"Préserve ta foi: ne vote pas": une association salafiste appelle au boycott des municipales
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Sur son site, via les réseaux sociaux mais aussi à travers la distribution de tracts, l’association Anâ-Muslim (je suis musulman) appelle au boycott des élections municipales prévues dans quelques jours. Décryptage d’un mouvement salafiste qui a choisi la légalité comme arme.
Montage photo diffusé par l'association Anâ-Muslim qui appel au boycott des élections municipales françaises.
Sur son site, via les réseaux sociaux mais aussi à travers la distribution de tracts, l’association Anâ-Muslim (je suis musulman) appelle au boycott des élections municipales prévues dans quelques jours. Décryptage d’un mouvement salafiste qui a choisi la légalité comme arme…
Anâ-Muslim est une association déclarée et reconnue par l’État français. L’association communique notamment via son site, sa page Facebook, mais aussi sur Youtube et Twitter. Elle a lancé l’appel au boycott des élections municipales, prévues les 23 et 30 mars 2014, il y a quelques jours, justifiant sa démarche par diverses arguments religieux et expliquant, entre autres, que "le vote [pour un musulman] est un acte de soumission… et que l’abstention est un acte de désaveu et de résistance".
Des membres d'Anâ-Muslim brandissant le tract.
Sur son site, l’association explique viser par cette campagne en priorité les personnes musulmanes entre 18 et 40 ans. Elle indique précisément à ses militants les lois régissant la distribution de tracts et les appellent à ne pas causer de troubles. D’après leur argumentaire, refuser de participer à la vie politique française est un moyen de "préserver sa Foi". Pour Anâ-Muslim " Voter, c’est reconnaître le pouvoir des hommes sur terre et leur donner la souveraineté absolue de créer leurs lois qui n’ont rien à voir avec l’islam". Le but affiché par Anâ-Muslim dans le manifeste de l’association est la "formation d’un musulman à l’islam complet… Car ce sont ces musulmans qui seront les seuls aptes à prendre leurs destinées en main (…) et de jeter les bases de son renouveau [à l’islam] pour le salut de l’humanité".
Un photo montage diffusé par l'association Anâ-Muslim appellant au boycott des élections.
Contacté par FRANCE 24 un membre d’Anâ-Muslim a expliqué que l’association refusait de nous parler car les membres d’Anâ-Muslim sont "tous mobilisés sur la campagne [de boycott des élections municipales]".
"C’est la première fois qu’une association musulmane appelle au boycott d’un scrutin pour des raisons religieuses"
Omar (pseudonyme), spécialiste des mouvances et mouvements islamistes.
Il y a déjà eu des appels au boycott dans la même veine auparavant, mais ça émanait de groupes islamistes informels, là, c’est la première fois qu’une association musulmane [reconnue par l’État suivant la Loi de 1901] appelle au boycott d’un scrutin pour des raisons religieuses.
Le collectif Anâ-Muslim et le site existent depuis à peu près trois ans et l’association a été reconnue depuis plus d’un an. Ils sont autour d’une centaine d’adhérents et des sympathisants sur Internet. Elle cible principalement un public d’étudiants et d’intellectuels musulmans.
Les fondateurs peuvent être divisés en deux catégories : des personnes proches des mouvances djihadistes mais qui estiment que les musulmans de France ne sont pas concernés par le djihad guerrier ; et des anciens djihadistes qui admettent aujourd’hui que les voies légales sont les plus adaptées à la France pour pouvoir propager leur vision de l’islam. Des personnes appartenant à ces deux profils ont créé Anâ-Muslim en s’accordant sur la nécessité de se maintenir dans un cadre légal, donc de rester dans les clous.
L’association a deux figures principales, Abou Oussama qui est la "référence" religieuse et Aissam Ait-Yahya qui est la "référence" intellectuelle. Anâ-Muslim est principalement active dans la région parisienne, mais aussi dans d’autres villes comme Marseille et Lyon. Son action se limite à la prédication de rue et à la distribution de tracts. L’association ne veut surtout pas qu’on l’associe à des groupes comme Forsane-AIizza [dissous en février 2012 par les autorités françaises après avoir encouragé la lutte armée].
Pour simplifier, les membres de l’association sont des personnes qui se reconnaissent dans l’idéologie salafiste djihadiste, mais dépouillée de sa dimension guerrière. Ce qui consiste, entre autres, à refuser le règne du "Taghout", donc des gouvernants qui ne règnent pas suivant les préceptes de l’islam. Certes, l’appel au boycott est antirépublicain, mais d’autres mouvances politiques sont tout aussi antirépublicaines, sans qu’ils ne soient pour autant hors la loi.
"À l'époque du Prophète Mahomet le principe d'élection a prévalu"
Contacté par FRANCE24, Dalil Boubaker, le Recteur de la Grande mosquée de Paris, estime pour sa part que "cette association est un épiphénomène de la vie publique et n’a aucun poids réel. Son appel au boycott est inaudible pour les musulmans de France qui sont dans leur grande majorité engagés dans la vie politique et publique. Dans une démocratie on passe par les urnes, il est clair que rester en marge du processus sera très nocif et contreproductif pour la communauté [musulmane]. L'appel à boycotter est même contraire aux préceptes de l'islam, à l'époque du Prophète Mahomet le principe d'élection a prévalu. À sa mort ses compagnons se sont réunis et ils ont élu son successeur Abou Bakr, le premier calife."
Dalil Boubaker rappelle par ailleurs que "la Grande mosquée de Paris et le Conseil français du culte musulman (CFCM) incitent les musulmans de France à participer en masse aux prochaines élections municipales, comme à tous les autres scrutins républicains".
Billet écrit avec la collaboration de Wassim Nasr (@SimNasr), journaliste à France24.