L’État centrafricain, un État fantôme
Publié le : Modifié le :
Pour la première fois depuis l’arrivée de la Séléka au pouvoir, en mars, les fonctionnaires centrafricains se sont vus payer deux mois d’arriérés de salaires par les autorités. Une mesure bien accueillie, mais qui n’est autre qu’un pansement sur une jambe de bois dans un pays où aucune institution ne fonctionne normalement.
Vendredi 5 juillet, des fonctionnaires font la queue à Bangui pour récupérer leur salaire. Photo: Serefio pour Diaspora.
Pour la première fois depuis l’arrivée de la Séléka au pouvoir, en mars, les fonctionnaires centrafricains se sont vus payer deux mois d’arriérés de salaires par les autorités. Une mesure bien accueillie, mais qui n’est autre qu’un pansement sur une jambe de bois dans un pays où aucune institution ne fonctionne normalement.
En 2007, l’État centrafricain, alors dirigé par François Bozizé, était déjà considéré comme un "État fantôme" par l’International Crisis Group. Et le coup d’État de la Séléka en mars n’a rien arrangé, bien au contraire. À Bangui, les hôpitaux, les ministères ou encore les universités ont été vidés de leur matériel par les pillards et tournent toujours au ralenti.
La Centrafrique, un des pays les plus pauvres d’Afrique, a sombré dans un véritable chaos institutionnel, sécuritaire et sanitaire. Un contexte qui a provoqué le départ de nombreuses ONG. Mardi, cinq d’entre elles ont dénoncé "l'insuffisance de la présence des Nations unies sur le terrain ainsi que le fait que certains bailleurs de fonds "conditionnent leurs financements à venir à une réinstauration de la sécurité".
Le coup d’État de la Séléka en mars 2013 n'est que le énième épisode d'une longue série de putschs et de rébellions qui se sont succédés depuis l'indépendance en 1960. Les rebelles de la Séléka sont eux-mêmes divisés, tandis que d’autres groupes armés sévissent dans les campagnes.
"Les ordinateurs, mais aussi les bureaux et les chaises ont totalement disparu des ministères"
Hervé Cyriaque Serefio est photographe à Bangui. Il a pris des photos des fonctionnaires faisant la queue.
Si les autorités commencent par payer deux mois seulement, c’est aussi une façon d’inciter les gens à reprendre le travail car seuls ceux qui retourneront au bureau toucheront le troisième mois manquant. Les fonctionnaires ont commencé à faire la queue dès vendredi dernier devant les banques de Bangui. Certains ont réussi à récupérer leur salaire mais pas tous car les services sont désorganisés.
Mais, salaire ou pas, les fonctionnaires sont nombreux à ne pas aller travailler, d’une part pour des raisons de sécurité, mais aussi parce que la plupart des locaux ont été totalement pillés au lendemain de la prise de pouvoir par la Séléka. Les ordinateurs, mais aussi les bureaux et les chaises ont disparu. J’étais récemment au ministère de l’Agriculture où tout a été subtilisé. Ils ont réussi à récupérer un peu de matériel, mais tout fonctionne au ralenti.
"Du point de vue de la sécurité, tout reste à faire"
Hector (pseudonyme) est étudiant à Bangui.
C’était important d’inciter les fonctionnaires à se remettre au travail. Je suis content parce que ce matin j’ai réussi à faire envoyer un fax d’un bureau de poste qui vient de rouvrir. On commence aussi à revoir quelques policiers dans les rues de Bangui. Aujourd’hui, il y a un peu plus d’activités aux alentours des ministères. Mais on sait très bien que les employés qui reviennent font semblant de travailler puisqu’il n’y a pas de matériel.
Par ailleurs, du point de vue de la sécurité, tout reste à faire. Les patrouilles, menées essentiellement par des éléments de la Fomac [Force multinationale en Afrique centrale en charge notamment du désarmement des éléments de la Séléka, NDLR] se cantonnent au centre ville. Dans les zones reculées, les autorités brillent par leur absence. On est totalement livrés à nous-même. Si vous vous éloignez à quelques mètres de chez vous, vous n’êtes plus en sécurité. À tout moment des hommes armés, avec ou sans uniforme, peuvent vous dépouiller.
Toutefois, il y a des signes d’une reprise en main par le président [Michel Djotodia, issue des rangs de la Seleka, NDLR]. Je pense notamment à l’arrestation du ministre des Eaux et Forêts [Mohamed Moussa Dassane, ancien chef rebelle accusé d’avoir utiliser son poste de ministre pour recruter des mercenaires en vue du renversement de Djotodia, a été limogé le 25 juin sur décret du président avant d’être placé en garde à vue, NDLR].
"Des jeunes sortis d’école sont propulsés directeur général d’entreprise ou ministre"
Théophile (pseudonyme) est un responsable de l’université de Bangui, dont le personnel est actuellement en grève.
Le paiement des salaires a redonné un peu de vie à l’université. Mais les problèmes restent globalement les mêmes. On a vraiment l’impression d’être mal chapeautés. Les nominations se font trop souvent de façon aléatoire, on ne comprend pas les règles appliquées mais on sait bien que le code de la fonction publique n’est pas respecté.
Le problème de nos dirigeants, c’est le manque de compétences. Comme on dit ici : "Si vous habillez un serpent d’une chemise, elle ne tiendra pas longtemps". Elles ont beau s’attribuer des postes juteux dans le public comme dans le privé, beaucoup des personnes nommées dernièrement n’ont pas le profil nécessaire. Tout ce qui compte, ce sont les appartenances politiques. Des jeunes sortis d’école sont propulsés directeur général d’entreprise. L’étudiant Rizigala Ramadane, proche de la Séléka, a été nommé ministre. Il continue d’ailleurs à venir suivre ces cours à l’École normale supérieure ! C’est impensable, n’y avait-il vraiment personne d’autre que lui pour faire ce travail ?"