Les petits gangsters de Marseille font leur cinéma
Drogues, violences, armes, motos : c’est le cocktail qui nourrit les montages vidéos amateur réalisés par des adolescents des quartiers nord de Marseille et qu’ils postent sur YouTube. Le but : montrer ses muscles, revendiquer un territoire et surtout occuper ses journées dans des coins où il n’y a pas grand-chose à faire.
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Capture d'écran d'une vidéo, montrant notamment des jeunes du quartier La Maison Blanche.
Drogues, violences, armes, motos : c’est le cocktail qui nourrit les montages vidéos amateur réalisés par des adolescents des quartiers nord de Marseille et qu’ils postent sur YouTube. Le but : montrer ses muscles, revendiquer un territoire et surtout occuper ses journées, dans des coins où il n’y a pas grand-chose à faire.
Ces clips sont presque toujours accompagnés d’un ou plusieurs morceaux de rap, musique numéro un dans les cités. Ils sont réalisés par les jeunes d’un quartier, qui se montrent en train de faire des roues-arrière en scooter, avec un pistolet à la main, ou le visage masqué. Comme, par exemple, ce clip qui montre des jeunes de plusieurs quartiers populaires de la capitale phocéenne :
Certains clips sont très axés sur le vol, la violence, les armes. C’est le cas de celui-ci où, toujours sur fond de rap, on voit notamment un extrait du braquage d’un magasin Foot Locker en plein centre-ville de Marseille, lors des soldes d’hiver 2013.
D’autres sont simplement des clips musicaux, réalisés pour accompagner les compositions de jeunes rapeurs locaux, qui profitent d’Internet pour se faire une pub peu chère. Mais toujours avec les mêmes ingrédients dans la vidéo.
Les clips comme ceux-ci sont très nombreux sur YouTube. Un moyen d’exprimer la fierté de son quartier et de montrer qu’on "craint dégun" ("on ne craint personne", en patois marseillais).
Les quartiers nord de Marseille, constitués des 13e, 14e, 15e, et 16e arrondissements, sont les plus pauvres de la ville et considérés comme une des zones les plus dangereuses de France. Dans certaines cités, la police n'ose plus s'aventurer, face aux bandes qui ont imposé leurs règles et leurs trafics. Les règlements de compte, soldés par des morts, se mutliplient ces dernières années. Dans certains arrondissements comme le 15e, le taux de chômage peut frôler les 30%, et 50% chez les jeunes, dont beaucoup sont déscolarisés.
"Ces clips sont un moyen d’étaler la 'richesse' de son quartier"
Mehdi est éducateur dans les quartiers nord de Marseille.
Ces vidéos, comme la première, sont un moyen de mettre en avant un quartier, de montrer que dans une zone, dans une cité précise, on est capable de mobiliser un certain nombre de scooters, de quads, de barrettes de shit ou de sachets d’herbe, d’armes blanches ou à feu. Ils réunissent tout ce qu’ils possèdent. Quelque part, il s’agit d’étaler la 'richesse' de son quartier, et de dire 'ici, on sait faire le bordel s’il faut'.
Ce genre de clips s’adresse d’abord aux jeunes des autres quartiers car l’idée est de revendiquer un territoire. Hormis cette cible, ils sont aussi une façon d’impressionner toute personne susceptible de les voir.
Le phénomène existe depuis plusieurs années. Les clips sont postés en ligne par vagues : si un quartier en a fait un, ça incite les autres à lui répondre. Surtout, il y a un phénomène générationnel : tous les deux ou trois ans, de nouveaux clips apparaissent, car après leurs grands frères, les cadets veulent faire leur démonstration vidéo eux aussi, et ainsi de suite. L’utilisation d’internet est très répandue dans les quartiers sensibles. Les jeunes se parlent beaucoup par l’intermédiaire des réseaux sociaux, notamment Facebook, même au sein d’une même cité. Et utilisent donc aussi YouTube pour poster des vidéos.
"Ici, le moyen le plus simple de gagner de l’argent, c’est le trafic de drogue"
Ces clips reflètent en général la vie de ces quartiers, assez oisive. Elle convient assez bien à ces jeunes, dans le sens où ils n’ont pas la sensation d’avoir le choix : les pouvoirs publics ont déserté les territoires populaires de Marseille depuis longtemps. Et il n’y a pas franchement d’alternative pour ces jeunes qui voient leurs parents galérer entre chômage et boulots mal payés, ayant du mal à nourrir leur famille. Du coup, très vite, le moyen le plus simple de gagner de l’argent, c’est le trafic de drogue qui rapporte de l’argent assez facilement, permettant d’aider ses proches mais aussi de s’acheter les derniers habits de marque à la mode pour faire comme les grands frères.
C’est ce trafic de drogue qui entraîne la violence, qui comme chacun sait est omniprésente dans les quartiers nord de Marseille. C’est quelque chose qu’ils revendiquent comme partie de leur identité, le fait de savoir se battre et d’avoir ce qu’il faut pour le faire, et donc ils le montrent dans ces clips. Souvent, les jeunes exhibent dans ces clips de vraies armes à feu. Il y a un trafic conséquent dans les cités, les armes sont cachées dans les caves ou les appartements. La mise en avant de vraies armes à feu est clairement inspirée des démarches de stars du rap comme Booba, qui en utilise aussi dans ses clips.