PAKISTAN

"Les Baloutches du Pakistan vivent la peur au ventre"

 Des centaines de Baloutches ont été enlevés ces dernières années par les services de renseignement pakistanais qui tentent de mater les velléités indépendantistes de cette communauté dans le sud-ouest du Pakistan. Notre Observateur, qui appartient à l’ethnie baloutche mais n’est pas un activiste politique, explique vivre dans la terreur d’être victime de cette chasse aux sorcières. 

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Des centaines de Baloutches ont été enlevés ces dernières années par les services de renseignement pakistanais, qui tentent de mater les velléités indépendantistes de cette communauté dans le sud-ouest du Pakistan. Notre Observateur, qui appartient à l’ethnie baloutche mais n’est pas un activiste politique, explique vivre dans la terreur d’être victime de cette chasse aux sorcières.

 

L’organisation "Voice for Baloch Missing Persons" ("Voix des Disparus Baloutches") affirme que les personnes enlevées sont souvent torturées et tuées, leurs corps étant ensuite retrouvés sur des bords de routes ou pendus à des arbres. Dans un rapport intitulé "Nous pouvons vous torturer, tuer, ou vous enfermer pendant des années”, l’ONG Human Rights Watch explique que ces "‘disparitions forcées’, orchestrées par les branches sécuritaires de l’Etat, sont devenues un aspect majeur du conflit au Balouchistan."

 

Cette organisation s’est jointe aux Nations Unies pour demander au Pakistan de mettre un terme à ces "dispartitions forcées." Les puissants services de renseignement pakistanais ne nient pas qu’ils détiennent des centaines de Baloutches, mais assurent qu’ils sont "100% certains" que ces détenus sont tous des indépendantistes violents.

 

Cette photo prise le 11 Aout 2013 montre des grévistes de la faim au Balouchistan. Le leader de la grève, Mama Qadeer, est assis au centre. Il est le père d’un étudiant militant, Jalil Reki Baloch, qui a été kidnappé et tué. Mama Qadeer passe toute la journée assis dans cette tente, et ne mange que la nuit tombée. D’autres manifestants se joignent régulièrement à lui.

 

Les indépendantistes baloutches veulent prendre le contrôle d’une région que le Pakistan a selon eux envahi en 1948, un an après que le pays ait obtenu son indépendance vis à vis des Britanniques. Le gouvernement pakistanais conteste cette version des faits, arguant que le Balouchistan n’avait jamais été un État indépendant. Cette région a en outre une importance stratégique : c’est non seulement la plus vaste province du Pakistan, mais elle est aussi riche en ressources naturelles et partage une frontière avec l’Afghanistan.

 

Les militants baloutches ont eux aussi régulièrement recours à la violence : le 8 août, des membres de l’Armée de la Libération du Balouchistan (BLA) ont par exemple tué par balle 13 passagers d’un bus au sud-est de la capitale de la province, Quetta. Quelques jours plus tard, un attentat suicide a tué près de quarante personnes lors de l’enterrement d’un chef de la police à Quetta ; là aussi, le BLA a été soupçonné.

 

Photo d'une manifestation à Londres le 24 Aout 2013. Les manifestants du Baloch Human Rights Council ont écrit une lettre au premier ministre britannique demandant son aide pour mettre fin au "génocide". Photo publiée sur la page Facebook du groupe. 

« J’ai trop peur pour manifester – j’ai cinq enfants et je ne veux pas qu’ils grandissent sans père »

Baloch (pseudonyme) vit à Quetta. Il est de l’ethnie baloutche, mais n’appartient à aucun parti politique ni groupe militant.

 

Dans quasiment chaque famille baloutche, il y a au moins une personne qui a ‘disparu’. Moi, c’est mon cousin qui a été emmené par des hommes des forces de sécurité. Deux mois plus tard, son corps sans vie à été trouvé au bord d’une route. A l’hôpital, les médecins ont procédé à une autopsie. Ils ont conclu qu’on lui avait non seulement tiré dessus, mais qu’on avait aussi percé ses côtes – il a donc apparemment été torturé. Les autorités l’accusaient d’être un militant, mais il ne l’était pas.

 

Des personnes sont enlevées tout le temps, et souvent on retrouve leurs corps un peu plus tard. Ce lundi encore, on a retrouvé un cadavre de Baloutche.

 

Une manifestation en soutien aux personnes disparues, à Quetta, en août.

 

« Je pourrais me faire enlever à n’importe quel moment »

Je soutiens les manifestations ainsi que la grève de la faim, mais je n’y ai jamais pris part. J’ai trop peur. J’ai cinq enfants et je ne veux pas qu’ils grandissent sans père.

 

Je suis contre les actes violents, car la violence engendre la violence. Des personnes innocentes sont tuées par les forces de sécurité – des femmes, des enfants, des poètes, des enseignants. Je vis la peur au ventre : je pourrais me faire enlever à n’importe quel moment. C’est ce sentiment qui pousse certains d’entre nous à se battre.

 

Une manifestation en soutien aux personnes disparues, à Quetta, en août.

 

C’est notre sixième guerre depuis 1948. Et quel est le résultat ? Encore plus de haine et de violence. [Les violences et les enlèvements sont en forte hausse depuis que le leader nationaliste baloutche Nawab Akbar Bugti est mort en 2006. Selon les militants, l’armée l’aurait attiré dans un guet-apens puis bombardé la grotte dans laquelle il s’était réfugié. De son coté, le gouvernement affirme que cette grotte se serait effondrée toute seule, Ndlr.]

 

Si les indépendantistes n’attaquent pas l’armée, c’est parce qu’elle est trop bien protégée. Du coup ils s’attaquent à des civils, généralement des pachtounes. [Au Pakistan, les langues maternelles sont utilisées pour démarquer les ethnicités. Environ 55% des habitants du Balouchistan ont le baloutche comme langue maternelle, 30% le pachto, et les 15% restant le Sindhi, le Seraki, le Pendjabi ou l’Ourdu.]

 

Je ne comprends pas comment la violence peut conduire à la paix et à la prospérité. Mais je souhaite l’indépendance, car tout humain devrait avoir le droit de vivre sans la peur et la répression.

 

Une manifestation en soutien aux disparus, à Quetta, en août.