Vidéo : un détenu battu par l’armée afghane sous les yeux de soldats américains
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Ces images commencent à faire parler d’elles. On y voit des soldats afghans battre un détenu sous les yeux de militaires américains. En Afghanistan et aux États-Unis, deux de nos Observateurs s’inquiètent que nombre des crimes commis sur le terrain, pendant cette guerre qui dure depuis plus de 12 ans, restent impunis.
Ces images commencent à faire parler d’elles. On y voit des soldats afghans battre un détenu sous les yeux de militaires américains. En Afghanistan et aux États-Unis, deux de nos Observateurs s’inquiètent que nombre des crimes commis sur le terrain, pendant cette guerre qui dure depuis plus de 12 ans, restent impunis.
La vidéo a circulé sur les réseaux sociaux afghans début septembre, avant d’être supprimée. Elle a cependant pu être récupérée par le journaliste du magazine "Rolling Stones", Matthieu Aikins, qui enquête actuellement sur les accusations de crimes de guerre portées à l’encontre des forces spéciales américaines en Afghanistan.
Sur les images, des hommes en uniforme de l’Armée nationale afghane [ANA] plaquent au sol un homme pieds et mains liés, et le fouettent à plusieurs reprises. À une minute, des individus non-identifiés, mais qui d’après leurs apparences et leurs uniformes, semblent être des soldats américains, apparaissent à l’image. Ils regardent sans sourciller le détenu se faire maltraiter.
ATTENTION CES IMAGES PEUVENT CHOQUER
On ne sait toujours pas exactement, quand et où la scène a été filmée. Contacté par FRANCE24, un porte-parole de l’ISAF [la Force internationale d’assistance et de sécurité, le nom donnée à la coalition dirigée par l’Otan en Afghanistan, NDLR] a affirmé avoir connaissance de ces images, et que le bureau d’enquête criminelle de l’armée américaine avait été informé. "L’ISAF traite avec beaucoup de sérieux les accusations de comportement déplacé portées à l’encontre de son personnel, et s’engage à les examiner", a-t-il ajouté. Le ministère de la Défense afghan a également affirmé, qu’il diligentera une enquête sur cet incident.
Selon les derniers chiffres de l’ISAF, 86 000 membres des troupes de la coalition sont toujours présents en Afghanistan, parmi lesquels 60 000 militaires américains. Ils soutiennent les quelque 187 000 soldats de l’ANA qui ont pris progressivement la direction des opérations de combat dans le pays.
"Tout ce que nous pouvons espérer est que cela ait été rapporté au commandement afghan"
Ernesto Haibi est un ancien médecin militaire américain. Il a pris sa retraite en 2009, après avoir servi en Irak.
Sur un théâtre d’opération comme l’Afghanistan, où nous ne sommes pas chez nous, il faut y aller doucement. Si des forces d’occupation dans un pays disent aux soldats nationaux, ce qu’ils doivent faire, cela renforce le sentiment anti-impérialiste. Évidemment qu’il aurait été préférable d’empêcher que ça se produise [le passage à tabac], mais il faut respecter le Status of Forces Agreement (SOFA) [accord juridique entre un pays et une nation étrangère stationnant des forces armées dans ce pays, NDLR]. Dans ce cas précis, ces soldats afghans se trouvaient peut-être en dehors de notre chaîne de commandement. Si des membres de l’Otan étaient effectivement présents, tout ce que nous pouvons espérer est que cet incident ait été rapporté au commandement afghan. Ensuite, laissons-les gérer. Mais s’ils [les soldats afghans] l’ont fait pour le simple plaisir de torturer quelqu’un, ils doivent être sévèrement punis.
C’est facile avec le recul de se dire qu’on aurait dû intervenir. Au tout début de mon affectation [en Irak], si j’avais assisté au même genre de scène que celle de la vidéo, j’aurais essayé de la stopper. Mais à la fin, je n’avais qu’une envie, c’était de m’en aller, et donc de rester en dehors de tout ça. La guerre, c’est l’enfer.
Ce n’est pas la première fois que des soldats américains en Afghanistan font l’objet de ce genre d’accusations de complicité. Un rapport, publié mercredi 6 novembre par Human Rights Watch, affirme que des centaines d’accusations ont été portées ces dix dernières années contre l’armée américaine pour complicité ou participation dans des cas de maltraitance de détenus, en Afghanistan, en Irak, à Guantanamo ou dans les prisons secrètes de la CIA. L’organisation de défense des droits de l’Homme critique le gouvernement américain pour le faible nombre d’enquêtes et de poursuites qu’il a menées contre les atteintes aux droits de l’Homme, dont leurs forces sont accusées, après douze ans passés en Afghanistan.
"Dans les dossiers, où des soldats américains ont été impliqués, il y a rarement eu de poursuites"
Ahmad Quraishi est un journaliste afghan, installé à Kaboul.
Il y a une semaine, l’armée américaine a été accusée de complicité dans le meurtre de 18 civils dans la province de Nerkh en Afghanistan. C’est une accusation grave, mais malheureusement, les États-Unis n’ont pas pris ce problème à bras-le-corps, et peu d’enquêtes ont été ouvertes. S’ils prouvent leur sincérité en traduisant leurs soldats en justice, alors cela pourra améliorer, peu à peu, les relations avec les populations locales. S’il n’y a pas d’enquête ou de poursuite, cela réduira la confiance que les populations ont en l’Otan et le gouvernement afghan.
Les gens font davantage confiance à l’Armée nationale afghane qu’aux troupes internationales. J’ai moi-même assisté à des procès, que l’ANA avait montés contre certains de ses membres accusés de crimes similaires à celui-ci, et où elles avaient été condamnées à de longues peines de prison. Je pense que l’ANA a davantage fait appliquer la loi que les troupes de l’Otan.
De manière générale, dans les dossiers où des soldats américains ont été impliqués, il y a rarement eu de poursuites. L’autre problème c’est que lorsqu’il y a effectivement des poursuites, la plupart des Afghans n’en entendent pas parler : seulement deux millions de personnes ici ont accès à Internet. Pour restaurer la confiance entre ses forces et la population afghane, l’Otan doit prouver que ses soldats accusés sont innocents. Si elle ne peut pas, elle doit communiquer sur qui a été poursuivi, et à combien d’années de prison ils ont été condamnés. Aujourd’hui, nous ne savons pas ce qu'il se passe. Ce manque d’information constitue une partie du problème.
Billet écrit avec la collaboration d' Andrew Hilliar (@andyhilliar), journaliste à France 24.