SYRIE

Les djihadistes réinventent la mise en scène des attentats suicides en Syrie

 Les attentats suicides sont utilisés lors des conflits depuis des décennies. En Syrie, les djihadistes ont toutefois perfectionné leur mise en scène. Ils postent aujourd’hui sur le Net des vidéos de propagande, qui montrent leurs attaques, des préparatifs à l’instant final, pour mieux marquer les esprits.  

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Capture d'écran de la déflagration du deuxième attentat suicide, qui a frappé un checkpoint de l'armée syrienne dans la région de Qualamoun.

 

Les attentats suicides sont utilisés lors de conflits depuis des décennies. En Syrie, les djihadistes ont toutefois perfectionné leur mise en scène. Ils postent aujourd’hui sur le Net des vidéos de propagande, qui montrent leurs attaques, des préparatifs à l’instant final, pour mieux marquer les esprits.

ATTENTION : LES IMAGES CI-DESSOUS PEUVENT CHOQUER

Les groupes djihadistes actifs sur le territoire syrien, notamment ceux affiliés ou proches d'al-Qaïda, filment désormais leurs opérations de bout en bout. Leurs kamikazes sont priés de rester au téléphone avec leur chef, jusqu’à ce qu’ils appuient sur le détonateur. L’objectif semble être de rendre les images diffusées sur le Net plus poignantes, pour galvaniser la jeunesse musulmane, et recruter des candidats à l’attentat suicide.

 

Cette vidéo [ci-dessous] est une bonne illustration de ces mises en scène. On y voit le kamikaze apprendre à conduire un transport de troupes blindés BMP1, pris à l’armée régulière, et qui sera chargé d'explosifs. À 13'42'' se produit une énorme explosion, qui souffle un immeuble. Ce qui est inédit dans cette vidéo, c’est qu’elle montre, de 14'59'' à 16'50'', des habitants de la ville de Ghouta remercier le Front al-Nosra pour cet attentat, qui les "a débarrassés du checkpoint Tomeh, qui leur rendait la vie impossible". Des "vox pop" dans le jargon journalistique.

 

Vidéo de l'attentat contre le barrage de Tomeh, dans la banlieue de Damas : "vengeance en réponse aux attaques aux armes chimiques"

 

Cette vidéo [ci-dessous] est l’une des premières à montrer la progression du véhicule piégé vers sa cible. Ce camion, conduit par un kamikaze syrien, est filmé à 4'20'' jusqu'à la déflagration à 4'41''.

 

Vidéo de l'attaque contre un bâtiment occupé par des milices syriennes et palestiniennes pro-Assad, "rue des 30", dans le camp palestinien de Yarmouk.

 

Cette autre vidéo [ci-dessous], qui met en scène une attaque du Front al-Nosra contre un checkpoint de l’armée syrienne, à l’entrée du village chrétien de Maaloula, montre les préparatifs, l’entretien avec le kamikaze jordanien, la scène d’adieu, puis les images de l’attaque elle-même. Et pour la première fois, on entend la conversation radio entre le kamikaze et ceux qui le guident à distance. La conversation radio commence à 15'32''. À 16'08'', on demande au kamikaze de "réduire sa vitesse à 20-30 km/heure, car il y a une voiture civile qui s’est arrêtée au barrage", et qu’ "il faut préserver le sang des musulmans". A 16'57'', le camion explose.

 

Vidéo de l'attentat suicide du Front al-Nosra contre le checkpoint de l'armée syrienne à l'entrée du village chrétien de Maaloula.

 

Dans cette dernière vidéo [ci-dessous], les kamikazes restent en communication avec leur équipe jusqu’au moment ultime de l’explosion. L’objectif de la conversation est clairement d’être enregistrée pour être ensuite diffusée sur Internet. A deux reprises, à 12'50'' et à 14'18'', il est même demandé aux kamikazes, deux par véhicule, de "rester au téléphone". A 15'12'', le conducteur de la première voiture déclare être arrivé au checkpoint de l’armée syrienne. On l’entend dire "bienvenus les collègues" en s’adressant aux soldats syriens en poste, formule qui amuse ses collègues au bout du file ; puis quelques secondes plus tard, on voit la première déflagration. Les responsables de l’attaque demandent alors aux kamikazes de la deuxième voiture de "ne pas décevoir leurs frères". Et à 17'01'', intervient la seconde explosion.

 

Vidéo de l’attentat suicide de Nabak perpétré par l’Unité Verte active dans la région de Qualamoun, également présenté comme "une vengeance en réponse aux attaques aux armes chimiques".

"La prochaine étape est de raconter le parcours personnel des kamikazes"

 

Mohamad, chef d’une unité rebelle proche du Front al-Nosra, explique la stratégie de communication de son groupe. Son commentaire, recueilli par FRANCE 24, montre que ces attaques suicides sont effectivement soigneusement scénarisées. Outre l’objectif militaire, ce sont également des leviers de propagande.

 

Aujourd’hui, le Front al-Nosra essaie, à travers ces vidéos, de rallier le plus grand nombre de combattants. Elles s’adressent avant tout à la jeunesse arabe et aux Syriens. Elles montrent à nos compatriotes que ces jeunes, qui viennent de part le monde, ne sont pas stupides ou fous, mais des gens comme eux. Ces images sont aussi une façon de concurrencer l’État Islamique d’Irak et du Levant [autre groupe djihadiste présent en Syrie], qui attire le plus grand nombre de djihadistes étrangers. 

 

C’est aussi un moyen de revendiquer nos actions. Car le régime fomente aussi des attentats, pour ensuite nous en faire porter la responsabilité. Nous voulons montrer que le Front al-Nosra cherche à éviter, autant que possible, les victimes civiles, ce qui est visible dans plusieurs de ces vidéos.

 

J’ai moi-même connu Abou Jafar le Tunisien, qu’on voit dans la dernière vidéo de l’Unité Verte [Attentat suicide de Nabak ci-dessus, NDLR]. C’est un jeune homme qui a étudié en France, et vécu plus de six ans en Espagne. On s’est même battus côte à côte lors de la bataille de Nabi Younes. Il n’avait rien d’un fou.

 

Nous songeons à améliorer encore nos vidéos. Nous pensons maintenant y inclure le parcours personnel des kamikazes.

L’attentat suicide, qualifié d’"arme du faible" par les experts militaires, a été adopté par les djihadistes en Syrie, mais il avait déjà été employé par des "combattants de Dieu" afghans, libanais, palestiniens et irakiens. Ce type d’attaque se retrouve dans la plupart des conflits dits "asymétriques". Au cœur du Pacifique, à la fin de la Seconde Guerre mondiale (1939-1945), les aviateurs japonais, les kamikazes, lançaient déjà leurs avions sur les bâtiments de la marine américaine.

 

Ce billet a été écrit avec la collaboration de Wassim Nasr (@SimNasr), journaliste à France24.