RÉPUBLIQUE DÉMOCRATIQUE DU CONGO

Dans la région des Grands Lacs, de l’art plutôt que des kalachnikovs

 Tandis que plusieurs groupes armés sévissent dans l’est de la République démocratique du Congo, un festival d’art a rassemblé de jeunes artistes en herbe rwandais, burundais et congolais pendant trois semaines à Goma, la capitale de la province du Nord-Kivu, pour prouver que la paix n’est pas un vain mot dans cette région.

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Sur cette photo, quatre jeunes (deux Congolais, un Rwandais, et un Burundais) font du sport à Goma. Photo postée sur la page Facebook de L'art de la paix-UJADP.

 

Tandis que plusieurs groupes armés sévissent dans l’est de la République démocratique du Congo, un festival d’art a rassemblé de jeunes artistes en herbe rwandais, burundais et congolais pendant trois semaines à Goma, la capitale de la province du Nord-Kivu, pour prouver que la paix n’est pas un vain mot dans cette région.

 

Proposé du 20 février au 12 mars, le festival "Vijana Kokoriko" ("Réveillez-vous les jeunes !") a été organisé par l’Union de jeunes artistes dessinateurs et peintres (UJADP), un collectif d’artistes basé à Goma, et financé par la Communauté économique des pays des Grands Lacs (CEPGL). Sous le slogan "Vivre ensemble et gagner ensemble", 24 jeunes ont ainsi été formés aux rudiments des différentes pratiques artistiques (peinture, dessin, céramique, confection de bijoux…) et pu mettre leur talent et leur créativité au service de la paix. Les œuvres ont ensuite été exposées et certaines ont même été vendues. Pour les organisateurs du projet, cet évènement était censé "faire prendre conscience aux jeunes de l’importance d’une paix durable dans cette région contaminée par la guerre".

 

Vidéo postée sur YouTube par les organisateurs de Vijana Kokoriko.

 

Goma accueille régulièrement des manifestations culturelles dont le but est de promouvoir la paix et la réconciliation dans la région des Grands Lacs. En juillet dernier, deux festivals, un de cinéma, l’autre de musique et de danse, se sont tenus dans la ville en dépit des menaces de violence.

 

Riche en ressources minières, la zone frontalière entre le Rwanda, le Burundi et la RDC est gangrenée depuis des décennies par des conflits entre groupes armés. Le Nord-Kivu, au nord-est de la RDC a notamment été le théâtre d’une guerre qui a opposé, à partir de mai 2012, l’armée congolaise (FARDC) appuyée par la force de l’ONU en RDC (Monusco), au mouvement séparatiste du M23, que Kinshasa accuse d’être soutenu par le Rwanda, ce que Kigali nie formellement. Les FARDC ont mené une offensive de grande ampleur en novembre dernier, repoussant le M23 hors des frontières de la RDC.

 

Les peintures des artistes en herbe lors de l'exposition. Photo postée sur la page Facebook de 100 citoyens journalistes de RD Congo.

 

Un jeune artiste se lance dans la fabrication d'un djembé. Photo envoyée par notre Observateur.

"Le festival "Vijana Kokoriko" nous a permis de découvrir que nous nous ressemblions beaucoup"

Wassy Kambale est un des porteurs du projet "Vijana Kokoriko". Il est Congolais et fait partie de l’Union des jeunes artistes dessinateurs et peintres (UJADP) à Goma.

 

L’Union des jeunes artistes dessinateurs et peintres (UJADP) existe depuis neuf ans. L’art est ce qui nous permet de nous exprimer et de survivre dans cette région ravagée par la guerre. Nous avions déjà organisé des ateliers avec les jeunes du Nord-Kivu, mais c’est la première fois que nous avons réussi à réunir des jeunes issus des pays voisins que sont le Rwanda et le Burundi.

 

Nous avons toujours été convaincus que l’art unit. L’idée de réunir des jeunes du Rwanda et du Burundi n’est pas le fait du hasard. La RDC, le Rwanda et le Burundi ont mis en place la Communauté économique des pays des Grands Lacs pour développer les liens entre les populations de la région. Au-delà des guerres qui ont secoué la zone, les populations ont continué à se côtoyer par le biais d’échanges commerciaux. Par exemple, les femmes de la ville rwandaise de Gisenyi [frontalière avec Goma] viennent vendre des tomates à Goma et des jeunes d’Uvira en RDC achètent des téléphones portables à Bujumbura au Burundi. Par conséquent, la perspective de mettre en place des ateliers, permettant non seulement aux jeunes de transmettre des messages de paix mais aussi de vendre des œuvres communes, nous a paru intéressante.

 

Un jeune sur le point d'achever la fabrication d'un djembé. Photo postée sur la page Facebook de note Observateur.

 

Les artistes avaient entre 18 et 25 ans et la majorité n’était pas scolarisée. Chaque pays était représenté par quatre filles et quatre garçons. Ils ont été retenus par les conseils nationaux de la jeunesse de leurs pays respectifs [ces conseils sont saisis sur des questions touchant aux politiques à mener en faveur de la jeunesse ou intéressant la jeunesse].

"Si tous les jeunes s’adonnaient à l’art, ils déserteraient les groupes armés"

 

Les jeunes ont vécu dans la même maison pendant trois semaines où ils ont appris différentes techniques artistiques et partagé leur expérience dans ce domaine. Ainsi, les Rwandais ont montré les techniques de la vannerie rwandaise [tressage d’objets], les Congolais ont transmis leur savoir-faire sur la réalisation de tableaux de sable et les Burundais ont fait montre de leur expertise dans la conception de bijoux. Les échanges se sont intensifiés au fil des jours, les jeunes finissant par réaliser des œuvres communes qui ont été exposées et montrées aux représentants de la CEPGL [Communauté économique des pays des Grands Lacs] et aux autorités de la province du Nord-Kivu. La plupart des œuvres mêlaient les emblèmes des trois pays et étaient accompagnées de messages de paix.

 

Ce séjour nous a permis de découvrir que nous nous ressemblions beaucoup. Beaucoup se sont rapprochés ou liés d’amitié. Une Burundaise a même avoué un jour qu’elle était tombée amoureuse d’un jeune Congolais et qu’elle n’avait plus envie de repartir chez elle. Le public aussi a apprécié le travail. Lors de l’exposition, un jeune de Goma a dit : "Si tous les jeunes s’adonnaient à l’art, ils déserteraient les groupes armés".

 

Fort de ce succès, l’objectif, désormais, est d’exposer les œuvres qui n’ont pas été vendues et de construire une synergie entre les artistes et artisans de la région.

 

Des jeunes filles en pleine séance de gravure sur papier. Photo postée sur la page Facebook de L'art de la paix-UJADP.