"Je fais un métier de femme pour lutter contre les préjugés au Burkina"
Publié le : Modifié le :
Dans les rues de Bobo-Dioulasso, la deuxième plus grande ville du Burkina Faso, Souleymane Bamba apparaît comme un précurseur, ou comme un provocateur. Ce Ghanéen a choisi d’être un pileur d’igname, un métier normalement réservé aux femmes.
Souleymane Bamba (à droite), a inspiré d'autres hommes de son quartier, qui commencent à pratiquer des activités initialement réservées aux femmes. Photos et vidéo de notre Observatrice Bassératou Kindo.
Dans les rues de Bobo-Dioulasso, la deuxième plus grande ville du Burkina Faso, Souleymane Bamba apparaît comme un précurseur, ou comme un provocateur. Ce Ghanéen a choisi d’être un pileur d’igname, un métier normalement réservé aux femmes.
L’igname est une plante comestible semblable au manioc très consommée au Burkina Faso. Pour qu’elle soit comestible, il faut d’abord la faire bouillir puis la piler pendant de longues minutes dans un mortier pour fabriquer une pâte élastique appelée le foutou. Ce métier, très physique, est pratiqué essentiellement par des femmes au Burkina Faso, comme celui de "gnonmi" [vendeur de galettes] ou encore le nettoyage des ordures.
"Un de mes collègues n’a pas supporté le regard des gens"
Souleymane Bamba a 31 ans. Il est arrivé au Burkina Faso en 2006 pour travailler dans un restaurant comme pileur d’igname.
J’exerçais déjà ce travail au Ghana [pays frontalier du Burkina Faso] depuis 2003, qui est chez nous un métier essentiellement exercé par les hommes car c’est un travail qui nécessite de la force physique et de l’endurance. Quand je suis arrivé au Burkina, j’ai été très étonné de voir que c’était essentiellement des femmes qui faisaient ce travail. Toutes celles que j’ai rencontré ont des problèmes de dos et aux articulations. Elles faisaient ce métier par défaut, car ici tout ce qui concerne la cuisine est réputé être l’affaire des femmes.
Lorsque j’ai commencé à travailler ici, j’ai rapidement remarqué que les regards étaient moqueurs et j’ai eu droit à des remarques désobligeantes : que je volais le travail des femmes, ou que je ne ferais jamais le travail aussi bien qu’une femme. Le restaurant a même ponctuellement perdu des clients parce que c’était un homme qui pilait l’igname.
Mais ensuite, il y a des hommes burkinabés qui ont été inspirés par ce que je fais. Deux ont rejoint le restaurant et nous étions un temps trois hommes à piler l’igname. Mais l’un d’entre eux n’est pas resté car il disait que les regards des gens dans son quartier avaient changé depuis qu’il faisait ce boulot de femme. Certaines personnes le traitaient même de mauviette.
C’est un travail très difficile. Je passe 8 heures par jour à piler. Je gagne 30 000 francs CFA (environ 45 euros) par mois pour ce travail. Mais pour rien au monde je ne changerais de travail, c’est aussi une manière de montrer que les hommes peuvent également pratiquer ce genre de métiers et ainsi changer les mentalités.
Une de nos Observatrices, Bassératou Kindo, a tenu à apporter son soutien au pileur d’igname : "beaucoup d’hommes Burkinabés, notamment les jeunes de Bobo-Dioulasso, sont encore réticents à faire ce genre de travail, alors qu’il y a clairement des possibilités d’emploi".
Une réflexion non dénuée de bon sens dans un pays où, selon l’Observatoire National de l’emploi et de la formation professionnelle (ONEFP), les hommes représentent 71% des demandeurs d’emplois, contre 29% pour les femmes.
Cet article a été rédigé en collaboration avec Alexandre Capron (@alexcapron), journaliste aux Observateurs de France 24.