestrales dans le but de sauver un petit village du nord du Gabon. Flairant l’arnaque, mais voulant en savoir plus, j’ai décidé de jouer le jeu…

Mardi 24 juin, je reçois un appel d’un numéro avec l’indicatif gabonais (+241). L’homme, un certain Ferdinand, se présente rapidement et affirme avoir "une affaire sérieuse à proposer". Il demande d’échanger par courrier électronique, et envoie, quelques heures après, ce mail :

Le décor est planté : un village qui souhaite conserver ses statues ancestrales et un américain qui souhaite les acheter. Dans la suite du mail, il expose sa préoccupation :

Principal souci selon mon interlocuteur : la proposition initiale de 850 000 $ (soit 622 000 euros), n’est plus d’actualité, l’acheteur américain ne proposant plus que "185 millions de francs CFA" (soit 282 000 euros). Il me fait donc une proposition :

Pour appuyer son propos, il attache même en pièces jointes des photos des statues. Il précise dans un de ses mails suivant que le village en question serait Eboro, un tout petit bourg de 150 habitants à la frontière entre le Gabon et le Cameroun.

 

En résumé, l’arnaque est donc la suivante : pour que l’Américain puisse avoir les statues, il faudrait que je les achète d’abord pour être le "propriétaire officiel" des statues. "Ferdinand" me demande donc un acompte avant de m’expédier les précieux objets. Ensuite, l’Américain est censé me racheter ces objets à un prix supérieur. Ce qui n’arrivera bien sûr jamais, et j'aurai définitivement perdu l’acompte versé à "Ferdinand".

Acte 2 : le coup de téléphone de "l’Américain"

Vendredi 4 juin, après plusieurs appels et mails de relance, l’interlocuteur affirme que "l’Américain" qui veut acheter les statues va appeler pour nous "demander notre prix". En milieu d’après-midi, je reçois un appel d’un numéro ayant l’indicatif des États-Unis (+001). Au bout du fil, dans un mauvais anglais avec un accent africain, le fameux "Américain" me demande combien je suis prêt à payer. Jouant le jeu, je lui dis que l’offre initiale de 850 000 $ me satisferait, ce qu’évidemment, il accepte sans sourciller. Il m’explique qu’il me rappellera dans une semaine avant de raccrocher.

Après plusieurs jours sans nouvelle, "Ferdinand" me rappelle mercredi pour m’annoncer qu’il s’est rendu dans le village et qu’un conseil a eu lieu pour décider de me laisser acheter les statues qui seront acheminées en France dans "quelques jours". Il me transmet le numéro de téléphone du chef du village dont il ne me donne pas le nom car "il est interdit de le prononcer".

Entre temps, je contacte nos Observateurs Gabonais à Bitam, plus grande ville à côté d’Eboro, pour essayer d’en savoir plus. Je parviens, grâce à l’un d’entre eux, à joindre un agriculteur à Eboro qui m’informe que le véritable chef du village, Andreas Eban Obiang, est décédé il y a plus d’une semaine, et que le nouveau n’a pas encore été choisi. Il m’explique qu’il n’y a qu’un seul pont dans son village et qu’il n’est pas cassé, contrairement à ce qu’indiquait "Ferdinand" dans son premier mail. Ses informations sont donc bidons.

Acte 3 : l'appel au "faux sage"

Je décide donc d’appeler le faux "chef de village" suggéré par "Ferdinand". Écoutez l’enregistrement de notre conversation :

Quand je lui dis que le chef du village est mort, très embarrassé, l’imposteur marmonne des justifications incompréhensibles en m’appelant "mon enfant".

Une arnaque bien connue dans les milieux de "l’art ethnique"

L’histoire est montée de toute pièce. Mais elle est complexe et fait appel à un réseau de faux contacts très organisé. Contacté par FRANCE 24, Eric Oustric-Pieri, spécialiste de l’art ethnique à Aix-en-Provence, confirme que les arnaques basées sur la revente d’objets africains pullulent sur le Web :

Ces gens castent leur victime en recherchant sur Internet des personnes potentiellement intéressées par l’Afrique [ce qui est mon cas sur mon CV en ligne, ndlr ]. En tant que propriétaire d’une galerie d’arts africains, j’ai moi-même déjà été contacté. C’est souvent le même schéma : un américain qui surenchérit, des problèmes dans le village… je connais quelques personnes qui sont tombées dans le panneau et qui ont versé un acompte. Les dépenses ne s’arrêtent jamais : frais d’emballage, de nettoyage, de douanes… Ils mettent une pression psychologique sur leur victime en faisant du chantage, disant qu’à cause de lui, il risque d’être "un homme mort" dans son village.

Effectivement, j'ai bien reçu mercredi un texto de "Ferdinand" avec le numéro de téléphone du prétendu sage et m'expliquant que c'était une question de "vie ou de mort" de bien négocier :

Pour conclure cette histoire, j’ai donc décidé de rappeler le fameux "Ferdinand" pour lui en demander un peu plus. Voici un extrait choisi de la conversation de cinq minutes que j'ai eu avec lui mercredi après midi :

Il n’en démord pas, essaie de me culpabiliser, m’appelle "Monsieur David" (à 2 :50), se trompe même de pays en parlant d’Eboro comme une ville entre le Cameroun et la Guinée (Équatoriale je présume, à 3:07) . Hier, après cet appel, j’ai été appelé à tour de rôle, à intervalle régulier, par l’Américain, le chef de village et "Ferdinand". Jusqu’à ce matin où j’ai reçu ce texto mettant un point finale à cette "aventure".

 

En décembre 2012, nous avions déjà piégé un de ces arnaqueurs du web qui se faisait passer pour un de nos journalistes.

A lire : Julien Pain, journaliste à FRANCE 24 et "brouteur" à son insu