République Démocratique du Congo

À Goma, on va chercher l’eau potable … au Rwanda

 Bien qu’elle soit située au bord du lac Kivu et dans un pays qui abrite plus de la moitié des réserves d’eau douce d’Afrique, la ville de Goma manque d’eau potable. Quand les robinets des habitants ne sont pas à sec, ces derniers se plaignent d’un goût amer et d’effets indésirables. La population est donc contrainte de se ravitailler dans les robinets rwandais.

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Deux habitants de Goma s'apprivisionnent en eau dans le lac Kivu.

 

Bien qu’elle soit située au bord du lac Kivu et dans un pays qui abrite plus de la moitié des réserves d’eau douce d’Afrique, la ville de Goma manque d’eau potable. Quand les robinets des habitants ne sont pas à sec, ces derniers se plaignent d’un goût amer et d’effets indésirables. La population est donc contrainte de se ravitailler dans les robinets rwandais.

 

L’éruption du volcan Nyiragongo en 2002, dont les coulées de lave avaient atteint le centre-ville de Goma, a profondément endommagé le réseau de distribution de l’eau de la ville, géré par la Régie de distribution de l’eau de la RDC (Régidesco) et qui puise essentiellement dans le lac Kivu. Il n’a pas retrouvé depuis toute sa fonctionnalité, si bien que des quartiers entiers sont régulièrement privés d’eau, quand d’autres ont accès à une eau qu’ils soupçonnent d’être impropre à la consommation.

"L’eau du lac est claire et sans odeur, mais elle a un goût salé et amer"

Pascal a 21 ans et vit à Goma, où il est journaliste radio.

 

Même ceux qui ont la chance d’avoir de l’eau du robinet ne l’apprécient guère. C’est de l’eau qui vient du lac, elle est claire et n’a pas mauvaise odeur, mais elle conserve un goût salé et amer, très franchement elle n’est pas bonne. Il y a régulièrement des cas de typhoïde et de choléra : beaucoup d’habitants soupçonnent la Régidesco de ne pas traiter l’eau correctement. Tout le monde a accès au lac Kivu, c’est un endroit où beaucoup font leur lessive et où s’écoule les déchets de la ville. C’est normal que les gens n’aient pas confiance.

 

Et même en la faisant bouillir, le goût ne change pas. L’autre solution, ce sont les doses de produits assainissants distribuées par des ONG comme Oxfam, mais le goût est toujours aussi désagréable. Tout ce à quoi peut servir cette eau, c’est la vaisselle ou la lessive, et à la rigueur la toilette. Mais sûrement pas à la consommation. À l’inverse, l’eau du Rwanda vient des collines, est claire, sans odeur et n’a aucun goût.

 

Des habitants de Goma récoltent de l'eau au bord du lac Kivu. Photo : Papy Okito Teme. 

 

Du coup, certains habitants de Goma entreprennent d’aller chercher l’eau de l’autre côté de la frontière, chargés de bidons. Ce qui n’est pas sans contrainte explique notre Observatrice.

 

Des habitants de Goma se rendent à Gisenyi, chargés de bidon. Photo : Pascal Mulegwa.

 

"Quand on a de l’eau de Gisenyi, on l’utilise avec parcimonie"

Jeanne est une habitante de Goma.

  

Obtenir une autorisation pour aller à Gisenyi, de l’autre côté de la frontière, demande parfois un temps considérable. Du coup, certains envoient leurs enfants, que les gardes-frontières laissent passer sans papier.

 

Mais c’est parfois très dangeureux de se balader de nuit au Congo avec les bidons : des jeunes filles m’ont raconté avoir été plusieurs fois menacée de viols par des hommes en uniforme. Elles se déplacent depuis en groupe. Et c’est fatiguant : certains doivent partir à quatre heures du matin, pour pouvoir ensuite faire leur journée à l’école.

 

Seul le centre de Goma, où se trouvent les bâtiments officiels, les banques, les entreprises, les ONG et les logements les plus huppés, est à peu près correctement desservi en eau courante, mais il reste risqué de la boire. Pour le reste de la ville c’est très aléatoire. Certains ont l’eau de temps en temps, d’autres jamais. Dans ma maison, il y a quelques mois, l’eau était revenue pendant deux semaines, puis plus rien. C’est une vraie discrimination. Pour moi, cela relève d’un problème de gouvernance, il y a clairement un manque de volonté politique. Dans ma famille, on fait avec l’eau du lac, et quand on peut se le permettre, on achète de l’eau en provenance du Rwanda. Quand on en a, on l’utilise avec parcimonie pour s’abreuver et se laver.

 

Si Goma et Gisenyi sont accolées l’une à l’autre, le chemin peut être long, et certains habitants préfèrent acheter de l’eau à des revendeurs. Ils multiplient les allers-retours sur des vélos ou des tricycles pour handicapés, sur lesquels ils chargent des bidons remplis aux robinets publics du Rwanda et qu’ils revendent à prix d’or en RDC. "Pour un bidon de 20 litres, ça peut aller de 300 à 1000 francs congolais (0.23 à 0.78 euros) en fonction de la distance parcourue", explique à FRANCE 24 le journaliste Papy Okito Teme, du journal local "Échos d’Opinion". "D’autres retraitent carrément cette eau ici, afin d’en faire de l’eau minérale et la vendent 5 dollars (3.6 euros) le bidon de 20 litres, un prix inaccessible pour beaucoup. Quand à ceux qui n’ont pas les moyens de se payer ces bidons rwandais, ils sont contraints de boire l’eau du lac, avec les risques que ça comporte. Là aussi c’est devenu un business : le bidon de 20 litres d’eau du lac se monnaie autour de 200 FC (0.15 euro) pour ceux qui n’ont pas la possibilité de se déplacer jusqu’au lac."

 

Un revendeur d'eau du lac Kivu. Photo prise par Papy Okito Teme.

 

Les habitants de Goma ont manifesté à plusieurs reprises pour demander le retour d’une alimentation en eau potable pour tous. En décembre et janvier dernier, plusieurs quartiers de l’ouest de la ville avaient été touchés par une coupure généralisée. Des dizaines d’habitants avaient manifesté devant le siège de la Régidesco, laquelle avait imputé la coupure à la société nationale d’électricité (Snel), expliquant que le manque d’alimentation électrique ne lui permettait pas de desservir au même moment toute la ville. Contactée par FRANCE 24, la Régidesco du Nord-Kivu n’avait pas répondu à nos sollicitations au moment de la publication de cet article.

 

Manifestation le 30 décembre devant le siège de la Régidesco. Photo @Esther Nsapu .

 

 

Article écrit en collaboration avec Corentin Bainier (@cbainier), journaliste à France 24.