Noir et homosexuel, le difficile quotidien d’un migrant camerounais au Maroc
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Selon notre Observateur, il ne fait pas bon être migrant subsaharien au Maroc : les milliers d’Africains noirs qui y transitent dans l’espoir de rejoindre l’Europe y sont régulièrement victimes du racisme et de la violence de la population comme de la police. Alors que de nouvelles dérives ont été signalées par les associations des droits de l’Homme ces derniers jours, notre Observateur, camerounais, raconte son quotidien rendu d’autant plus pénible qu’il assume ouvertement son homosexualité.
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Notre Observateur à Tanger.
Selon notre Observateur, il ne fait pas bon être migrant subsaharien au Maroc : les milliers d’Africains noirs qui y transitent dans l’espoir de rejoindre l’Europe y sont régulièrement victimes du racisme et de la violence de la population comme de la police. Alors que de nouvelles dérives ont été signalées par les associations des droits de l’Homme ces derniers jours, notre Observateur, camerounais, raconte son quotidien rendu d’autant plus pénible qu’il assume ouvertement son homosexualité. Lire son récit…
Le Maroc compterait entre 20 000 et 25 000 migrants issus d’Afrique de l’Ouest selon la société civile, un phénomène qui s’est accru ces dernières années. La très large majorité d’entre eux rêvent de rejoindre l’Europe en pénétrant dans les enclaves espagnoles de Ceuta et Melilla, ou en embarquant sur la mer Méditerranée depuis Tanger, située à une quinzaine de kilomètres des côtes espagnoles. Cette situation entraîne des crispations au sein du royaume chérifien : alors qu’un hebdomadaire titrait en novembre dernier sur "le péril noir", en juillet, FRANCE 24 signalait les dérives de certains propriétaires qui refusent de louer leurs appartements aux Noirs.
Fin juillet, l’Association marocaine des droits de l’Homme (AMDH) a estimé que 6 400 migrants, pour la plupart Subsahariens, avaient été expulsés du Maroc depuis janvier 2013. Si le ministère de l’Intérieur assure que "la loi relative au séjour des étrangers au Maroc accorde toutes les garanties nécessaires à ces personnes et confère une protection particulière aux femmes enceintes et aux mineurs", l’AMDH dénonce, à l’instar d’autres associations de protection des droits de l’Homme, les violences récurrentes commises par la police.
Selon Aboubaker al-Kahamlichi, représentant de l’AMDH à Tanger, ces violences se sont d’ailleurs accrues début août à l’occasion de la visite du roi d’Espagne Juan Carlos à son homologue Mohammed VI : "c’est systématique : à chaque visite d’un Premier ministre espagnol ou du roi, la police veut montrer que le Maroc en fait un maximum pour dissuader les migrants de se servir de son territoire comme tremplin pour l’Espagne, assure-t-il. Toutes les occasions sont bonnes pour les tabasser".
Parmi les exactions dont sont victimes les Subsahariens, il mentionne une pratique qui consiste à faire embarquer des migrants dans un bus qui les lâchent à plusieurs dizaines de kilomètres de leurs habitations, les laissant se débrouiller, sans eau ni nourriture, pour rentrer chez eux. C’est ce qui est arrivé la semaine dernière à notre Observateur qui relate, à l’appui de cette expérience, les nombreuses humiliations dont sont victimes les migrants subsahariens de Tanger.
"Nous sommes traités comme des chiens sur notre propre continent"
Jospeh Y. (son nom a été modifié) est Camerounais. Il vit à Tanger d’où il essaye de rejoindre l’Europe.
J’ai quitté le Cameroun il y a un peu plus d’un an, car ma vie là-bas n’était plus supportable. L’homosexualité est très sévèrement réprimée et je risquais ma vie ou d’être mis en prison pour plusieurs années si je me faisais remarquer. J’ai donc migré vers le Maroc dans l’espoir d’accéder à l’Europe depuis Tanger.
