ALGÉRIE

En Algérie, un caricaturiste risque la prison pour un dessin non publié

 Djamel Ghanem, caricaturiste au quotidien régional "La Voix de l’Oranie", est poursuivi par la justice algérienne pour un dessin évoquant le président algérien Abdelaziz Bouteflika. Il encourt jusqu’à 18 mois de prison. Pourtant, son dessin n’a jamais été rendu public. 

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Photo de Djamel Ghanem qui circule sur les réseaux sociaux.

 

Djamel Ghanem, caricaturiste au quotidien régional "La Voix de l’Oranie", est poursuivi par la justice algérienne pour un dessin évoquant le président algérien Abdelaziz Bouteflika. Il encourt jusqu’à 18 mois de prison. Pourtant, son dessin n’a jamais été rendu public.

 

Outre la prison, le tribunal correctionnel d'Oran (ouest) a requis, le 11 février dernier, une amende de 30 000 dinars (300 euros environs) contre le caricaturiste, qui est poursuivi pour "outrage au président de la République".

 

Fait surprenant, le caricaturiste a été poursuivi en justice à la suite d'une plainte de son propre employeur, déposée en octobre 2013, pour un dessin qui devait paraître dans l'édition du 30 septembre 2013.

 

Dessin du caricaturiste d’El-Watan, le Hic, en soutien à Djamel Ghanem. Publié sur Facebook.

 

En attendant la décision, qui sera rendue le 4 mars prochain, les réseaux sociaux algériens se mobilisent pour défendre le journaliste, et une pétition réclamant l’abandon des poursuites à son encontre a récolté 1000 signatures depuis le 14 février.

 

Caricature de Djamel Ghanem dénonçant la pratique du piston dans le milieu professionnel. Postée sur une Facebook en soutien au journaliste.

 

Un rassemblement de soutien est également prévu, mercredi 19 février, devant les locaux du siège de la télévision algérienne à Oran.

"Abdelaziz Bouteflika n’est même pas représenté dans ce dessin"

Abderrahmane Semmar est membre du collectif d’activistes "Les Envoyés Spéciaux" et fait partie du comité de soutien.

  

C’est une grande première dans les annales du journalisme qu’un éditeur de presse dépose plainte contre un de ses employés pour outrage au président de la République, pour un contenu non publié. Ce quotidien est certes réputé pour avoir une ligne éditoriale complaisante envers les autorités, mais là une limite extrêmement grave vient d’être franchie.

 

Lors de l’audience, le 11 février dernier, le juge d’instruction a exercé des pressions terribles à l’encontre de ce jeune caricaturiste pour lui faire avouer qu’il avait insulté le président de la République. Pourtant, Abdelaziz Bouteflika n’est même pas représenté dans ce dessin. La caricature, que j’ai pu voir, montre en fait un homme qui se rend dans une pharmacie pour acheter des couches pour bébé. Sur le ton de l’ironie, le pharmacien lui demande "des couches de quel mandat ?". Le client répond qu’il veut des couches de taille "4e mandat" [Affaibli par la maladie et âgé de 76 ans, le président algérien n'a pas encore indiqué s'il se portera candidat à l'élection présidentielle du 17 avril ; NDLR]. L’idée du dessin, d’après ce qu’il m’a dit, est de dire que si Bouteflika brigue un 4e mandat, les Algériens seront infantilisés et continueront à porter des couches pour bébés. Je n’y vois aucune offense au chef de l’État.

   

Dessin de Djamel Ghanem critiquant l'immobilisme dans l'Enseignement. Posté sur Facebook.

 

La direction de "La Voix de l’Oranie" accuse également le journaliste d’"abus de confiance" et d'"accès frauduleux dans un système de traitement automatisé de données". Djamel Ghanem se serait introduit dans les archives de son journal pour y enregistrer un dessin. Mais il est journaliste, il est tout à fait normal qu’il enregistre ses fichiers dans le réseau du journal ! En fait, le journaliste m’a appris qu’il était en litige avec sa direction bien avant que cette affaire n'éclate. Il s’était plaint auprès de l’inspection du travail pour des salaires impayés.

 

Si ce procès paraît absurde, Djamel Ghanem risque réellement d’aller en prison en vertu de l’article 144 bis du code pénal punissant les outrages au président de la République. Le texte prévoit des poursuites sans qu’il y ait forcément publication d’un article ou d’un dessin. Vous risquez la prison rien que pour des propos jugés insultants envers le président Bouteflika tenus dans un café.

    

Le rapport annuel de Reporters sans frontières (RSF) sur la liberté de la presse publié le 12 février place l’Algérie à la 121e position sur un total de 180 pays, une légère amélioration par rapport à 2012 où le pays pointait à la 125e place.

 

Reste que plusieurs cas d’atteintes à la liberté d’expression ont été signalés ces derniers mois. Accusé d’outrage à un corps constitué, le blogueur Abdelghani Aloui est incarcéré depuis septembre 2013 pour avoir réalisé et publié sur Facebook des photomontages brocardant notamment le président Bouteflika. Tandis qu’il y a quelques jours, Ikram Ghioua, une journaliste du quotidien "L’Expression" qui s’apprêtait à couvrir le crash d’un avion survenu dans la région d’Oum El-Bouaghi (est) a été violemment tabassée par un commandant de la gendarmerie. Le militaire n’a pas été inquiété pour son acte…