FRANCE

Vues de Trappes, les violences sont "une réaction à l’islamophobie"

 L’arrestation d’un homme dont la femme avait été contrôlée par la police jeudi dernier au motif qu’elle portait un voile islamique intégral, interdit en France depuis 2011, a déclenché une série d’affrontements entre la police et des habitants dans le quartier des Merisiers, à Trappes, une banlieue au sud-ouest de Paris. Une réaction très vive qui s’explique, selon notre Observateur, par le fait que les nombreux musulmans habitant la zone se sont une fois de plus sentis visés.

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Photo amateur de policiers prise lors des violences de vendredi soir. 

 

L’arrestation d’un homme dont la femme avait été contrôlée par la police jeudi dernier au motif qu’elle portait un voile islamique intégral, interdit en France depuis 2011, a déclenché une série d’affrontements entre la police et des habitants dans le quartier des Merisiers, à Trappes, une banlieue au sud-ouest de Paris. Une réaction très vive qui s’explique, selon notre Observateur, par le fait que les nombreux musulmans habitant la zone se sont une fois de plus sentis visés. 

 

Vendredi soir, environ 400 personnes ont jeté des pierres et des pétards sur le commissariat et brûlé des poubelles et des voitures. La police a répliqué en utilisant des flash-ball et des gaz lacrymogènes. Un adolescent a été grièvement blessé à l'œil. Les affrontements, qui se sont poursuivis jusqu’au milieu de la nuit, ont repris samedi soir de manière moins intensive et ont été plus sporadiques encore dans la nuit de dimanche à lundi. Plusieurs personnes ont été arrêtées et trois ont été jugées en comparaison immédiate lundi : un a été condamné à six mois de prison ferme mais devrait bénéficier d‘un aménagement de peine, deux ont été relaxés.

 

Vidéo des violences vendredi postée sur la chaîne YouTube Joktis47.

 

L’arrestation du mari de la femme voilée fait polémique. Selon le procureur de la République de Versailles, il aurait agressé un policier - qui porterait des marques de strangulation - au moment du contrôle. Mais se femme, une Antillaise de 20 ans convertie à l’islam, contredit ces propos dans une déclaration publiée par le site du Collectif de lutte contre l’islamophobie, assurant avoir été "attrapée par le voile au niveau de la tête" par les policiers, qui l’aurait ensuite "traînée avec une force monstrueuse". Selon elle, son mari a été arrêté simplement pour avoir protesté. Remis en liberté conditionnelle, il sera jugé en septembre.

 

Lundi, une autre polémique faisait jour sur les réseaux sociaux après la publication par des policiers de commentaires à caractère islamophobe, en lien avec les émeutes.

 

Le quartier des Merisiers est classé en zone urbaine sensible (ZUS). En 2009, 17,6 % de la population vivait en-dessous de seuil de bas revenu, très proche du Smic, et le taux de chômage était de 14,9% et de 29 % chez les jeunes, un ensemble d’indicateurs supérieurs aux moyennes nationales. Si certains commentateurs estiment que ces difficultés sociales font partie des causes des violences des derniers jours, notre Observateur affirme que beaucoup d’habitants du quartier des Merisiers sont musulmans pratiquants, ce qui expliquerait également leur colère.

"L’interpellation du mari a symbolisé un sentiment d’islamophobie latent"

Ali Diarra (son nom a été changé) vit dans le quartier des Mérisiers, en face du commissariat, depuis dix ans et a assisté aux violences. Il se dit musulman modéré et fait le ramadan.

 

On ne peut pas nier que parmi les manifestants il y a avait quelques voyous surtout motivés par le fait de s’opposer aux forces de police. Mais je suis convaincu que la majorité d’entre eux a agi également par conviction religieuse.

D’une part, je peux affirmer que la plupart sont pratiquants car j’ai constaté que les violences ont commencé vers 20h30 et se sont calmées au moment de la rupture du jeûne vers 22 heures, beaucoup de manifestants étant rentrés chez eux pour manger. Puis elles ont repris vers minuit, après la dernière prière.

 

Ensuite, il faut savoir que dans les années 1990, Trappes était connue pour être une des villes d’Ile-de-France où les tensions étaient très fortes entre des habitants désœuvrés et la police. Mais depuis une dizaine d’années, l’islam a beaucoup progressé dans les quartiers de la ville, sur l’initiative de mosquées et de fidèles très pratiquants qui ont entrepris d’expliquer le Coran aux jeunes, et ont réussi à donner des réponses claires à des questions qu’ils pouvaient se poser sur leur religion et ses interdits. Beaucoup de jeunes se sont convertis et se sont mis à pratiquer.

 

Il est vrai aussi que l’extrémisme est plus présent. Dans mon immeuble, je vis à côté d’anciens dealers ou d’anciens voyous violents, qui aujourd’hui se sont laissés pousser la barbe, ont embrassé une vision salafiste de l’islam, mais ne traînent plus en bas des immeubles à ne rien faire comme avant.

 

"Les émeutes ont fait ressortir de vieux démons"

 

Pour les manifestants, je pense que l’interpellation du mari a symbolisé un sentiment d’islamophobie latent qu’ils disent subir, dans les médias ou dans leur quotidien. Ainsi, beaucoup de mes amis qui sont musulmans pratiquants me racontent que lorsqu’ils quittent Trappes, par exemple pour aller au centre commercial de Saint-Quentin-en-Yvelines, ils sont la cible de regards désobligeants parce qu’ils portent la djellaba ou le voile, voire se font insulter : ceux qui portent la barbe se font parfois traiter de "Ben Laden" ou de "terroriste" [des habitants interrogés par "Le Monde" évoquent des contrôles à répétition ne visant que les musulmans, NDLR]. 

 

Je ne suis pas optimiste pour la suite. Trappes s’était apaisée depuis une décennie, mais les émeutes ont fait ressortir de vieux démons et quelque chose s’est cassé: peut-être que la situation va se calmer dans l’immédiat, mais désormais, je pense que ça pourra dégénérer à n’importe quel moment.