Depuis que je suis ici, ma vie n’est pas plus simple : comme tous les Subsahariens, je suis victime de racisme en permanence. Par exemple, c’est quasiment impossible de trouver du boulot : j’ai une formation de pâtissier, mais personne n’a voulu m’embaucher parce que je suis Noir. Presque tous les migrants sont au chômage. Pour vivre, ils comptent sur l’aide de leur famille, ou alors mendient. Pour ma part, je me prostitue de temps en temps, ça me permet d’avoir un peu de sous mais j’ai du mal à joindre les deux bouts.
La police ne cesse pas de nous harceler. La semaine passée, ils sont venus à 5h30 du matin dans notre quartier de Boukhalef où résident beaucoup de Subsahariens, ont tambouriné aux portes et les ont défoncées lorsque les gens ne voulaient pas ouvrir. Ils nous ont dépouillé du peu d’argent que nous avions, de nos portables, puis nous ont mis violement dans des bus, femmes et enfants compris. Ceux qui résistent se font tabasser comme des chiens. Les bus ont roulé plusieurs dizaines de kilomètres et nous ont lâché entre Rabat et Oujda. Nous avons alors dû rentrer chez nous soit en stop soit à pied. C’est la cinquième fois que cette opération se produit depuis que je suis ici. Certains ont fini par se décourager et rentrer dans leur pays d’origine, mais la plupart restent, car ce n’est pas bien vu de revenir sans avoir réussi à partir en Europe.
À force de nous faire déloger, nous avons construit nos propres abris à quelques centaines de mètres de Boukhalef, où nous vivons désormais. Ce sont des petits bungalows comme ceux-ci. C’est petit, nous sommes à cinq ou six par habitation, ça permet d’avoir moins froid en hiver. Nous les construisons avec ce qu’on trouve : pierres, cartons, et bâches.
Cette photo est prise dans un autre bungalow de fortune, c’est une dame congolaise qui lave ses marmites. Il faut économiser l’eau, car il faut faire plusieurs kilomètres à pied pour trouver un point d’accès à l’eau potable.
"À chaque fois que j’ai tenté de fuir pour l’Espagne par la mer, la police a renversé mon bateau"
Lors de mes quatre tentatives pour rejoindre l’Espagne en bateau, qui m'ont coûté entre 150 et 300 euros selon les passeurs, je me suis aussi fait tabasser par la police : à chaque fois, leur bateau rattrape le nôtre, tourne autour pour provoquer de grosses vagues qui renversent notre zodiac. Puis ils nous embarquent sur leur bateau et nous ramènent à Tanger. Au commissariat, ils nous frappent à coups de matraque, nous disent qu’on a rien à faire là, qu’on doit rentrer chez nous et nous traitent de "sales noirs".
Ces insultes sont aussi courantes au quotidien de la part des Marocains. Très souvent dans la rue, des gens nous traitent de "sales noirs", nous crachent dessus, nous disent qu’on salit leur ville... Plusieurs de mes amis se sont déjà fait bastonner juste à cause de leur couleur de peau. C’est terrible d’être traité comme des chiens sur notre propre continent.
Pour ma part, le fait que je sois homosexuel ne fait que compliquer ma situation. Nous sommes une trentaine à Tanger, venus du Cameroun, de Guinée, du Congo… Nous sommes régulièrement la cible d’insultes, on s’entend dire qu’on ne devrait pas exister, qu’on va nous couper la tête… Un jour, je revenais du marché, et un groupe d’une quinzaine de Marocains m’a lancé "zédé" [homosexuel, en arabe marocain. J’ai eu le malheur de les regarder, et l’un d’eux m’a alors foncé dessus, m’a attrapé par les cheveux et m’a frappé, aidé par les autres. Plusieurs semaines après, je porte encore les traces de cette agression, cicatrices et hématomes.
Je viens de déposer mon dossier au Haut Commissariat aux réfugiés de l’ONU. J’espère qu’il sera accepté, et que cela facilitera mes démarches pour aller en Europe, où j’espère, je pourrais mener une vie plus apaisée.
Billet rédigé en collaboration avec Corentin Bainier (@cbainier), journaliste à France 24.