CENTRAFRIQUE

Désarmement à Bangui : "Ils cachent les armes dans des faux-plafonds"

 Dans le cadre de l’opération Sangaris, des militaires français et africains à Bangui tentent depuis lundi de désarmer toute personne disposant d’une arme dans les rues de la capitale centrafricaine. Mais si l’état-major français affirmait lundi soir que la population de Bangui "n’est plus menacée", nos Observateurs s’inquiètent des stratégies développées par les ex-Séléka et certains civils armés pour échapper aux contrôles.

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Un soldat de l'opération Sangaris dans les rues de Bangui samedi. Photo publiée sur Diaspora.

 

Dans le cadre de l’opération Sangaris, des militaires français et africains à Bangui tentent depuis lundi de désarmer toute personne disposant d’une arme dans les rues de la capitale centrafricaine. Mais si l’état-major français affirmait lundi soir que la population de Bangui "n’est plus menacée", nos Observateurs s’inquiètent des stratégies développées par les ex-Séléka et certains civils armés pour échapper aux contrôles.

 

Après ses premières interventions, l’armée française avait affirmé lundi dans la journée n’avoir rencontré aucune résistance particulière et que la plupart des groupes armés avaient quitté leur position dans la zone. Quelques heures plus tard, deux soldats français du 8e Régiment parachutiste d’infanterie de Marine (8e RPIMa) de Castres en opération dans le quartier Combattant ont été mortellement blessés par des individus armés.

 

La mission de ces hommes consistait à récupérer le maximum d’armes auprès des habitants. Les troupes de l’opération Sangaris ont par ailleurs mis en place une interdiction de circuler à certaines heures, ainsi que des check-points où ils fouillent habitants et véhicules. La veille, un ultimatum avait été fixé aux groupes armés, notamment des ex-rebelles de la Séléka, pour qu'ils se rassemblent au camp Béal, dans le centre de Bangui, une opération de cantonnement relativement suivie lors des premières 24 heures, d’après plusieurs journalistes présents sur place.

 

Contactés par FRANCE24, nos Observateurs à Bangui affirment que les violences continuent en marge de ces opérations, principalement dans les quartiers reculés, en dehors des grands axes.

"Il faudrait faire du porte-à-porte pour être vraiment efficace"

Jacques (pseudonyme) vit à Km-5, quartier dans l’ouest de Bangui où des civils armés de machettes circulaient sans être inquiétés vendredi.

 

Il y a déjà eu des passages de l’armée française au Km-5 où elle a récupéré des armes, le problème est qu’elle se concentre essentiellement sur les grands axes et quelques maisons des carrefours. Les militaires français ne s’aventurent pas pour le moment dans les petites ruelles, exactement là où la plupart des ex-Sélékas se terrent et ont caché des armes.

 

Par ailleurs, ces derniers jours, les ex-rebelles se font beaucoup plus discrets : ils s’habillent en civil, ne se baladent jamais avec leurs armes, et pour certains ont même ôté leur signe distinctifs, notamment des couvre-chefs portés par les musulmans, avec lesquels ils circulaient jusqu’alors. Mais la nuit, ils sortent par groupe et font le tour des maisons pour voler et piller. Pour identifier les non-musulmans, ils ont instauré un code : ils rentrent dans les maisons et demandent "salamalekoum, kalimat assir ?" ("Bonjour, mot de passe ?") et si tu ne connais pas la réponse, ils n’hésitent pas à te tabasser et à piller ta maison.

 

Ce qui rend les opérations très complexes, c’est aussi le fait qu’il y a énormément de badauds qui rodent lors des opérations de l’armée française et que toute intervention pourrait toucher des civils. Ce qui serait vraiment efficace, ce serait de faire du porte-à-porte pour récupérer les armes. Mais c’est extrêmement dangereux, car dès que les soldats français se rapprocheront des cachettes d’armes, les ex-Sélékas n’hésiteront pas à se rebeller et à faire d’autres victimes parmi les militaires français.

"Certains déposent leurs armes pour montrer patte blanche mais en gardent autant chez eux"

Jenope (son nom a été changé) habite dans un quartier de la ville qui a fait l’objet d’une opération de désarmement lundi. Il ne souhaite pas en donner le nom.

 

J’ai constaté que beaucoup d’ex-Sélékas ont fait mine de montrer patte blanche à l’armée française en allant naturellement à leur rencontre lorsqu’ils sont passés dans le quartier pour déposer deux ou trois armes qu’ils avaient chacun en leur possession. Pour autant, ils ne se sont toujours pas rendus au centre de cantonnement et on peut les voir à la tombée de la nuit arpenter les rues avec une nouvelle arme.

 

Je sais qu’un ami a été contraint de travailler pour des gens qui disent être des officiers de la Séléka. Ils lui ont demandé de confectionner des faux-plafonds et des fosses en béton dans certaines maisons du quartier. Puis ils ont sorti un arsenal d’armes et les ont lancé dans la fosse. Apparemment, ils vont attendre que la situation se calme pour les ressortir.

 

Opération de contrôle des véhicules sur un des axes de la ville de Bangui hier. Photo Diaspora.

"Beaucoup estiment que le désarmement n’est pas suivi d’opération de sécurisation"

Au PK-13, à la sortie nord-ouest de Bangui, Prospert Yaka Maïde, journaliste pour un quotidien local, organise des discussions entre les communautés musulmanes et chrétiennes de son quartier.

 

Dans mon quartier, qui fait environ cinq kilomètres de long, les militaires français sont venus mais n’ont fouillé que des maisons qui s’étalaient sur un kilomètre au niveau du marché à bétail. Ici, il y a énormément de personnes, musulmans comme chrétiens, qui sont armés. Moi-même j’ai eu en ma possession pendant quelques jours une Kalachnikov que j’ai décidé de rendre.

 

Beaucoup sont très réticents à l’idée de déposer leurs armes car ils estiment que les opérations de désarmement ne sont pas suivies d’opération de sécurisation. Ils me disent "l’armée française va récupérer nos machettes, nos arcs, nos fusils, et après ? Ils vont s’en aller, et aucune force de gendarmerie ou de la Fomac ne viendra assurer la sécurité de la zone !".

 

Ils ont clairement peur des actes de vengeance dont ils pourraient être victimes une fois désarmés. Pour moi, il faudra au moins une semaine pour faire baisser les tensions et que chacun accepte, du moins parmi les civils, que l’escalade de la violence, d'un côté comme de l'autre, ne sert à rien.

 

Mardi, au lendemain de la mort des deux soldats, les envoyés spéciaux de FRANCE 24 notaient que la présence de soldats français était plus rare dans les rues de la capitale. Le président français est attendu dans la soirée de mardi à Bangui pour rencontrer les troupes françaises et les autorités de transition.

 

 

Cet article a été rédigé en collaboration avec Alexandre Capron (@alexcapron), journaliste pour les Observateurs de FRANCE 24.