Bamako : brûlé vif pour avoir volé une moto
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Jeudi dernier, un homme qui venait de voler une moto a été lynché par la foule en plein centre-ville de Bamako, avant d’être brûlé vif. Un 320, comme on l’appelle au Mali, le prix d’un bidon d’essence et d’une boîte d’allumettes.
Capture d'écran de la vidéo prise par notre Observateur, Boubacar Camara.
Jeudi dernier, un homme qui venait de voler une moto a été lynché par la foule en plein centre-ville de Bamako, avant d’être brûlé vif. Un 320, comme on l’appelle au Mali, le prix d’un bidon d’essence et d’une boîte d’allumettes.
Attention, les images sont choquantes
Il est environ 20 heures jeudi 3 octobre quand deux hommes sont pris en chasse, dans le quartier Hippodrome à Bamako, par une foule en colère. Ils viennent de voler une "Jakarta", ces petites motos chinoises qui circulent un peu partout en Afrique, en menaçant son propriétaire d’une arme à feu. Si l’un semble être parvenu à s’échapper, l’autre est rattrapé par les habitants du quartier sur une avenue très fréquentée. Pour les Bamakois interrogés, l’histoire est presque banale, mais elle en dit long sur le climat d’insécurité dans la capitale malienne et sur la démission de la police locale, qui ferme les yeux sur cette atroce justice populaire.
Photo envoyée par notre Observateur, Boubacar Camara.
"Les policiers m’ont répondu : 'Si c’est un voleur de Jakarta, ce n’est pas grave'"
François (pseudonyme) habite le quartier Hippodrome. Il a été témoin du lynchage.
Je me rendais au restaurant en voiture avec ma femme quand je suis tombé sur cette scène. Il a été battu, avant d’être aspergé d’essence puis enflammé. Au moins 200 personnes assistaient à la scène. Elles étaient déchaînées. Elles scandaient : "Voleur ! Faut le tuer ! On va le brûler !". On ne pouvait rien faire sans risquer d’être pris à partie. Pour un Malien, sa Jakarta, c’est sa vie. S’il se la fait voler, tout le monde comprend qu’il veuille se venger.
Au feu rouge suivant, j’ai interpellé des policiers qui faisaient la circulation. Je leur ai dit que quelqu’un venait de se faire brûler juste à côté. Ils m’ont répondu : "Si c’est un voleur de Jakarta, ce n’est pas grave".
"Si une personne crie 'au voleur' en désignant quelqu’un, tout le monde va lui courir après"
Ces actes de délinquance sont en recrudescence depuis le coup d’État de 2012. Il y a moins de travail et ça explique une augmentation des vols. Mais les Maliens ne supportent pas ça. Alors si une personne crie "au voleur" en désignant quelqu’un, tout le monde va lui courir après.
Ce qui s’est passé jeudi soir est extrêmement banal au Mali. C’est d’ailleurs le cas sur tout le continent. Cette fois, ça a marqué les esprits parce que ça s’est produit sur un axe très fréquenté, devant beaucoup de monde, mais ce genre de choses arrive très fréquemment.
Les cas de voleurs, réels ou supposés, victimes de la vindicte populaire, ne sont en effet pas rares. En août dernier, un jeune homme a ainsi été roué de coups puis brûlé vif après avoir fauché une moto. En mai, ils avaient été trois à subir le même sort.
"L’article 320 est de retour", avait alors titré le site d’information maliactu.net. Inutile de chercher à le consulter, l’article 320 n’existe dans aucun code de procédure pénale. Mis en place après la révolution de mars 1991, il désigne une pratique consistant à faire justice soi-même pour palier à une justice et une police jugées inefficaces. Pourquoi 320 ? Parce qu’à l’époque, c’est ce que coûtaient un bidon d’essence et une boîte d’allumettes…
Oublié pendant près de vingt ans, l’article 320 est de plus en plus appliqué depuis le coup d’État de mars 2012 et la crise politique et militaire qui s’en est suivie. "Le coup d’État et la justice populaire sont différentes expressions d’une même logique provoquée par le sentiment que l’État échoue à appliquer la justice. Quand on considère que le gouvernement a abandonné ses devoirs fondamentaux, prendre les choses en main à travers la violence est jugé légitime et même salutaire", écrivait en avril 2012 le chercheur en anthropologie Bruce Whitehouse sur son blog (article en anglais).
"Ces actes de justice populaire sont inhérents à toute sortie de crise, reconnaît-on au gouvernement malien. Nous les condamnons. Le président s’est engagé à restaurer l’autorité de l’État et le gouvernement prend ses dispositions pour que de tels agissements ne se reproduisent plus."
D'autres cas de justice populaire ont déjà été rapportés sur le site des Observateurs.
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Article écrit avec la collaboration de François-Damien Bourgery (@FDBourgery), journaliste à FRANCE 24.