Désarmement à Bangui : "le nombre d'armes récoltées est ridicule"
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À l’appel des autorités de la transition en Centrafrique, les habitants de Bangui étaient invités, dimanche, à venir rendre machettes, grenades et autres armes de guerre. Mais pour nos Observateurs qui ont assisté à ce désarmement volontaire, cela a davantage tourné à l’opération de communication.
Dans le 3e arrondissement de Bangui, un militaire compte les armes récupérées. Photo Eric Ngaba.
À l’appel des autorités de la transition en Centrafrique, les habitants de Bangui étaient invités, dimanche 8 juin, à rendre machettes, grenades et autres armes de guerre. Mais pour nos Observateurs qui ont assisté à ce désarmement volontaire, cela a davantage tourné à l’opération de communication.
Ce n’est pas la première fois que des opérations de désarmement ont lieu à Bangui. En décembre 2013, les militaires français et africains de l’opération Sangaris avaient tenté de mettre en place des barrages pour désarmer la population. Nos observateurs avaient alors pointé du doigt les stratégies développées par les groupes armés, mais aussi certains civils pour échapper aux contrôles.
Six mois après le début de l’opération Sangaris, le problème n’est toujours pas réglé et la capitale vit toujours au rythme des coups de feu. Dans le 3e arrondissement, il y a 10 jours seulement, des hommes armés non identifiés ont encore tiré sur des fidèles réunis dans l’église Fatima, faisant 17 morts.
En plus des munitions et des armes à feu, beaucoup d'uniformes militaires et de machettes ont été déposés. Photo Facebook Haroun Gaye.
"Une grenade, ça coûte 50 centimes d'euro à Bangui"
C’est dans cet arrondissement que notre Observateur, Éric Ngaba, a assisté à l’opération de désarmement.
À la fin de la journée, il y avait en tout à la mairie du 3e arrondissement 70 fusils, 160 machettes, 150 grenades, 15 kalachnikovs, et 365 balles. Ça peut paraître important comme butin, mais les autorités sur place avaient du mal à cacher leur déception. Notre arrondissement est l’un de ceux où il y a le plus de violence depuis six mois, il n’y a pas un jour où on n’entend pas un coup de feu ou une détonation.
Les armes à feu qui ont été rendues étaient dans la quasi-totalité dans un très mauvais état, quasiment inutilisables. Par ailleurs, je n’ai vu que des inconnus qui venaient déposer leurs armes, aucun responsable identifiés des anti-balaka ou de l’ex-Seleka [dans d’autres quartiers, des représentants de ces groupes armés ont cependant été aperçus en train de rendre leurs armes, NDLR]. A chaque fois, qu’une personne venait déposer une arme, il y avait autour des femmes qui chantaient et applaudissaient. C’était festif, presque surréaliste comme ambiance pour un désarmement.
Sur les lieux de dépôt des armes, des femmes chantent et félicitent ceux qui participent au désarmement.
"Aujourd’hui, c’est toujours aussi facile de se procurer une arme"
Beaucoup de gens dans mon quartier se sont procuré une arme après les événements du 5 décembre [jour où des anti-balaka, milice d’auto-défense qui s’oppose aux ex-rebelles de la Séléka, ont attaqué la capitale]. Aujourd’hui, c’est toujours aussi facile de s’en procurer : une grenade coûte entre 250 et 500 francs CFA selon les quartiers [entre 50 et 75 centimes d’euro, NDRL], il suffit de connaître quelqu’un qui a fréquenté des anti-balaka ou des ex-Seleka pour s’en procurer. Une kalachnikov se négocie autour de 50 000 francs CFA.
Ce matin, j’ai croisé un très jeune garçon, qui se baladait dans le centre de Bangui avec trois balles d’AK-47. Il n’avait aucune intention de les rendre. Il m’a dit qu’il allait à la rencontre d’un ancien militaire des Forces armées centrafricaines [FACA - militaires centrafricains désarmés et privés de soldes lors de l’arrivée des forces internationales NDRL] pour les lui vendre.
Un Banguissois ce matin dans les rues de Bangui avec trois munitions d'un fusil d'assaut. Photo prise ce matin par Éric Ngaba.
"Le nombre d’armes récoltées est tellement ridicule qu’ils ne l’ont pas donné"
La mobilisation pour rendre les armes circulant dans Bangui a été suivie de façon très variable selon les arrondissements : à Boy-rabe, fief des anti-balaka, trois roquettes, trois obus de mortiers, trois grenades et quelques munitions ont été récupérées. Dans le 4e arrondissement, des anciens militaires Faca ont refusé de participer à l’opération.
Alors que beaucoup de maires d’arrondissement s’avouent déçus, le premier ministre centrafricain André Nzapayeke venu relever les compteurs dans plusieurs mairies a affirmé que ce désarmement était avant tout "une opération de communication auprès de la population visant à ouvrir un débat".
Une affirmation qui a fait bondir notre Observateur Joseph Bindoumi, président d’une Ligue des droits de l’Homme à Bangui.
Je n’ai pas d’armes chez moi, mais j’ai refusé de prendre part à cette ridicule opération qui ne sert qu’à faire diversion. Il faut s’attaquer directement aux anciens chefs des anti-balaka ou de la Seleka, dans des quartiers bien connus comme Boy-Rabe [dans nord-ouest], le PK 12 [à l’extrême-nord] ou le PK5 [dans le sud-ouest]. Ce sont eux qui ravitaillent les civils en armes.
Lundi 9 juin après-midi, le nombre d’armes récupérées n’avait toujours pas été annoncé [malgré une conférence de presse organisée par les autorités de la transition, NDLR]. Notre association avait évalué à environ 20 000 le nombre d’armes lourdes circulant à Bangui. Je pense que le chiffre d’armes récolté est tellement ridicule qu’ils ne veulent pas le donner.