Conséquence de la crise qui secoue la Centrafrique, les deux abattoirs de viande bovine à Bangui, la capitale, ont fermé leurs portes. Des abattoirs clandestins, ne respectant aucune norme d’hygiène et échappant à tout contrôle sanitaire, ont donc été délocalisés en brousse. Et la filière du boeuf fait les choux gras des anti-balaka, qui contrôlent désormais ce business.
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Sur un marché de Bangui. Photo envoyée par un de nos Observateurs.
Conséquence de la crise qui secoue la Centrafrique, les deux abattoirs de viande bovine à Bangui, la capitale, ont fermé leurs portes. Des abattoirs clandestins, ne respectant aucune norme d’hygiène et échappant à tout contrôle sanitaire, ont donc été délocalisés en brousse. Et la filière du boeuf fait les choux gras des anti-balaka, qui contrôlent désormais ce business.
"Je ne suis pas fier de vendre une viande non contrôlée mais je dois vivre"
Ange Bato Badja est boucher. Il vend sa viande sur des marchés situés dans les quartiers de PK12 et PK13 et vit à Bangui.
Depuis plusieurs semaines, ce sont les anti-balaka [milices d’auto-défense chrétiennes] qui contrôlent l’élevage de bovins après avoir dérobé le bétail aux éleveurs traditionnels, des Peuls musulmans [une information confirmée par plusieurs de nos Observateurs. La situation est identique à Bouar, dans l’ouest du pays]. Car de nombreux Peuls ont quitté Bangui après les évènements du 5 décembre [cette journée a été marquée par de violents affrontements qui ont fait plus de cent morts] et aujourd’hui, ils vivent en brousse.
Sur un marché de la ville de Bouar. Photo : Radio Siriri.
Les abattoirs sont désormais à 50, 60 voire 80 kilomètres de Bangui. Sachant que les moyens de transport sont chers et limités et les routes dans ces zones aussi reculées difficilement praticables, il est devenu très compliqué de se procurer du bœuf à Bangui. Découragés, de nombreux bouchers ont cessé leur activité. Moi, je continue mais peut-être plus pour très longtemps car je suis très fatigué.
Environ toutes les deux semaines, je me déplace en brousse en taxi-moto – l’option la plus économique – pour aller acheter des carcasses de bœufs découpées. Le voyage retour est exténuant car je suis extrêmement chargé. Les anti-balaka les vendent entre 15 000 et 20 000 francs CFA [entre 23 et 30 euros]. Le bœuf vivant lui vaut entre 90 000 et 100 000 FCFA [entre 135 et 150 euros], soit deux fois moins cher que le prix fixé par les éleveurs peuls, mais personne ne les achète car les moyens de locomotion pour les transporter font cruellement défaut.
L’autre problème, ce sont les taxes, ou plutôt le racket déguisé, appliquée par les anti-balaka entre Bangui et les zones de ravitaillement en brousse. Parfois, jusqu’à neuf barrières de contrôle séparent les deux lieux. Lors de chaque arrêt, il faut s’affranchir de 500 à 1000 FCFA [de 75 centimes à 1,50 euros].
Bien sûr, je ne suis pas fier de vendre une viande qui ne subit aucun contrôle vétérinaire et qui du coup est peut-être porteuse de maladies mais si je veux vivre, je n’ai pas le choix [l’abattage clandestin multiplie les risques de propagation de maladies infectieuses telles que la tuberculose ou de maladies parasitaires comme le ténia]. Le bœuf, c’est ma vie. Mais les vrais coupables sont ceux qui nous gouvernent. Ils devraient prendre à bras-le-corps ce problème en commençant par dépêcher des vétérinaires en brousse car il y a urgence. Ensuite, dans un second temps, il faut rétablir le calme à Bangui pour que les éleveurs peuls reviennent et que les deux abattoirs agréés soient de nouveau opérationnels. Ainsi, les bouchers pourront exercer normalement sur les marchés et proposer une viande de qualité.
Interrogé par FRANCE 24, Patrick Ningata, directeur technique de la Société d’État de gestion des abattoirs en Centrafrique (SEGA), pointe quant à lui les conditions d’approvisionnement. "Avant que la situation ne devienne chaotique à Bangui, cinq camions assuraient le ravitaillement, ce qui était suffisant car les bêtes étaient disponibles à proximité du centre-ville. Les allées et venues étaient permanentes". Mais au plus fort du conflit les cinq véhicules ont été réquisitionnés par d’ex-éléments de la Séléka. Aujourd’hui, alors que les ex-Séléka ont fui la capitale centrafricaine, quatre camions manquent à l’appel, quant au cinquième il n’est actuellement pas en état de marche. Et Patrick Ningata d’ajouter : "En temps normal, deux cent à deux cent cinquante bovins approvisionnaient chaque jour les marché de Bangui, désormais, s’il est difficile de communiquer les chiffre exacts, leur nombre est dérisoire".