Des Rwandaises battent le rythme de la réconciliation dans les Grands Lacs
La musique adoucit les mœurs… et rapproche les peuples. C’est en somme l’idée qui préside à la troupe de percussionnistes rwandaises Ingoma Nshya, un groupe qui défie les idées reçues. Composée uniquement de femmes alors que cette discipline est traditionnellement réservée aux hommes, elle réunit aussi des Tutsies et des Hutues. Leur musique véhicule une image de réconciliation dans un pays encore marqué par le génocide, mais également dans la région meurtrie du Kivu en RDC, où elles viennent de se produire.
Publié le :
Publicité
Concert de Ingoma Nshya en 2010.
La musique adoucit les mœurs… et rapproche les peuples. C’est en somme l’idée qui préside à la troupe de percussionnistes rwandaises Ingoma Nshya, un groupe qui défie les idées reçues. Composée uniquement de femmes alors que cette discipline est traditionnellement réservée aux hommes, elle réunit aussi des Tutsies et des Hutues. Leur musique véhicule une image de réconciliation dans un pays encore marqué par le génocide, mais également dans la région meurtrie du Kivu en RDC, où elles viennent de se produire.
La troupe est composée de 20 femmes. Elles jouent sur une douzaine de tambours différents, des rythmes traditionnels rwandais, mais également burundais ou sénégalais, et ont créé au fur et à mesure leurs propres enchaînements. Les femmes d’Ingoma Nshya proposent des spectacles chorégraphiés, où elles interprètent des chansons en kinyarwanda, une des langues officielles du Rwanda. Le dernier en date s’est tenu au festival Buzz’art de Goma mi-décembre.
Concert de Ingoma Nshya au festival Buzz'art de Goma en décembre 2013. Vidéo : Festival Buzz'art de Goma.
C’est en 2004 qu’Odile Gakire Katese, directrice adjointe du Centre Universitaire des Arts de Butaré au sud du pays, décide de créer une section de percussions réservée aux femmes. Le pari est audacieux : au Rwanda, le tambour est traditionnellement réservé aux hommes, notamment parce qu’il était l‘instrument qui rythmait les journées du Roi à l’époque de la monarchie. Odile Gakire Katese réunit des femmes issues de milieux pauvres et n’ayant aucune connaissance en musique, aussi bien tutsies que hutues. La troupe Ingoma Nshya ("Nouveau tambour" en kinyarwanda ) est officiellement créée en 2008 avec 20 membres. Et connaît rapidement le succès : elle se produit la même année à Goma, puis est invitée au Sénégal, aux Pays-Bas ou aux États-Unis. C’est là qu’elles rencontreront les fondateurs de la marque de crèmes glacées bio Blue Ice Cream, dont elles ouvrent une enseigne à Butaré. Ce tout premier magasin de glaces au Rwanda contribue aujourd'hui au financement de la troupe.
Le Rwanda s’est déchiré en 1994 lors d’un conflit qui a opposé les deux principales ethnies du pays, Hutus et Tutsis. Un conflit qui a donné lieu a un génocide : environ 800 000 personnes ont trouvé la mort, en grande majorité des Tutsis. Une guerre qui s’est répercuté dans la République Démocratique du Congo voisine, la région frontalière du Nord-Kivu, très riche en minerais, est le théâtre d’un conflit latent qui a opposé dernièrement l’armée congolaise (FARDC) appuyée par la force de l’ONU en RDC (Monusco), au mouvement séparatiste du M23, que Kinshasa accuse d’être soutenu par le Rwanda, ce que Kigali nie formellement. Les FARDC ont mené une offensive de grande ampleur en novembre dernier, repoussant le M23 hors des frontières de la RDC.
Concert de Ingoma Nhsya en 2010.
"Ces femmes véhiculent un message d’espoir car elles sont la preuve vivante de la reconstruction d’un pays"
Odile Gakire Katese est comédienne, metteuse en scène et écrivain. Elle a fondé Ingoma Nshya, dont elle est la directrice artistique. Elle n’y joue pas mais supervise la vie de la troupe.
Il n’a jamais été dans nos intentions de véhiculer un message politique, mais qu’on le veuille ou non, on incarne forcément une image de réconciliation. Et c’est celle qui prévaut quand on se produit hors de Rwanda. C’est le cas aux États-Unis ou aux Pays-Bas, mais surtout dans les pays qui connaissent eux-mêmes des crises aujourd’hui comme la RDC.
Nous avons joué pour la première fois en 2008 à Goma. Beaucoup de gens nous déconseillaient d’y aller pour des raisons de sécurité. Mais nous avons été très bien accueillies et nous y sommes retournées à plusieurs reprises. Mais nous l’avons fait parce qu’on savait que ça ferait passer un message fort : d’abord, parce que le fait que des Congolais invitent des Rwandais était très important et on se devait d’accepter. Ensuite parce que les personnes qui ont assisté au concert ont pu voir un groupe dans lequel jouent ensemble des personnes issues d’ethnies qui se sont entredéchirées. Ces femmes véhiculent un message d’espoir, car elles sont la preuve de la reconstruction d’un pays. À l’occasion de leurs concerts en RDC, elles échangent régulièrement avec le public. Certains sont sceptiques sur les chances de réconciliation au Kivu, mais les femmes d’Ingoma Nshya racontent leur expérience et montrent ce qui est possible.
Peu m’importe combien de Hutues et de Tutsies composent la troupe. On travaille avec des femmes qui ont toutes des histoires terribles derrière elles, les évoquer ne sert à rien. Il faut regarder vers l’avant, le fait que des femmes d’origine différentes travaillent ensemble est suffisant.
Une percutionniste du groupe. Photo postée sur Flickr par Emre Kanik.
"C’était excitant d’être les premières femmes tambourinaires dans le pays"
Il faut bien comprendre également que le message que nous incarnons est perçu de façon d’autant plus forte qu’il est porté par des femmes tambourinaires, ce qui est quelque chose encore très tabou au Rwanda. Pour briser ce tabou, il fallait faire mieux que ce que font les hommes percussionnistes : c’est pour ça que nous avons élaboré un spectacle avec des chorégraphies des costumes, et que nous jouons des rythmes issus de différentes cultures. Nous avions envie d’inscrire quelque chose dans l’histoire du tambour au Rwanda. C’était excitant d’être les premières femmes tambourinaires dans le pays.
Dès nos débuts en 2004, la troupe a été submergée de demandes et ça continue. Il y avait 100 femmes au départ, nous avons dû malheureusement réduire aux 20 meilleures pour avoir une troupe viable. Cet engouement continue, et montre que les femmes rwandaises évoluent et refusent la fatalité. Elles voient les exemples de femmes ordinaires, qui n’attendaient rien de la vie, dont le seul "diplôme" était d’avoir un mari, et qui se sont épanouies avec la musique. Cela suscite des vocations et c’est tant mieux.
"J’ai été impressionné par la puissance du son qui émanait de la scène"
Gaïus Kewene est blogueur à Goma.
Je les aies vues récemment en concert à Goma lors du festival Buzz’art . Je n’avais jamais vues de femmes jouer du tambour, car en RDC comme au Rwanda, ce sont les hommes qui jouent. J’avoue que j’étais surpris : je pensais que ça serait juste un petit concert avec quelques instruments, mais j’ai été impressionné par leur nombre, leur capacité à jouer sur de vrais tambours africains et la puissance du son qui émanait de la scène.
Article écrit en collaboration avec Corentin Bainier (@cbainier), journaliste à France 24. Remerciement à Gaïus Kowene qui a signalé ce sujet à la rédaction des Observateurs.