"L’armée égyptienne se présente comme le sauveur de l’Égypte "
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Au lendemain d’une manifestation historique contre le pouvoir islamiste au Caire, l’armée égyptienne a annoncé accorder un délai de 48 heures aux "forces politiques du pays" pour "répondre aux demandes du peuple égyptien", autrement elle se verrait obligée d’intervenir. D’après notre Observateur, l’armée préparait habilement sa reprise en main du pays depuis plusieurs semaines, soutenue par une grande partie de l’opposition égyptienne.
Un militaire arborant le drapeau égyptien pour saluer la foule de manifestants dimanche, dans la ville de Port-Fouad (nord-est de l'Egypte).
Au lendemain d’une manifestation historique contre le pouvoir islamiste au Caire, l’armée égyptienne a annoncé qu'elle accordait un délai de 48 heures aux "forces politiques du pays" pour "répondre aux demandes du peuple égyptien", autrement elle se verrait obligée d’intervenir. D’après notre Observateur, l’armée préparait habilement sa reprise en main du pays depuis plusieurs semaines, soutenue par une grande partie de l’opposition égyptienne.
Un an jour pour jour après son élection à la présidence de la république égyptienne, le pouvoir de Mohamed Morsi est plus que jamais menacé. Quatorze millions de manifestants seraient sortis dans les rues hier pour demander sa démission. La mobilisation était très importante, mais ce chiffre invérifiable a été donné par l’armée égyptienne qui saluait en outre une "manifestation historique" pour l’Égypte.
Après avoir tenu les rênes du pays pendant un an et demi, de la chute d’Hosni Moubarak en février 2011 jusqu’aux élections présidentielles, le Conseil supérieur des forces armées (CSFA) avait cédé la place au gouvernement élu des Frères musulmans. Mais ces derniers ont rapidement écarté les militaires du paysage politique, en limogeant notamment le maréchal Mohamed Tantaoui, président du CSFA, de son poste de ministre de la Défense, en août 2012.
Mohamed Morsi est le premier président civil d’Égypte. Tous les présidents égyptiens, depuis 1953, sortaient des rangs de l’armée.
Des manifestants à Tahrir saluent le passage des hélicoptères de l'armée en criant "le peuple et l'armée, main dans la main !"
Ragi Hanna, blogueur, a participé à la manifestation de dimanche sur la place Tahrir.
Cette déclaration de l’armée n’est pas du tout étonnante, je dirais même qu’elle était attendue. Dimanche, pendant toute la durée de la manifestation, l’armée n’a cessé d’afficher sa présence dans les airs, sur le Nil et dans les différentes villes du pays pour bien montrer qu’elle soutenait ce mouvement de protestation.
Et les militaires ne sont pas du tout intervenus lors des affrontements qui ont lieu entre pro et anti Morsi [et qui se sont soldés par 16 morts et 45 blessés] ni lors de l’incendie et du pillage du siège du parti des Frères musulmans, qui a pourtant duré plusieurs heures. Pour justifier son retour sur la scène politique, l’armée a besoin d’une double légitimité : l’appel du peuple et une situation sécuritaire délicate qui rendrait son intervention indispensable. Ainsi pourra-t-elle se poser comme le sauveur de l’Égypte.
Attaque du siège du parti des Frères Musulmans à Al-Mouqattam (quartier du Caire).
Ce retour en scène de l’armée sera malheureusement accueilli à bras ouverts par une bonne partie des manifestants de la place Tahrir. Il n’y a pas que les nostalgiques de Moubarak, il y a tous ceux qui pensent que l’armée est le seul recours. Elle ne leur fait pas peur, car c’est une institution familière, à laquelle ils ont toujours été habitués. Cette institution fait presque partie de leur héritage culturel. Pour eux, ça ne peut pas être pire que les Frères musulmans et il vaut mieux se retourner vers ce qu’on connaît plutôt que de faire le pari de l’inconnu.
Quant à moi, j’étais aussi sur la place Tahrir hier mais je ne cautionne pas pour autant le retour de l’armée. Je n’oublie pas tout ce que celle-ci a fait l’année dernière : les morts sur l’avenue Mohamed Mahmoud [près du siège du ministère de l’Intérieur], à Al-Abbassiya [siège du ministère de la Défense] ou encore à Maspero [siège de la télévision égyptienne publique]. Mais pour moi, une période de transition où l’armée serait seulement la garante de l’ordre public, afin d’empêcher la violence des milices islamistes, est nécessaire. Même si le pouvoir doit rester entre les mains des civils. Malheureusement, nous sommes une minorité à partager cette idée au sein de l’opposition.
L'armée sur le Nil, à Port-Fouad (nord-est de l'Egypte).
Cet article a été rédigé en collaboration avec Sarra Grira (@SarraGrira), journaliste à France 24.