TUNISIE

Assassinat d’un député en Tunisie : Sidi Bouzid déclare sa "libération" du pouvoir central

 La nouvelle de l’assassinat du député Mohamed Brahmi a ébranlé la Tunisie, où des manifestations ont eu lieu dans plusieurs villes du pays. Mais à Sidi Bouzid, berceau de la révolution et région natale de Brahmi, c’est l’autorité de l’Etat qui est rejetée et remplacée par une cellule régionale.

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Les manifestants au moment de prendre d'assaut le siège du gouvernorat de Sidi Bouzid, jeudi 25 juillet. Photo prise par notre Observateur Slimane Rouissi.

 

La nouvelle de l’assassinat du député Mohamed Brahmi a ébranlé la Tunisie, où des manifestations ont eu lieu dans plusieurs villes du pays. Mais à Sidi Bouzid, berceau de la révolution et région natale de Brahmi, c’est l’autorité de l’Etat qui est rejetée et remplacée par une cellule régionale.

 

Six mois après la mort de son leader Chokri Belaid, le Front populaire, coalition de la gauche tunisienne, perd un autre de ses membres. Mohamed Brahmi a été assassiné jeudi 25 juillet en plein jour, devant chez lui, dans le quartier Al Ghazala à Tunis. Il a reçu 14 balles.

 

Bien que les leaders du parti islamiste au pouvoir, se soient empressés de condamner cet attentat, les différents acteurs politiques de l’opposition font porter la responsabilité politique de cet acte à Ennahdha et au gouvernement. Ils ont appelé à la dissolution de l’Assemblée nationale constituante, la démission du gouvernement et, pour certains, à la désobéissance civique pacifique.

 

À Sidi Bouzid, une réunion s’est tenue dans la nuit de jeudi à vendredi entre les principales forces politiques et syndicales de la région qui ont décidé de constituer une cellule qui assurera "la gestion administrative de la région pour éviter de tomber dans l’anarchie et afin de protéger les propriétés publiques et privées", selon un responsable syndical local.

 

Les autorités tunisiennes ont quant à elle déclaré le vendredi 26 juillet, journée de deuil national et mis en garde contre toute "instrumentalisation politique" de cet assassinat. Elle n’a pour l’heure pas réagi à cette annonce.

 

Les manifestations n'arrêtent pas à Sidi Bouzid depuis l'annonce de l'assassinat de Mohamed Brahmi. Vidéo tournée vendredi 26 juillet par notre Observateur Slimane Rouissi.

"À partir du vendredi 26 juillet, Sidi Bouzid ne reconnaît plus le pouvoir central"

Slimane Rouissi est un militant syndicaliste de Sidi Bouzid, figure de proue de la révolution tunisienne. Il a participé à la réunion de jeudi en tant que président de l’association de la citoyenneté et de la défense des marginalisés.

 

La nouvelle de la mort de Brahmi a mis le feu aux poudres hier à Sidi Bouzid. Les gens sont sortis manifester, ils étaient en colère contre le gouvernement et Ennahdha, qu’ils considèrent comme responsables, au moins politiquement, de la mort de Brahmi. Le parti islamiste comme les autorités ont laissé s’installer un climat de violence qui favorise ce genre de dérives. Sans parler du fait que les assassins de Chokri Belaid n’ont toujours pas été arrêtés, alors qu’un deuxième attentat a lieu, et de la même manière [le ministère de l’Intérieur a annoncé ce vendredi que les deux hommes ont été assassinés par un groupe de 14 personnes qui ont été identifiées mais pas toutes arrêtées].

 

Les manifestants ont brûlé le siège d’Ennahdha à Menzel Bouzayan et Meknassi, des communes de la région. Dans la ville de Sidi Bouzid, comme il n’y a pas de siège du parti, les protestataires se sont dirigés vers le siège du gouvernorat [équivalent de la préfecture vers lequel les manifestants se dirigent à chaque fois ; il n’y a pas de mairie à Sidi Bouzid depuis que la population a renvoyé l’ancien maire de la ville, au lendemain de la révolution, ndlr]. Ils sont entrés de force dans les locaux qui étaient vides [le 25 juillet, fête de la République, est un jour férié en Tunisie, ndlr]. Ils ont brûlé une partie du rez-de-chaussée.

 

Dans les heures qui ont suivi, une réunion s’est tenue dans le siège régional de l’UGTT [le principal syndicat du pays] entre plusieurs représentants politiques et syndicalistes locaux ainsi que des membres de la société civile, comme le Front populaire, l’ordre des avocats, l’union régionale des agriculteurs, etc. Cette réunion s’est poursuivie jusque tard dans la nuit, au bout de laquelle nous avons annoncé la "libération de Sidi Bouzid". A partir du vendredi 26 juillet, Sidi Bouzid ne reconnaît plus le pouvoir central. La gestion administrative de la région sera désormais assurée par une cellule constituée de 24 personnes qui siègera dans le bâtiment du gouvernorat. Cela s’inscrit dans l’appel à la désobéissance civile qui a été lancé le jour de l’assassinat de Brahmi par le Front populaire.

 

Nous communiquerons dans les prochaines heures avec les représentants de l’armée et de la police pour leur faire savoir que cette cellule est désormais la seule représentante légale de la région. Elle continuera à travailler jusqu’à la démission du gouvernement et la dissolution de l’Assemblée.

 

Le gouverneur de Sidi Bouzid a quitté la région aujourd’hui [le gouverneur n’a pas encore fait de déclaration à ce sujet]. Nous n’avons pas peur de l’anarchie ou d’une mauvaise gestion de la région pendant ce temps-là car les membres de cette cellule ont plus l’expérience du terrain que les politiques qui nous gouvernent. Nous espérons que les autres régions rejoindront le mouvement.

Altercations jeudi soir entre police et manifestants à Sidi Bouzid.