PAKISTAN

Vivre à Quetta, repaire de terroristes

 Ancienne destination touristique prisée, Quetta, au sud-ouest du Pakistan, est aujourd’hui une ville où peu de monde ose s’aventurer. Peu d’informations sortent donc de cette cité devenue un sanctuaire pour les terroristes de tous bords. Nos Observateurs sur place racontent leur quotidien, dominé par la peur.

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Après un attentat à Quetta, le 8 août.  

 

Ancienne destination touristique prisée, Quetta, au sud-ouest du Pakistan, est aujourd’hui une ville où peu de monde ose s’aventurer. Peu d’informations sortent donc de cette cité, devenue un sanctuaire pour les terroristes de tous bords. Nos Observateurs sur place racontent leur quotidien, dominé par la peur.

 

Jeudi dernier, près de 40 personnes sont mortes dans un attentat suicide lors des funérailles d'un policier. Le lendemain, dix personnes étaient tuées dans l’attaque d’une mosquée par un homme armé lors de la prière de l’Aïd el-Fitr. L’enquête est en cours pour indentifier les responsables de ces attaques, qui contribuent au malaise profond ressenti chaque jour par les habitants de Quetta.

 

Deux conflits se jouent au Baloutchistan, dont le territoire historique s’étend au-delà de la frontière iranienne. L’un implique l’Armée de libération du Baloutchistan (BLA) et ses visées séparatistes, l’autre des extrémistes sunnites qui multiplient notamment les attentats contre la communauté minoritaire des chiites Hazaras.

 

Ces extrémistes sunnites venus d’Afghanistan se sont installés dans les environs du Baloutchistan après la chute des Taliban en 2001. Notamment des terroristes d’al-Qaïda et de Lashkar-e-Jhangvi, lié aux talibans. Ce dernier groupe est notamment connu pour ses attentats contre les pélerins et les mosquées chiites. La Commission des droits de l’Homme au Pakistan estime que plus de 2000 Hazaras ont été tués depuis 2001 et que quelque 50 000 auraient fui Quetta, laissant un demi-million de leur coreligionnaires, regroupés dans deux zones de la ville, Hazara Towb et Alamdar Road.

 

De leur côté, les séparatistes du BLA commettent régulièrement des attentats contre les forces de sécurité pakistanaises. Ces dernières ripostent en multipliant les arrestations arbitraires de Baloutches.

 

Quetta est une ville dangereuse. La plupart des Pakistanais ne peuvent même pas envisager de s’y rendre, et aucun étranger ne peut y aller sans escorte. Les informations émanant de cette ville sont donc très rares.

“Je donnerai n’importe quoi pour que Quetta redevienne comme elle était…. Nous avions l’habitude d’accueillir des touristes du monde entier"

Zarak Khan est banquier et vit à Quetta. Pachtoune et sunnite, sa famille y est établie depuis 700 ans.

 

Peu importe que vous soyez pachtoune, sunnite ou hazara : ici, personne n’est en sécurité. Tout le monde à Quetta est stressé et déprimé : vous ne croisez pas de gens qui sourient dans les rues, des groupes de gens qui rigolent ou regardent des matchs de foot. C’était le cas avant, ça ne l’est plus. Aujourd’hui, si les gens sortent, c’est pour aller aux enterrements. Je donnerai n’importe quoi pour que Quetta redevienne comme elle était…. Nous avions l’habitude d’accueillir des touristes du monde entier.

 

Les forces de sécurité sont partout, mais quand on voit des véhicules chargés d’armes circuler dans toute la ville, cela augmente notre peur. L’explosion de la semaine dernière, qui a tué des agents de ces forces de sécurité, a profondément miné le moral de tout le monde. Le jour suivant, pour la première fois de ma vie, je ne suis pas allé à la mosquée pour l’Aïd, car mon père m’a dit que c’était trop dangereux. 

 

La casquette du chef de la police et d'autres affaires lui appartenant, lors de son enterrement, jeudi 8 août à Quetta. Photo: Jamal Tarakai

 

Mon seul espoir réside dans l’armée et la police. Je ne crois pas que les hommes politiques soient en mesure de nous aider. Les forces de sécurité se sont sacrifiées pour nous, comme nous l’avons vu la semaine dernière.

 

Tout le monde à Quetta a déjà vécu une attaque. En 2007, une bombe est tombée sur le bord d’une route, près de là où je me trouvais avec des cousins. Ça les a tellement effrayés qu’ils ont quitté Quetta après. Il y a deux ans, une roquette lancée depuis les montagnes par des séparatistes s’est écrasée juste à côté de ma maison. En janvier, j’étais au club de billard lorsqu’un attentat suicide y a été perpétré. Cent-vingt personnes sont mortes.

 

Photo prise par Jamal Tarakai, après l'explosion lors des funérailles du chef de la police. 

 

Nos vies commencent et se terminent à la maison. Notre vie sociale se résume à nos déplacements pour aller au travail et en revenir. La plupart des gens ne sortent plus de chez eux. Depuis six mois, même les écoles ne sont plus en sécurité. Tout parent ayant un enfant à l’école a peur.

 

Peut-être que je devrais déménager. J'y pense sérieusement depuis six mois. Ce n'est pas simple quand votre vie et toutes vos attaches sont dans une seule ville. Mais nous ne pouvons pas rester ici.

"Si la police ne peut se protéger elle-même, comment peut-elle nous protéger nous?"

Basit Ali est photographe. Chiite hazara, il vit dans le quartier de Alamdar Road.

 

Être hazara ici, c’est vivre comme un oiseau en cage. Les seuls coins un peu sûrs sont Alamdar Road, où je vis et travaille, et Hazara Town. Nous n’allons pas faire des courses hors de notre zone, nous ne pouvons pas nous rendre à l’université. Nous sommes socialement paralysés.

 

Les sunnites avaient l’habitude de vivre ici avec nous, mais ils ont tous déménagé de peur d’être victimes collatérales des attentats. Tout le monde sur la photo (voir ci-dessous) est hazara. Les terroristes sunnites ont des planques dans la ville, où ils se réfugient immédiatement après avoir commis leurs actes meurtriers contre les hazaras.

 

 

Alamdar Road à Quetta. Photo : Basit Ali. 

 

Ça fait une décennie que nos rues sont inondées de sang. Les deux derniers attentats, sur la moquée et lors des funérailles des policiers, montrent que la ville a été cédée aux terroristes. Le cimetière hazara ne cesse de s’agrandir, tellement il y a de morts dans les attaques suicides et les explosions.

 

Des Hazaras près de Alamdar Raod. Photo : Basit Ali

"La police nous cherche en permanence. Nous ne sommes pas tous des terroristes !"

Abdul est un enseignant baloutche qui vit à Quetta.

 

Nous vivons une époque dangereuse. Des milliers de Baloutches ont été enlevés et tués par les autorités, qui les suspectent d’être des nationalistes. La police a pris mon cousin et l’a tué. Elle le suspectait d’être membre de la BLA, mais il ne l’était pas. Son corps a été laissé dans les faubourgs de Quetta et nous avons dû aller le récupérer en voiture. Les membres des familles de personnes disparues, dont beaucoup sont morts, manifestent régulièrement pour demander qu’on retrouve leurs proches. Presque tous les Baloutches ont un membre de leur famille qui a été assassiné.

 

Une manifestation pour les disparus baloutches, le 9 août à Quetta. Photo : un membre de Baloch Youth Wing, qui demande à garder l'anonymat.

Cet article a été rédigé avec la collaboration de Claire Williams (@clairewf24), journaliste à France 24.