Les habitants de Venise déclarent la guerre aux bateaux de croisière
Venise, son pont Rialto, sa basilique Saint-Marc, ses gondoles, ses bâtiments pittoresques... et ses bateaux de croisière géants. Plusieurs de ces mastodontes traversent chaque jour la Cité des Doges, suscitant la colère de nombreux résidents, parmi lesquels notre Observateur.
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Un bateau de croisière traversant Venise. Capture d'écran de la vidéo ci-dessous.
Venise, son pont Rialto, sa basilique Saint-Marc, ses gondoles, ses bâtiments pittoresques... et ses bateaux de croisière géants. Plusieurs de ces mastodontes traversent chaque jour la Cité des Doges, suscitant la colère de nombreux résidents, parmi lesquels notre Observateur.
Entre 1997 et 2012, le nombre de navires de croisière naviguant à Venise est passé de 206 à 661, avec une hausse de 2,5% attendue en 2013. L'an dernier, ils ont transporté quelque 1 775 000 touristes sur le canal de la Giudecca, qui offre une vue imprenable sur la place Saint-Marc. Alors que le gouvernement italien a publié un décret qui fixe à 40 000 tonnes maximum le poids d’un bateau qui traverse Venise, cette mesure a été ignorée par les autorités portuaires qui affirment que ces paquebots de croisière ne présentent aucun risque pour la sécurité et sont même une aubaine pour l'économie locale. Selon le comité Venise Cruise, un lobby composé de professionnels du tourisme, les croisiéristes dépensent chaque année près de 150 millions d'euros dans la ville italienne.
Les Vénitiens opposés aux bateaux de croisière craignent que leur ville se transforme en une sorte de Disneyland ou de Las Vegas. Photo publiée sur le blog No Grandi Navi.
Face aux protestations toujours plus vives des résidents, mais aussi de l'Unesco et de la ministre de l'Environnement, les autorités locales envisagent désormais plusieurs alternatives, comme la possibilité de faire accoster les bateaux de croisière au port de Marghera, situé dans la lagune de Venise, à l’écart de la ville. Une décision devrait être prise début octobre.
Une vidéo réalisée par les opposants montrant les bateaux de croisière à Venise.
"Tous ces bateaux nous cachent le soleil"
Tommaso Cacciari vit à Venise où il est né. Il fait partie du comité No Grandi Navi ("Non aux grands navires").
Les plus hauts bâtiments de Venise culminent à environ 14 mètres alors que ces bateaux font plus de 60 mètres de hauteur. Quand ils traversent le canal, ils cachent le soleil et depuis que des discothèques ont été installées à bord, ils font beaucoup de bruit.
Et encore, tout ça, ce ne sont que des détails comparé au reste. Les moteurs de ces navires consomment du fioul lourd, qui est un combustible très polluant. Quand ils accostent à Venise – où ils restent souvent pendant plusieurs heures – les moteurs ne sont pas coupés car il faut faire vivre les restaurants et les magasins qui se trouvent à l’intérieur. Ce qui provoque un immense nuage de fumée noire sur une grande partie de la ville.
Un navire traversant la ville.
Bizarrement, quand les bateaux sont amarrés, la connexion Internet des riverains qui se trouvent aux alentours est très perturbée, certains se plaignent également de ne plus recevoir certaines chaînes de télévision. Ce phénomène est sûrement dû aux radars des navires.
Manifestation "anti-gros navires" sur terre et sur mer le 9 juin 2013.
"À ce rythme, dans 50 ans, la profondeur de la lagune aura tellement augmenté que celle-ci est vouée à disparaître."
Et puis il y a les effets créés sur la ville elle-même. À chaque passage, les bateaux déplacent des quantités d'eau énormes qui s’écrasent contre les parois des bâtiments, fragilisant un peu plus les fondations construites sur des pilotis en bois et remuant les sédiments qui forment la célèbre lagune. Et puis une lagune profonde ne protège plus la ville de la mer, notamment à marée haute. [Chaque année, la lagune perd entre 750 000 et 1 million de tonnes de sédiments. Les autorités sont en train d’ériger un barrage pour éviter toute innondation].
Des manifestants bloquent le canal, le 21 septembre.
Enfin, ici les gens s'inquiètent de la possibilité d'un accident. On nous répète à l’envie qu'une catastrophe comme le Costa Concordia ne peut pas se produire à Venise parce qu’il n’y a pas de rochers. Pas de rochers peut-être, mais des maisons, ça, nous en avons plein.
"Par rapport aux coûts qu’ils représentent, ces grands bateaux ne présentent pas beaucoup d’avantages"
Par rapport aux coûts qu’ils représentent, ces grands bateaux ne présentent pas beaucoup d’avantages – les navires paient aux autorités portuaires un droit de naviguer dans Venise mais cet argent va dans les caisses de l'État, et non dans celles de la ville.
Pour dénoncer cette situation, nous avons organisé plusieurs manifestations au cours de la dernière année et demie : des sit-in, des bateaux-in [blocage du canal par les bateaux de riverains], et certains ont même bloqué des navires en plongeant dans le canal. Toutes ces actions nous ont conduits au tribunal. Mais la plupart des gens à Venise nous soutiennent [pour l’heure, 12 400 résidents ont signé une pétition anti-gros navire tandis que la ville compte environ 58 000 habitants]. Je suis sûr que notre combat va porter ses fruits. D’ici peu, les gros bateaux navigueront loin de la ville.
Des opposants particulièrement énervés saluent à leur manière un bateau de croisière.