SRI LANKA

Une mosquée sri-lankaise prise d’assaut par des extrémistes bouddhistes lors de l’Aïd el-Fitr

 La fête de l’Aïd el-Fitr, qui célèbre la fin du ramadan, a eu un goût amer pour les musulmans de Colombo, la capitale sri-lankaise. Alors qu’ils étaient en train de prier samedi dans une mosquée du quartier de Grandpass, dans l’est de la ville, des extrémistes bouddhistes ont pris d’assaut et dégradé leur lieu de culte, faisant cinq blessés. Ce n’est pas la première attaque dont sont victimes les musulmans sri-lankais.

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Capture d'écran de la vidéo de surveillance de la mosquée. Les extrêmistes bouddhistes lancent des pierres en direction du lieu de culte.

 

La fête de l’Aïd el-Fitr, qui célèbre la fin du ramadan, a eu un goût amer pour les musulmans de Colombo, la capitale sri-lankaise. Alors qu’ils étaient en train de prier, samedi 10 août, dans une mosquée du quartier de Grandpass, dans l’est de la ville, des extrémistes bouddhistes ont pris d’assaut et dégradé leur lieu de culte, faisant cinq blessés. Ce n’est pas la première attaque dont sont victimes les musulmans sri-lankais.

 

La mosquée visée vient d’être construite. Elle se trouve à proximité immédiate d’un temple bouddhiste, ce qui avait d’abord suscité des réticences de la part des moines du temple. Mais un accord avait été trouvé entre les représentants des deux confessions pour que les musulmans puissent au moins utiliser le nouveau lieu jusqu’à la fin du ramadan, en attendant que le ministre sri-lankais des cultes se prononce sur un nouvel emplacement. Ce que certains bouddhistes n’auraient visiblement pas accepté.

 

D’après nos Observateurs à Colombo, l’assaut a été mené de façon concertée par un ou plusieurs groupes d’extrémistes bouddhistes qui estiment leur culture menacée par les musulmans. Ils ont caillassé le bâtiment, brisant les vitres et faisant cinq blessés. Un couvre-feu a été décrété dimanche. Il a depuis été levé et le calme est revenu dans le quartier, bien que les musulmans aient organisé une manifestation pour dénoncer cet incident.

 

 

Vidéos filmées par la caméra de surveillance de la mosquée.

 

En avril dernier, deux magasins tenus par des musulmans avaient également été saccagés, une attaque à laquelle avait participé des moines bouddhistes. Trois moines et 14 personnes avaient été arrêtés, puis libérés, car aucune plainte n’avait été déposée. Le Sri Lanka compte 20 millions d’habitants, dont plus de 70% sont bouddhistes, 13% hindous, environ 10% musulmans, le reste de la population étant chrétien.

 

La mosquée après l'attaque. De nombreuses vitres sont cassées. Photo publiée sur Twitter par @AzzamAmeen

 

"Des assaillants se sont même permis d’entrer dans la mosquée et ont uriné sur les tapis"

Hassan Abdul (son nom a été changé), musulman, est étudiant à Colombo. Il était dans la mosquée lors de l’attaque et a compilé les vidéos de surveillance qui ont filmé l’assaut pour les mettre sur YouTube.

 

Nous étions en train de prier pour le deuxième jour de l’Aïd el-Fitr, samedi en fin d’après-midi, lorsque nous avons entendu, à l’extérieur de la mosquée, des cris, des menaces et des insultes. Ils hurlaient 'sales musulmans, on va vous tuer !' Ils ont commencé à jeter des pierres sur le bâtiment et ont brisé beaucoup de vitres. Ils étaient plusieurs dizaines et étaient franchement menaçant : certains avaient, outre des pierres, des bâtons, en bois ou en fer, à la main, et j’en ai même vus avec des couteaux. Quelques assaillants se sont même permis d’entrer dans la mosquée et ont uriné sur les tapis…

 

Pour moi, c’est très clair, cette attaque était planifiée et organisée par des extrémistes bouddhistes. J’en veux pour preuve qu’elle a commencé juste après que les cloches du temple voisin se soient mises à sonner, comme un signal. Les assaillants sont arrivés d’un coup, comme on le voit sur les images, juste pendant qu’on priait et qu’il y avait donc un maximum de monde dans la mosquée. Par ailleurs, plusieurs des assaillants ne sont pas du quartier, on aurait dit qu’ils étaient venus exprès pour saccager la mosquée. Je n’exclus pas qu’ils aient même été payés pour ça, c’est déjà arrivé.

 

Lundi, l’armée a entouré le temple pour le protéger d’éventuelles représailles des musulmans. Mais il n’y a pas eu de tensions, je pense que les musulmans se savent en minorité, et que quoi qu’ils fassent, ça se retournera contre eux. Nous voilà contraints de retourner dans notre ancienne mosquée, pas adaptée, mais nous n’avons pas mieux dans ce quartier.

 

 

"Ces personnes s’approprient le bouddhisme comme un moyen d’affirmer leur identité sri-lankaise"

Paikiasothy Saravanamuttu est directeur du Centre for Policy alternative, une ONG sri-lankaise.

 

Il est clair que cette attaque était planifiée. Elle est le fait d’extrémistes de droite noyautés par certains moines bouddhistes qui nourrissent une vraie défiance envers les musulmans, qu’ils accusent de vouloir convertir tout le monde. Ils estiment notamment que le fort taux de natalité des familles musulmanes au Sri Lanka est un danger pour le pays. Mais ils entretiennent surtout de la jalousie envers certains business où prospère une classe moyenne supérieure musulmane, notamment dans la mode et le textile.

 

Il peut apparaître surprenant, voire choquant, de voir des bouddhistes se comporter de la sorte, car cela ne correspond pas à l’image et aux principes de cette religion. Mais il faut bien comprendre que ces personnes s’approprient le bouddhisme comme un moyen d’affirmer leur identité sri-lankaise face aux musulmans, et ne représentent qu’une branche extrême de cette religion.

 

Ce n’est pas la première fois que des violences de la sorte se produisent. Tout comme lors de l’attaque de magasins tenus par des musulmans en avril dernier, ces manifestations sont marquées par l’absence de répression envers les fauteurs de trouble. Ce qui s’explique assez simplement : le ministre de la Défense, Gotabhaya Rajapaksa, par ailleurs frère du président de la République, s’affiche en public avec des membres de la BBS [Bodu Bala Sena, "Le Pouvoir de la force bouddhiste"], le principal groupe d’extrémistes bouddhistes. Il ne faut pas s’étonner dès lors que la police n’arrête personne.

 

Article rédigé en collaboration avec Corentin Bainier (@cbainier), journaliste à France 24.