Dans une embarcation de réfugiés syriens : "Les gardes-côtes égyptiens nous ont tiré dessus"
Ils sont déjà plusieurs centaines de Syriens réfugiés en Égypte à avoir tenté de fuir vers l’Italie, porte de l’Europe. Pour beaucoup ce voyage a été un enfer. C’est, par exemple, le cas de centaines de clandestins hommes, femmes et enfants qui, à peine partis d’Alexandrie en bateau, ont été contraints de faire demi-tour à cause des tirs des gardes-côtes égyptiens. Deux personnes ont été tuées. Du centre de détention où ils sont incarcérés, les survivants ont décidé de parler.
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Des réfugiés syriens et palestiniens sur le bateau sur lequel des gardes côtes égyptiens ont tiré mardi, tuant deux migrants. Toutes les photos ont été publiées sur Facebook par le mouvement de solidarité aux réfugiés syriens en Égypte.
Ils sont déjà plusieurs centaines de Syriens réfugiés en Égypte à avoir tenté de fuir vers l’Italie, porte de l’Europe. Pour beaucoup ce voyage a été un enfer. C’est, par exemple, le cas de centaines de clandestins hommes, femmes et enfants qui, à peine partis d’Alexandrie en bateau, ont été contraints de faire demi-tour à cause des tirs des gardes-côtes égyptiens. Deux personnes ont été tuées. Du centre de détention où ils sont incarcérés, les survivants ont décidé de parler.
L’incident s’est déroulé au lever du soleil le mardi 17 septembre. Depuis, la cour de justice d’Alexandrie a ordonné la libération des prisonniers, mais au moment où nous écrivons ces lignes, la police égyptienne ne les a toujours pas libérés.
Selon les réfugiés interviewés par FRANCE 24, ainsi que des représentants d’organisations de défense de droits de l’Homme locales, les gardes côtes ont ordonné au bateau de faire demi-tour, mais le capitaine, un passeur égyptien, a refusé. Les gardes-côtes ont alors ouvert le feu. Les réfugiés témoins de la scène affirment que la femme a reçu trois balles dans le dos. Selon le communiqué de la police égyptienne, un garde côté aurait tiré en l’air et les balles auraient accidentellement touché des réfugiés.
Parmi les passagers, il y avait plusieurs Palestiniens ayant fui la Syrie. Le consulat palestinien d’Alexandrie affirme qu’il travaille actuellement à la libération des détenus. Parallèlement, dans un communiqué officiel, le Hamas a demandé que les responsables de la mort des deux réfugiés soient traduits en justice.
Si ces réfugiés ne sont par parvenus à atteindre l’Italie, d’autres ont eu plus de chance : les Nations unies estiment que 4 600 réfugiés syriens ont rejoint le pays cette année, dont les deux tiers dans le seul mois d’août. Le voyage en bateau dure en moyenne deux semaines.
"On n’a pas compris pourquoi ils ont tiré, aucun de nous n'était armé, il y avait des enfants à bord !"
Rihaf Adel Abu Usba a 31 ans. Elle était sur le bateau lorsque les gardes côtes ont tiré.
Je suis d’origine palestinienne et je vivais à Damas. J’ai quitté la Syrie il y a 14 jours par avion, avec mon mari et mes deux enfants âgés de 2 et 4 ans. Beaucoup de pays n’ont pas voulu de nous, l’Égypte était notre seule option. On voulait rester ici, mais on a vite réalisé que les Syriens n’étaient pas les bienvenus [depuis la chute du président Mohammed Morsi en juillet, les réfugiés syriens sont régulièrement harcelés car considérés comme des soutiens des Frères musulmans].
Nous avions décidé d’essayer de nous rendre en Suède, un pays beaucoup plus accueillant pour les réfugiés syriens. Nous avons payé des passeurs environ 3 000 dollars [2 200 euros] par adulte pour rejoindre l’Italie en bateau. Puis le voyage pour la Suède nous aurait coûté environ 1 000 euros.
