YÉMEN

Nada, 11 ans, émeut le Web en fuyant un mariage forcé au Yémen. Mais après ?

 Nada al-Ahdal a 11 ans et ses vidéos font le buzz sur YouTube. Cette jeune yéménite, dont les parents auraient voulu la marier de force, y dénonce "l’innocence assassinée" des petites filles qu’on marie alors qu’elles sont encore mineures. Mais les associations locales de protection de l’enfance regrettent que cet engouement ponctuel sur la Toile pour ces cas particuliers ne change rien sur le terrain à la réalité de ce phénomène.

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Capture d'écran de la vidéo de la jeune Nada al-Ahdal. 

 

ACTUALISATION 30/07/2013 – 11h : Après avoir enquêté auprès des proches de Nada Al-Ahdal, l’organisation yéménite pour la protection de l’enfance Seyaj a conclu que la jeune fille qui apparaît dans le clip n’a pas fuit un mariage forcé. Selon l’organisation, elle aurait était présentée avec la complicité de sa famille "comme victime dans le seul but d’obtenir de l’argent et d’être invitée par les organisations internationales". 

 

 

Nada al-Ahdal a 11 ans et ses vidéos font le buzz sur YouTube. Cette jeune yéménite, dont les parents auraient voulu la marier de force, y dénonce "l’innocence assassinée" des petites filles qu’on marie alors qu’elles sont encore mineures. Mais les associations locales de protection de l’enfance regrettent que cet engouement ponctuel sur la Toile pour ces cas particuliers ne change rien sur le terrain à la réalité de ce phénomène.

 

Nada al-Ahdal aurait fui la maison de sa mère le 7 juillet dernier pour se réfugier chez son oncle, afin d’échapper à un mariage forcé avec un Yéménite expatrié en Arabie saoudite. Dans une vidéo postée sur YouTube, elle menace même de se tuer si ses parents persistaient à vouloir la marier.

 

Cette version des faits est controversée, mais quand bien même elle serait vraie, Nada n’est pas la première petite fille yéménite à défrayer la chronique sur ce sujet. En 2008, c’est le cas de la jeune Nojoud al-Ali qui avait choqué l’opinion publique mondiale : la petite fille avait été mariée à un homme de vingt ans son aîné avant d’oser demander le divorce alors qu’elle avait à peine 10 ans. Mais ces cas bénéficient d’une couverture médiatique instantanée avant de retomber dans l’oubli, au risque parfois que ces mêmes fillettes se retrouvent à nouveau mariées de force, une fois loin des lumières.

 

Le Yémen, parent pauvre de la péninsule arabique, est aussi un pays où le statut de la femme est particulièrement précaire. Selon l’indice sexo-spécifique de développement humain (ISDH), le Yémen arriverait en tête des pays où la discrimination envers les femmes est la plus importante.

 

La vidéo de Nada al-Ahdal sur YouTube. Elle y raconte son histoire en substance et remercie les journalistes qui l'auraient aidée à fuir. Elle dénonce aussi ces mariages forcés qui assassinent les rêves et l'innoncence des enfants.

"Ce phénomène est totalement accepté par la société yéménite"

Ahmed al-Qorashi est le président de Seyaj, une ONG yéménite de protection de l’enfance.

 

Le mariage de filles mineures au Yémen est un phénomène très répandu. Nous n’avons pas de chiffres précis car il n’y a pas de registre de mariage ou de divorce, mais on estime que 50% des jeunes filles se marient avant d’avoir 18 ans.

 

Le principal problème est que ce phénomène est totalement accepté par la société yéménite. Convoiter une fille à peine pubère est quelque chose que l’on retrouve dans la poésie ou les chansons populaires du Yémen et du Golfe en général. Et avec la pauvreté [le Yémen compte parmi les pays les plus pauvres du monde arabe ; en 2010, une personne sur trois était sous-alimentée, selon le Programme alimentaire mondial], l’exode rural et la violence, il devient de plus en plus difficile pour les familles d’assurer les besoins de leurs enfants surtout quand le père ou le frère aîné est mort. Elles sont alors tentées de donner leur fille –même très jeune- en mariage à des hommes plus âgés, pour avoir une bouche de moins à nourrir. Il y a d’ailleurs beaucoup d’hommes saoudiens, âgés de 60 ans et plus, qui profitent de cette situation pour proposer des sommes d’argent importantes aux familles en échange d’une fille dont l’âge ne dépasse pas les 14 ans. Ce phénomène est plus répandu dans les campagnes que dans les villes.

 

Autre cause du mariage précoce : l’héritage. Parfois, pour éviter que la part d’héritage qui revient à la petite fille n’aille à une autre tribu, on la force à se marier, très jeune, à un cousin, afin que les biens restent dans la famille.

 

Le mariage n’est que le début du calvaire de ces petites filles, qui sont ensuite abusées sexuellement par leur mari et souvent maltraitées physiquement par leur belle-famille, qui les exploitent pour accomplir toutes les tâches ménagères et les privent de leurs moindres droits. Dans certains cas, notamment pour celles qui partent en Arabie saoudite, la petite fille peut même se retrouver dans un réseau de prostitution.

 

"L’État ne prend aucune initiative pour endiguer ce problème"

 

Il n’y a pas d’âge minimum pour le mariage au Yémen. Et pour endiguer ce phénomène, l’Etat ne prend aucune initiative, ce sont plutôt les organisations qui agissent et les responsables politiques qui suivent. En 2010, nous avons mené une campagne pour que l’âge légal du mariage soit fixé à 17 ans mais des députés s’y sont opposés : ils avaient peur de la réaction populaire. Nous essayons alors de mener des campagnes de sensibilisation via des congrès ou en demandant aux imams des mosquées qui nous soutiennent dans ce combat d’en parler aux fidèles. Nous formons aussi des avocats aux arguments qu’ils peuvent utiliser dans leurs plaidoyers. Ils peuvent par exemple évoquer le dommage physique et moral qu’un tel contrat engendrerait pour la petite fille et faire annuler le mariage. Mais avec le peu de moyens que nous avons à notre disposition, l’impact de ces efforts reste limité. L’opinion internationale quant à elle s’intéresse ponctuellement à ces cas, mais nous sommes tous seuls quand il s’agit de lutter contre ce phénomène.

 

Notre ONG intervient toujours entre le moment où la main de la petite fille est accordée et le mariage pour pousser la famille à revenir sur sa décision. Nous engageons pour cela des avocats et intentons des procès au nom des droits de l’enfant. Mais une fois que le mariage a eu lieu, notre ONG ne se manifeste que si la jeune mariée fait appel à nous. Une femme divorcée, quel que soit son âge, est mal vue dans notre société et notre intervention alors peut faire plus de mal que de bien à la petite fille.

Cet article a été rédigé en collaboration avec Sarra Grira (@SarraGrira), journaliste à France 24.