De l'humour - très - noir pour dénoncer l’extrémisme en Syrie
Publié le : Modifié le :
Face à la prolifération des vidéos macabres venues de Syrie et à la surenchère de propagande ultraviolente, un collectif d’internautes a choisi de riposter avec un clip de musique à l’humour noir et délirant.
Face à la prolifération des vidéos macabres venues de Syrie et à la surenchère de propagande ultraviolente, un collectif d’internautes a choisi de riposter avec un clip de musique à l’humour noir et délirant.
Deux vidéos en particulier ont décidé le collectif à réagir. Sur la première, filmée en février dernier dans la région d’Idleb, au nord du pays, on voit un enfant porté sur les épaules d’adultes et entouré de drapeaux d’Al-Qaïda. Il entonne au micro un chant djihadiste où il promet d’égorger les alaouites. Il simule même le geste avec sa main puis avec un couteau.
Sur la deuxième vidéo, diffusée deux mois plus tard, un autre enfant, entouré cette fois de supporters du régime, entonne un chant intitulé "Toi et moi sommes de la quatrième division", en référence à la division de l’armée syrienne conduite par Maher al-Assad, le frère du président syrien. L’enfant fait rimer des mots vulgaires avec les noms de différentes villes syriennes en leur promettant de toutes "les baiser".
Le collectif Bidayat ("débuts" en arabe) a riposté avec un clip intitulé "Nous venons vous égorger". Ces internautes adeptes de l’humour noir menacent "de massacrer les Arméniens, de griller les alaouites, d’égorger les sikhs et de manger des hindous au dîner". Ils finissent même par promettre de "dépecer tous les êtres humains et d’exterminer l’humanité". Le clip humoristique est filmé devant un décor psychédélique sur fond de musique rock.
Le soulèvement syrien a commencé en mars 2011. D’abord pacifique, il s’est peu à peu transformé en un conflit armé entre le régime alaouite (une branche du chiisme) de Bachar al-Assad et une rébellion armée composée principalement de sunnites (l’Armée syrienne libre) et de djihadistes (notamment le Front d’Al-Nosra, qui a fait allégeance à Al-Qaïda). La guerre en Syrie a fait plus de 100 000 morts, en majorité des civils.
"Nous avons voulu utiliser les mêmes outils de propagande pour dénoncer l’extrémisme"
H. est le responsable de Bidayat, un collectif qui produit des reportages sur la Syrie. Il n'a pas souhaité s'exprimer sur les sources de financement de ce groupe.
L’idée de réaliser cette parodie nous est venue grâce à un des membres de notre collectif qui fredonnait souvent, sans s’en rendre compte, l’air chanté par l’enfant sur la première vidéo. On s’est dit qu’il fallait faire quelque chose de cette chanson avant qu’on commence tous à la chanter, en oubliant presque son message.
Dans une réunion de travail, nous avons écrit le texte de la chanson. Puis notre ami Amen el-Arand a travaillé la musique. Cela a pris 3 semaines. Nous avons ensuite enregistré le clip dans un studio situé dans un pays voisin de la Syrie [pour des raisons de sécurité, les membres de Bidayat préfèrent ne pas préciser de quel pays il s’agit]. Après deux semaines de montage, nous avons diffusé le clip sur YouTube. Et en à peine 3 jours, il a été visionné par plus de 50 000 utilisateurs !
"Rire et tourner en dérision ce qui fait notre malheur est aussi un instinct de survie"
Aborder l’horreur du conflit avec humour et dérision peut sembler étrange. C’est vrai que le pays est actuellement en guerre, mais il ne faut pas non plus croire que les Syriens passent leur temps à pleurer ! Même cette guerre ne nous fait pas perdre notre sens de l’humour. Rire et tourner en dérision ce qui fait notre malheur est aussi un instinct de survie.
Nous commençons notre clip avec deux extraits de vidéos de deux camps opposés mais qui véhiculent le même message de violence. Cela ne veut pas dire que nous renvoyons dos à dos le pouvoir et l’opposition. Nous soutenons totalement la révolution syrienne et nous ne mettons pas sur un pied d’égalité la victime et le bourreau. Cependant, nous condamnons l’extrémisme d’où qu’il vienne et nous considérons que, pour ce qui est des enfants, il y a des abus des deux côtés.
Nous ne sommes pas naïfs au point de penser que nos clips vont changer la face du conflit. Toutefois, nous croyons au pouvoir de l’art et nous voulons rappeler que tous les Syriens ne cautionnent pas ce qui se passe : des voix pacifiques continuent de lutter.
Cet article a été rédigé en collaboration avec Sarra Grira (@SarraGrira), journaliste à France 24.