Après l’explosion d’une fusée russe, les Kazakhs craignent l’intoxication
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Une fusée russe Proton-M, qui transportait trois satellites en orbite, s’est écrasée mardi quelques secondes après son décollage de la base de Baïkonour au Kazakhstan. L’explosion a provoqué la formation d’un nuage de fumée toxique, suscitant la panique chez les habitants de la région, dont certains sont exaspérés de voir leur santé mise en danger par le programme spatial russe.
La fusée Proton-M quelques secondes après son lancement, sur le point de se cracher.
Une fusée russe Proton-M, qui transportait trois satellites en orbite, s’est écrasée mardi quelques secondes après son décollage de la base de Baïkonour au Kazakhstan. L’explosion, qui n'a pas fait de victimes, a provoqué la formation d’un nuage de fumée toxique, suscitant la panique chez les habitants de la région, dont certains sont exaspérés de voir leur santé mise en danger par le programme spatial russe.
La fusée devait mettre sur orbite des satellites pour développer le système de navigation Glonass, avec lequel la Russie veut concurrencer le GPS et le futur système européen Galileo. Mais à cause de la panne d’un moteur, l’appareil a dévié de sa trajectoire, avant de se retourner et de se briser en deux morceaux, pour retomber à 2,5 km de son point de lancement dans une explosion retentissante.
Vidéo amateur du crash, postée sur la chaine YouTube TheMrSuslov.
Cette explosion pourrait bien avoir des conséquences lourdes sur la santé des habitants de Baïkonour, ville située à une cinquantaine de kilomètres de la base, et de sa région. Le Proton-M est propulsé par 500 tonnes de plusieurs carburants. L’accident a enflammé les liquides provoquant la formation de l’épais nuage de fumée, visible de loin .
Photo postée sur Twitter par @Aisahdov
Or, dans une étude de 2008 publiée dans le Journal of Environmental Health Insights, des chercheurs montrent que l’heptyle est cancérigène et peut provoquer des mutations génétiques. Cet élément peut par ailleurs rester longtemps incrusté dans les sols. Même en cas de lancement réussi, l’heptyle brûlé lors de la mise à feu peut constituer un danger de santé publique.
À la suite de l’explosion, les autorités kazakhes ont d’ailleurs fait évacuer une partie du personnel de la base spatiale de Baïkonour, alors qu’il a été ordonné aux habitants de la ville de se cloîtrer chez eux et de couper la climatisation pour éviter toute entrée d’air extérieur. Le directeur du centre Khrounitchev, concepteur des fusées Proton, a pour sa part tenu à minimiser les risques de pollution toxique provoquée par cet accident. Les autoirtés russes et kazakhes ont en outre estimé qu'il n'y avait pas de danger pour la santé des habitants.
Le cosmodrome de Baïkonour, situé dans les steppes arides et désertes au centre du Kazakhstan, a été construit en 1955 alors que le pays faisait partie de l’URSS. Depuis 1994 et l’effondrement de l’Union soviétique, la Russie en loue l’exploitation au Kazakhstan. Mais au-delà des retombées économiques, le Kazakhstan a fait valoir son mécontentement quant aux conséquences écologiques et, tout en négociant la prolongation de la location jusqu’en 2050, a obtenu de participer à l’exploitation du site et à l’élaboration de fusées moins polluantes.
En décembre 2010, une fusée Proton-M avait déjà explosé peu après avoir décollé de la même base.
"Les gens préfèrent mettre en danger la santé de leurs enfants que de quitter Baïkonour"
Gulya Vivikova (son nom a été changé), kazakhe, vit à Baïkonour.
Mon mari est russe et travaille sur la base. Quand il est revenu à la maison, il se sentait mal, et depuis, il a un étrange goût de sucré dans la bouche… On a injecté des vitamines à tous ceux qui étaient sur place et plusieurs personnes ont été hospitalisées. Pour ma part, après l’explosion, j’ai eu la nausée. Dans la ville c’était la panique, les gens pensaient que le nuage toxique allait vers nous et qu’ils allaient s’intoxiquer. Du coup, ils ont pris les pharmacies d’assaut pour s’acheter des masques.
Les habitants sont conscients des risques que fait courir la base de lancement sur leur santé, mais ils savent parfaitement que la ville mourra si les Russes cessent de l’exploiter : avant qu’ils ne louent la base en 1994, les salaires locaux allaient de 3 000 à 5 000 roubles (autour de 100 euros). Désormais, le salaire moyen est de 30 000 roubles (autour de 750 euros). C’est beaucoup plus que dans les villes alentour. Les gens préfèrent mettre en danger la santé de leurs enfants que de partir d’ici. Ils sont prêts à souffrir pour gagner beaucoup d’argent, construire de nouvelles maisons en Russie et partir d’ici pour toujours.
Néanmoins, il faut être russe pour profiter des retombées : pour moi, il est presque impossible d’avoir un travail quelconque en lien avec la base. Et j’ai beau être marié à un Russe, je ne pourrais avoir la nationalité qu’en vivant en permanence sur le territoire russe. Il y a deux ans, des jeunes ont manifesté pour demander le départ des Russes.
Je ne crois pas une seconde à l’arrêt des lancements : le Kazakhstan percevra très certainement une compensation après l’échec d’hier [la perte des trois satellites est en outre estimée à 200 millions d’euros pour la Russie] quelque part, c’est profitable au pays que les Russes ratent leurs lancements.
Billet écrit en collaboration avec Polina Myakinchenko et Corentin Bainier.