Un Ougandais parie sur le vélo pour changer la vie des villages
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C’est un vélo qui a changé son destin, et il souhaite bien que ce soit le cas pour des millions d’autres Ougandais. Chris, jeune entrepreneur, apprend désormais aux communautés locales à assembler des vélos avec du métal de récupération. Son objectif : changer la vie de communautés isolées.
Des vélos, souvent 100 % artisanaux, distribués par CA Bikes aux enfants des villages ruraux ougandais. Photos diffusées avec l'accord de CA Bikes.
C’est un vélo qui a changé son destin, et il souhaite bien que ce soit le cas pour des millions d’autres Ougandais. Chris, jeune entrepreneur, apprend désormais aux communautés locales à assembler des vélos avec du métal de récupération. Son objectif : changer la vie des communautés isolées.
En Ouganda, 87 % des 36 millions d’habitants vivent dans des zones rurales. Et dans un pays où les structures sanitaires et scolaires sont parfois éloignées des villages, se déplacer est une problématique majeure.
La plupart des vélos de transports de CA Bikes sont assemblés directement dans les villages.Capture d'écran de cette vidéo.
"Mon frère est décédé lorsque j’avais neuf ans alors que j’essayais de l’emmener par tous les moyens dans l’hôpital"
L’idée de lancer le projet "CA Bikes" naît en 2011 dans l’esprit de Chris Ategeka. Orphelin depuis l’âge de 8 ans, il intègre un centre pour enfant ouvert par une Américaine et se retrouve à 22 ans en Californie où il suit une formation d’ingénieur en mécanique à l’Université de Berkeley.
J’ai grandi dans un village de la région de Fort Portal, dans l’Ouest de l’Ouganda. Mon petit frère est décédé lorsque j’avais neuf ans alors que j’essayais de l’emmener par tous les moyens dans l’hôpital le plus proches à une dizaine de kilomètres. C’est un épisode qui a marqué ma vie et c’est à ce moment que je me suis demandé pourquoi on ne pouvait pas rapidement rejoindre ce genre d’endroits.
Puis je suis rentré à l’orphelinat, où on m’a acheté une bicyclette. Les heures de marche pour aller à l’école sont devenues des minutes. J’avais donc davantage de temps pour étudier et mes notes se sont améliorées. Si j’ai pu ensuite aller étudier aux États-Unis, c’est sûrement grâce à ce vélo.
Le vélo-ambulance est devenu le produit phare de CA Bikes. Il permet de transporter les malades allongés à l'hôpital le plus proche.
"Un village doit pouvoir s’approprier un vélo de la confection à son utilisation"
Après mes études, j’ai décidé de revenir en Ouganda malgré les propositions de travail que j’avais eues aux États-Unis. Avec quelques bénévoles, nous avons commencé à fouiller dans les décharges à la recherche de ferrailles, de pneus, de bois pour faire des vélos de transport. Puis on s’est diversifié en créant des vélos cargos [pour transporter du matériel], puis des vélos-ambulances capables de transporter une personne allongée.
Nous avons animé des ateliers pour expliquer comment construire ces vélos en partant de zéro. Je voulais faire en sorte qu’une communauté puisse s’approprier l’objet de A à Z. Notre travail ne s’arrête pas juste à apprendre à confectionner le vélo : on apprend aussi aux villageois comment les utiliser ou à être capable de les réparer s’il y a un problème. Certains fabriquent les leurs, maintenant, ce qui crée de l’activité même après notre départ.
Les premiers vélos de CA Bikes ont été assemblés grâce à des matériaux de récupération trouvés dans des décharges.
On fait maintenant des vélos plus solides grâce à des organismes qui nous financent. Mais malgré le succès de notre projet, nous sommes dépendants des choix des investisseurs qui ne sont pas intéressés dans la même mesure par tous les types de vélos : les dons sont bien plus importants pour financer l’achat de vélos ambulances destinés à transporter malades et femmes enceintes [en Ouganda, sur 1000 enfants, 61 meurent au cours de leur première année] alors que nous voudrions aussi développer des vélos chaises roulantes destinés aux handicapés.
Christopher Ategeka et ses bénévoles s'investissent personnellement dans la confection des vélos.
Le projet, qui ne devait durer qu’un an au départ, entame sa deuxième année. En 2013, 150 vélos ont été distribués dans plusieurs villes du nord, de l’ouest et du sud de l’Ouganda. De vélos construits avec des matériaux de récupération, l’entreprise est passée à des matériaux achetés auprès d’artisans ougandais. Un vélo revient aujourd’hui à 1500 dollars en moyenne, principalement financés par des ONG comme la Croix Rouge, Samaritan Purse ou Mother Health International.
"Il faut 30 minutes au lieu de 2 heures pour arriver à notre dispensaire"
En Ouganda, le ratio de docteurs par habitants est de 1 pour 18 000 personnes. Dans le district de Nakaseke, dans le sud du pays, le centre médical de Sainte Thérèse vient de bénéficier d’un vélo-ambulance offert par la Fondation Change a life en partenariat avec CA Bikes, début 2014. Magawa Scholar habite dans un petit village aux alentours et travaille pour le centre médical.
J’ai connu plusieurs fois la douleur de voir des mères perdre leur enfant, des villageois mourir d’épuisement en essayant de rallier l’hôpital le plus proche, à un jour de marche. Quand ils le peuvent, les habitants de villages prennent un "boda-boda", les taxis locaux, mais ils ne sont pas sûrs car ils roulent souvent vite sur des routes en mauvais état [chaque jour, neuf personnes meurent dans un accident de la route en Ouganda, l’état de la chaussée dans le pays est régulièrement dénoncée par les Nations Unies]. D’autre part, ces "boda-boda" ne sont pas adaptés aux transports de personnes malades ou de femmes enceintes.
Dans la région d'Atiak, une ville du nord de l'Ouganda, 27 femmes enceintes des villages ont pu être transportées rapidement vers l’hôpital pour accoucher depuis début le mois de mars.
Pour le moment, nous ne disposons que de deux vélos ambulances dans un rayon de 100 kilomètres, car cela coûte encore trop cher. Une fois qu’ils sont assemblés, on les laisse aux mains d’une seule personne, élue par les membres de la communauté de village, qui devient responsable du vélo. On lui apprend à conduire le vélo, et cette personne devient une sorte d’ange gardien responsable d’amener les malades à l’hôpital. C’est une révolution du point de vue du transport, mais aussi ça renforce la communauté.
Certains villages du district étaient à au moins deux heures de marche de notre dispensaire. Maintenant avec ces vélos, il faut 30 minutes pour y arriver. Et 1h30, ça peut suffire pour sauver une vie.
En 2014, CA Bikes souhaite confectionner davantage de vélos chaises-roulantes destinés aux personnes handicapées et se fixe comme objectif de distribuer 250 vélos.
Les projets innovants sont légions sur le continent africain : en mars, les Observateurs de France 24 présentaient l’invention d’un Togolais qui avait créé une imprimante 3D avec des déchets électroniques.
Si vous souhaitez nous faire connaître des projets surprenants ou novateurs, n’hésitez pas à nous laisser un commentaire sous cet article ou à nous écrire à observateurs@france24.com !
Cet article a été rédigé en collaboration avec Alexandre Capron (@alexcapron), journaliste pour les Observateurs de France 24.