Interdites de stade, les Iraniennes forcent le passage
Le monde ne parle que de football, mais en Iran, c’est plutôt pour le volley-ball que l’on s’enthousiasme. L’équipe nationale, au top de sa forme, attire les foules dans les salles de Téhéran. Un public exclusivement composé d’hommes, les Iraniennes étant interdites de stade par la police religieuse. Mais certaines d’entre elles ont
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Photo prise au stade Azadi de Téhéran, lors du match de volley-ball Iran-Brésil. Des supportrices iraniennes se sont déguisées en supportrices brésiliennes pour pouvoir accéder aux tribunes.
Le monde ne parle que de football, mais en Iran, c’est plutôt pour le volley-ball que l’on s’enthousiasme. L’équipe nationale, au top de sa forme, attire les foules dans les salles de Téhéran. Un public exclusivement composé d’hommes, les Iraniennes étant interdites de stade par la police religieuse. Mais certaines d’entre elles ont décidé de ruser.
L’Iran est la douzième équipe mondiale de volley-ball et celle qui présente la meilleure progression sur les dix dernières années. Depuis le 30 mai, l’équipe participe aux qualifications de la Ligue mondiale de volley, réunissant les 28 meilleures équipes mondiales. Grâce à ses performances, l’Iran fait partie de la meilleure poule en compagnie du Brésil, de la Pologne et de l’Italie.
Supportrices iraniennes reléguées à l'extérieur du stade Azadi.
Mais ces performances ne se font que sous le regard de supporteurs masculins. Les femmes sont systématiquement interdites d’accès aux salles de volley depuis 2005 par la "police de la moralité", une police spéciale chargée de combattre la ‘corruption morale’ et de réprimer ceux qui portent atteinte à la loi islamique. Cette interdiction ne concerne cependant pas les supportrices étrangères.
Pourtant, dimanche 15 juin, au stade Azadi, où l’Iran affrontait le Brésil, première équipe mondiale, des Iraniennes étaient bien dans les gradins. Certaines d’entre elles ont confirmé à l’agence officielle iranienne d’information qu’elles avaient réussi à entrer en portant des maillots brésiliens et en sollicitant la complicité de familles brésiliennes venues assister au match. Selon les journalistes, une dizaine de femmes auraient réussi à échapper à la vigilance de la police.
Supportrices iraniennes à l'extérieur du stade Azadi.
"S’ils ne prennent pas une décision, ils pourraient vite être débordés"
Jila Baniyaqoub est une journaliste iranienne. Elle défend le droit des femmes iraniennes à entrer dans un lieu de rassemblement sportif.
Malgré l’interdiction de la police de la moralité, nous étions 70 femmes à tenter de rentrer dans le stade Azadi. Avec nous, nous avions une représentante de la secrétaire d’État aux droits des femmes, membre du gouvernement d’Hassan Rohani [Sara Ghasempour, une assistante parlementaire, en noir sur la photo ci-dessous NDLR]. Mais la police n’a rien voulu savoir, ils nous ont refoulé disant que cette décision dépendait du Conseil de sécurité de la province. Cela montre bien que sur cette question, le guide suprême et le gouvernement sont en désaccord.
Ce n’est pas un problème de sécurité, car les effectifs de police sont suffisants. C’est une position idéologique. Mais maintenant, nous avons de l’espoir, car le gouvernement est de notre côté.
Supportrices iraniennes à l'extérieur du stade Azadi.
Lorsque l’on s’est fait refouler, des manifestations de femmes ont été organisées spontanément aux abords du stade. Si ça continue, ça va devenir un vrai problème de sécurité publique pour la police. Le prochain match de l’Iran [contre l’Italie le 20 juin à Téhéran NDLR] sera un vrai défi pour les autorités, car beaucoup de femmes ont été choquées de ne pas pouvoir rentrer supporter leur équipe. Beaucoup prévoient d’essayer de rentrer dans le stade. S’ils ne prennent pas une décision, ils pourraient vite être débordés.
Je ne veux pas juger les femmes qui sont rentrées avec des maillots du Brésil sur les épaules, mais pour ma part, je ne veux pas utiliser cette ruse. Je veux pouvoir rentrer dans un stade de sport avec mon identité de femme iranienne, supportrice de mon équipe.
Un enfant dans un stade, arborant une pancarte : "Salut maman, j'aurais aimé que tu sois là".
Une mobilisation qui dépasse les frontières iraniennes
Après la révolution iranienne de 1979, les femmes ont été interdites d'entrée dans tous les lieux de rassemblement sportif. Mais sous le mandat du président Khatami (1997-2005), ces règles ont été assouplies permettant aux femmes d’assister aux rencontres de volley. L’interdiction a cependant été rétablie sous le mandat de Mahmoud Ahmadinedjad.
Les récents matchs de volley ball ont mis en lumière les divisions qui existent entre le gouvernement d’Hassan Rohani et la police de la moralité contrôlée par le guide suprême Khamenei : lundi, la secrétaire d’État aux droits des femmes du gouvernement iranien s’est clairement exprimée contre l’interdiction faite aux femmes de rentrer dans les stades sur sa page Facebook, et a appelé la police à lever cette interdiction. Un appel resté lettre morte.
La question de l’entrée des femmes dans les stades a d’ailleurs dépassé les frontières iraniennes : l’Observateur international de la fédération sportive de volley-ball a regretté l’absence des femmes iraniennes le jour du match. L’équipe italienne de volley-ball, prochain adversaire de l’Iran ce vendredi, a posté une vidéo sur Youtube demandant aux autorités de la République islamique le retour des supportrices dans le stade de Téhéran.