Une "barrière" de laine pour arrêter des pétroliers au Canada
Dans la province de Colombie britannique, situé dans l'Ouest du Canada, un projet de pipeline trouble la quiétude des habitants qui s’attendent à voir naviguer prochainement des pétroliers près de leurs côtes. En guise de protestation, des femmes indigènes ont décidé de tricoter. Et elles ont déployé, le 20 juin, de la laine tressée sur sept kilomètres de long au-dessus d’un canal pour empêcher symboliquement le passage des navires.
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Des manifestantes ont pagayé sur le canal pour tendre un fil de laine de 7 kilomètres. Photo publiée sur le Facebook "La chaîne de l’espoir".
Dans la province de Colombie britannique, situé dans l'Ouest du Canada, un projet de pipeline trouble la quiétude des habitants qui s’attendent à voir naviguer prochainement des pétroliers près de leurs côtes. En guise de protestation, des femmes indigènes ont décidé de tricoter. Et elles ont déployé, le 20 juin, de la laine tressée sur sept kilomètres de long au-dessus d’un canal pour empêcher symboliquement le passage des navires.
La baie d’Hartley est l’endroit où vivent la plupart des Gitga’ata, une des quatorze tribus du Tsimshian, une nation indigène de la côte Pacifique du Canada. Seulement accessible par bateau ou par avion, cette zone est habitée par environ 200 personnes.
Cet endroit paisble est menacé depuis que le gouvernement canadien a approuvé, la semaine dernière, un projet de pipeline. L’infrastructure prévoit de transporter du bitume d’Alberta jusqu’aux côtes de la Colombie britannique où il sera ensuite chargé sur des pétroliers. Ces bateaux devraient ensuite longer la zone côtière habitée par des communautés indigènes, comme celle des Gitga’ata.
Des pagailleurs traversent le canal en tendant le fil de laine. Photo publiée sur "La chaine de l’espoir"
La chaine a atteint 7 kilomètres de long.
"On sait que ce n’est qu’une question de temps avant qu’une catastrophe n’ait lieu"
Lynne Hill, 70 ans, est professeur d’école et membre de la communauté Gitga’at. Elle est à l’origine de l’idée de tricoter pour s’opposer au projet.Notre communauté est directement concernée par le passage de ces pétroliers. On avait déjà fait tout ce qu’on pouvait pour contester cette décision du gouvernement : des manifestations, des affiches... Nous avons cherché un moyen nouveau, pacifique, et totalement à nous, pour protester. Puis j’ai vu ces magnifiques étoffes tricotées par nos femmes, et je me suis dit ‘Et pourquoi pas s’opposer grâce à nos talents de tricotage ?’.
Un atelier de tricotage. Photo Andrew Frank sur Flickr.
Nous avons commencé à travailler sur cette maille depuis quatre mois. Plus de 50 femmes, des petites filles et des vieilles dames, 92 ans pour la plus âgée, ont participé. J’ai tricoté à chaque minute de mon temps libre. On a attaché des flotteurs de pêche décorés avec des petits messages. Une des femmes a même mis des photos de son bébé, pour symboliser l’idée qu’elle veut que son fils puisse grandir dans le même endroit que ses ancêtres sans que cet endroit soit souillé. Ma fille a décoré le sien avec un orque, car notre famille appartient à un clan dont cet animal est le symbole.
Un flotteur de pêche décoré avec des messages. Flickr Andrew Frank.
Notre plus grande peur c’est une marée noire. Nous pêchons dans ces eaux, et l’écotourisme est un gagne pain important pour nous. Notre terre est notre culture. La fin de cet endroit signerait notre fin. L’entreprise qui s’occupe du pipeline nous a affirmé que toutes les mesures de sécurité seraient prises. Mais s’il y a une marée noire, on ne pourra jamais totalement tout nettoyer. Regardez la catastrophe d’Exxon Valdez [un pétrolier échoué il y a 25 ans sur la côté de l’Alaska NDLR], les conséquences sont encore visibles sur l’écosystème aujourd’hui.
Une femme Gitga’at apprend à tricoter à une plus jeune. Photo Flickr Andrew Frank.
On a déjà vu que ce type de catastrophe pouvait arriver, à une échelle moindre : en 2006, le ferry "Queen of the North" s’était échoué près de chez nous avant de couler [des membres de la communauté Gitga’at étaient venus au secours de passagers]. Du pétrole s’écoule toujours de l’épave, et les mollusques que nous avions l’habitude de pêcher ici ont totalement disparu. Une autre épave immergée depuis 1946 continue de déverser son pétrole depuis des années [pour ce bateau, un nettoyage de la zone a commencé depuis l’année dernière]. Vous pouvez donc imaginer à quel point nous avons peur de ces pétroliers géants. On sait que ce n’est qu’une question de temps avant que la catastrophe n’ait lieu.
Une femme Gitga’at montre deux pelotes de laines qui ont participé à la confection de « la chaine de l’espoir ». Photo Andrew Frank.
“Les pétroliers vont faire fuir les baleines ”
Même s’il n’y a pas de fuite, les pétroliers vont déranger la vie sous-marine. Ces dernières décennies, de plus en plus de baleines à bosse et d’orques viennent dans notre baie. Elles n’ont pas peur des voiliers, et elles s’approchent souvent de nous pour jouer. Le bruit que font les pétroliers risque fortement de les faire fuir.
Des orques dans la baie d'Hartley Bay. Photo Flickr Andrew Frank.
Lundi, trois jours après l’avoir posté, nous avons retiré notre fil de laine tendu au dessus de l’eau pour éviter que des animaux ne se blessent. Nous avons récupéré une partie des objets accrochés, et les avons brûlés dans une grande cérémonie pour montrer à nos ancêtres que nous essayons de protéger notre terre. Et si cela ne suffit pas, nous serons demain dans nos bateaux, en face d’eux, pour les empêcher de passer.
Ce billet a été rédigé en collaboration avec Gaelle Faure (@GaelleObservers), journaliste aux Observateurs de France 24.