Témoignages sur la Séléka et sa gestion ubuesque de la Centrafrique
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La Séléka a pris le pouvoir depuis plus de six mois en Centrafrique. Nos Observateurs dressent un bilan dramatique de leur gestion du pays et racontent les mesures ubuesques prises en province par les ex-rebelles.
À Bangui, la capitale de la Centrafrique, la situation s'est améliorée depuis quelques mois, à la différence des villes de province. Photo publiée le 11 aout sur Diaspora.
La Séléka a pris le pouvoir depuis plus de six mois en Centrafrique. Nos Observateurs dressent un bilan dramatique de la gestion du pays et racontent les mesures ubuesques prises en province par les ex-rebelles.
La Centrafrique, un des pays les plus pauvres d’Afrique, a sombré dans un véritable chaos institutionnel, sécuritaire et sanitaire depuis la prise de la capitale Bangui, en mars, par les rebelles de la Séléka. Régulièrement depuis juillet, plusieurs associations de défense des droits de l’Homme montent au créneau pour dénoncer la situation humanitaire dans le pays. Jusque là, la diplomatie internationale est restée très distante sur le dossier Centrafricain.
Ce mercredi 14 août, le Conseil de sécurité de l’ONU doit toutefois statuer sur les mesures à prendre envers les représentants de la Séléka, alors que Ban Ki-moon s’est d’ores et déjà prononcé en faveur de sanctions ciblées contre le gouvernement en place. En France, une réunion sur la situation humanitaire en Centrafrique s'est tenue au ministère des Affaires étrangères à la fin du mois de juillet. Le président français François Hollande a dit souhaiter que les Nations unies envoient davantage de forces de sécurité sur place, notamment dans les villes de province. Actuellement, seulement 300 hommes d’une force régionale de l’ONU sont présents à Bangui.
Les indicateurs socio-économiques étaient déjà dans le rouge avant l’arrivée de la Séléka : en 2011, le pays avait la deuxième espérance de vie la plus faible du monde (48 ans) et un taux de mortalité trois fois supérieur au seuil qui définit une urgence humanitaire. Plus de 60 % de la population centrafricaine vivait déjà en dessous du seuil de pauvreté avant la crise de 2013.
"La Séléka a institué une taxe pour rouler à vélo"
Jean-Claude (pseudonyme) habite à Alindao, une petite ville de moins de 15 000 habitants dans le sud-est du pays prise par la Séléka le 5 janvier dernier.
Cela fait huit mois que la ville d’Alindao est gérée par la Séléka, et on peut dire à tous les niveaux que nos conditions de vie se sont dégradées : la vie économique est au ralenti, les écoles ne fonctionnent pas, les hôpitaux manquent de médicaments… tout est bloqué ! Même les fonctionnaires de police ne sont pas revenus ici. Ce sont des membres de la Séléka qui assurent tous les postes : douanier, gendarme, représentant des eaux et forêts… alors qu’ils n’ont aucun niveau d’instruction !
Régulièrement, les petits commerçants doivent s’acquitter de nouvelles taxes. C’est un cercle vicieux : un nouveau groupe de la Séléka arrive et dit qu'il ne reconnaît pas la patente payée aux autres, donc qu'il faut en payer une nouvelle. Il y a même une taxe sur la mobilité qui a été instaurée : il faut payer 2000 francs CFA (3 euros) pour avoir le droit de circuler à moto, 500 francs (75 centimes d'euro) pour un vélo.
Ce qui me met hors de moi, ce sont les coups de fusil incessants qui retentissent à n’importe quel moment. Certains s’amusent à tirer à l’aveugle, et on reçoit parfois des balles sur nos murs. Lorsqu’on demande des explications à leurs représentants, on nous répond que c’est pour "nettoyer [inaugurer] leur nouvelle arme reçue de Bangui". Beaucoup fuient le centre-ville encore aujourd’hui pour aller vivre en brousse.
"On travaille sur des tables bricolées avec des bouts de bois"
Lyps (pseudonyme) habite à Bria, une ville au centre-est du pays Il est fonctionnaire en charge d’affaires sociales et a repris ses fonctions depuis la fin du mois de mai après avoir fui Bria pendant quatre mois.
De nombreux endroits sont toujours marqués par les pillages et les dégâts de ces derniers mois : dans les bureaux de la préfecture par exemple, la taule du toit a été enlevée, les portes et le mobilier ont été volés. Nous avons dû faire avec les moyens du bord et bricoler des chaises et des tables de fortune, avec des bouts de bois et de planches.
Je suis fréquemment en contact avec les représentants de la Séléka à Bria et j’ai le sentiment qu’ils sont à notre écoute ; en tout cas nous ne subissons aucune pression de leur part. Ils ont l’air totalement conscients qu’une poignée de leurs éléments sont incontrôlés et tentent, sans forcément y réussir, d’endiguer ce phénomène.
"Ils ‘réquisitionnent’ tous les bœufs"
Albert (pseudonyme) est un habitant de Kaga Bandoro, une grande ville du centre nord du pays.
La situation reste précaire, principalement à cause des réquisitions de bêtes par les membres de la Séléka. La plupart des animaux que possèdent les agriculteurs avaient été offerts par le précédent gouvernement pour développer l’activité agricole. La Séléka s’approprie leurs bœufs en leur expliquant que c’est parce que la politique de l’ancien gouvernement était mauvaise. Et s’ils n’obtempèrent pas, ils se font tirer dessus.
Le problème ne s’arrête pas là : une fois ces bêtes ‘réquisitionnées’, ils les font brouter dans les champs de manioc qu’ils confisquent également aux paysans. Avec ces bœufs, mieux nourris et donc plus gros, ils peuvent donc gagner beaucoup plus d’argent. Mais le manioc est l’aliment principal de la population. Or c’est le moment de l’année où les paysans doivent absolument cultiver leur terre. Si rien n’est fait, dans les deux mois à venir il y aura une grave crise alimentaire à Kaga Bandoro.
"À Bangui, on garde du cash en permanence au cas où il faudrait partir…"
Ange Ngassenemo habite dans la capitale Bangui. Il s’occupe d’un centre pour les enfants des rues.
À Bangui, la situation s’est un peu améliorée, et on observe une timide reprise des activités administratives et commerciales. Mais pour tout dire, on boite encore : les gens sont encore très marqués par le couvre-feu qui avait été imposé, la plupart n’osent pas sortir après 18 heures [officiellement, les couvre-feu ont été levés dans la capitale]. Et il n’y a pas une semaine sans qu’on apprenne qu’un taxi a été braqué.
On a le sentiment que la situation est bloquée : la plupart des habitants conservent beaucoup de monnaie liquide sur eux au cas où, demain, il faudrait partir. Les administrations ne fonctionnent toujours pas correctement : il est fréquent que les fonctionnaires rentrent chez eux en début d’après-midi car ils n’ont rien à faire.
Il n’y a plus trop d’incidents dans le centre-ville, comme durant les premiers mois, mais dans les faubourgs on continue d’entendre des coups de feu. Des hommes de la Séléka commettent toujours des vols une fois la nuit tombée.
Ce billet a été rédigé en collaboration avec Alexandre Capron (@alexcapron), journaliste pour Les Observateurs de FRANCE 24.