Des enfants attendent que le bateau retourne à quai après que deux personnes aient été tuées.
Lundi soir, le passeur a réuni 150 réfugiés dans un immeuble en construction. Nous sommes restés cachés là jusqu’au matin, puis on nous a conduits jusqu’à la plage où nous avons embarqué sur un petit bateau. Puis on nous a emmenés sur un plus gros bateau qui était censé nous mener à une troisième embarcation, qui faisait route vers l’Italie… mais nous ne sommes pas allés très loin.
Lorsque les gardes-côtes sont arrivés au niveau de notre bateau et ont commencé à tirer, c’était la panique. On ne comprenait pas pourquoi ils faisaient ça, aucun d’entre nous n’était armé, et il y avait des enfants à bord ! On a refusé de quitter le bateau et on a essayé d’appeler des médias égyptiens. Quelques journalistes sont arrivés au moment où le bateau a été forcé d’accoster, mais les soldats ne nous ont pas laissé leur parler. Ils nous ont forcé à descendre promettant qu’on n’irait pas en prison, mais à peine étions nous descendus, qu’ils nous ont conduits au centre de détention. On est là depuis trois jours maintenant et nous ne savons pas quand on sortira. Tout le monde est traumatisé, on a le sentiment qu’on n’est en sécurité nulle part.
"Les passeurs ne sont pas des marins, ce sont des criminels"
Waleed (pseudonyme) est un réfugié syrien détenu dans le même centre de détention. Il a essayé de se rendre en Italie sur un autre bateau, il y a trois semaines.
J’ai quitté la Syrie et ses violences il y a neuf mois. J’avais un bon métier là bas, mais au Caire, je n’ai trouvé aucun travail. Mes poches sont vides, j’ai une femme et deux enfants en bas âge. Grâce à des amis, j’ai entendu parlé de passeurs égyptiens qui, moyennant 7000 dollars, pourraient emmener ma famille d’Alexandrie jusqu’en Italie. Nous pensions ensuite rejoindre la Suède.
Durant mon voyage sur le bateau, il y avait beaucoup de remous. Lors d’un transfert entre deux bateaux, un des passeurs a glissé et s’est retrouvé coincé entre les deux coques. Il a été gravement blessé, mais nous avons continué notre route. Dix heures après, il est décédé de ses blessures. Les autres passeurs ont alors décidé de faire demi-tour. Personne n’a protesté. En fait, tout le monde était soulagé : les passeurs se comportaient comme des tyrans avec nous. Ils nous insultaient, refusaient de nous donner de l’eau. Ils étaient tous drogués, ce n’était pas des marins, c’était des criminels.
Ils nous ont débarqué sur une île déserte appelée Nelson, non loin de la côte d’Alexandrie. On y a passé une nuit avant d’appeler l’armée égyptienne pour leur demander de venir nous sauver.
"Le centre de détention est tellement sale que les enfants ont attrapé des maladies de peau”
Depuis, nous sommes retenus au centre de détention dans des conditions indignes. Il y a trop de monde là dedans. Nous n’avons aucun matelas, aucune couverture. Les enfants dorment à même le sol, beaucoup d’entre eux, dont mon enfant, ont attrapé des rashs tellement c’est sale ici.
Des réfugiés dorment sur le sol à la station de police de Montaza, un des centres de détention d'Alexandrie.
Nous n’avons aucune idée de quand nous allons sortir [selon l’avocat et défenseur des droits de l’Homme Mahinour El-Masry, 512 réfugiés sont en ce moment détenus dans les prisons d’Alexandrie] Et quand je serai dehors, je ne sais pas ce que je ferai. J’ai donné toutes mes économies à ce passeur, je ne reverrai jamais cet argent. Je ne tenterai plus la traversée vers l’Europe, c’est trop dangereux. Nous sommes bloqués ici.
Ce billet a été rédigé en collaboration avec Gaelle Faure (@gfaure), journaliste pour les Observateurs de FRANCE 24.