969 : ces trois chiffres qui terrifient les musulmans de Birmanie
Depuis quelques mois, des affiches et des autocollants portant l’inscription "969" sont apparus dans les rues de plusieurs villes de Birmanie. Au premier regard, rien d’inquiétant. Et pourtant, ces trois chiffres font référence à une campagne anti-musulmane menée par des moines bouddhistes. De nombreux musulmans pointent cette campagne du doigt comme étant responsable d’une série d’attaques meurtrières à travers le pays ces dernières semaines.
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Depuis quelques mois, des affiches et des autocollants portant l’inscription "969" sont apparus dans les rues de plusieurs villes de Birmanie. Au premier regard, rien d’inquiétant. Et pourtant, ces trois chiffres font référence à une campagne anti-musulmane menée par des moines bouddhistes. De nombreux musulmans pointent cette campagne du doigt comme étant responsable d’une série d’attaques meurtrières à travers le pays ces dernières semaines.
À l’origine, les chiffres "969" faisaient référence aux trois joyaux du Bouddha, mais aujourd’hui ils servent d’emblème à une campagne nationaliste et anti-islamique lancée par un moine renommé basé à Mandalay. Wirathu, qui se décrit lui-même comme "le Ben Laden birman", a été emprisonné en 2003 pour avoir fomenté des émeutes contre les musulmans, mais a ensuite été relâché, en 2012, à la suite d’une amnistie générale. Depuis, il est devenu le chef de file du mouvement "969". Il enchaîne les discours où il appelle les bouddhistes à acheter "969", c'est-à-dire à consommer dans des magasins tenus par des bouddhistes et à boycotter ceux tenus par des musulmans.
Depuis l’émergence du mouvement "969", des violences visant les musulmans ont éclaté dans plusieurs parties du pays. Fin mars, dans la ville de Meiktila, des émeutiers ont passé trois jours à saccager et mettre le feu à des mosquées, des magasins et des habitations appartenant à des musulmans. Plus de 40 personnes ont été tuées. Sur les décombres de boutiques de musulmans, des personnes ont peint les chiffres "969". Pendant tout ce temps, selon de nombreux témoins, la police était présente, mais elle est restée à l’écart. Peu de temps après, d’autres émeutes ont eu lieu dans la région de Bago, après la visite de moines prêchant l’idéologie "969". Enfin, cette semaine, de nouveaux heurts ont éclaté à Oakkan, une ville au nord de Rangoun, faisant au moins un mort.
Des milliers de musulmans, qui ont dû fuir leurs maisons à cause de ces émeutes, restent aujourd’hui terrés dans des camps de réfugiés, n’osant plus revenir chez eux. Selon le dernier recensement, les musulmans représenteraient 4% de la population du pays.
Un activiste pose un auto-collant "969" sur une voiture. Publiée par CJMyanmar.Ce type de photo est difficile à obtenir compte tenu du climat violent qui entoure le sujet.
“Ma sœur a perdu la quasi-totalité de ses clients depuis le début de la campagne 969"
Aung (pseudonyme) est musulmane et habite à Rangoun.
J’ai vu des autocollants et des affiches "969" faire leur appariation à Rangoun il y a environ deux mois. On les voit sur la devanture de certains magasins, ainsi que sur des pare-brises de taxis. Cela ne touche qu’une minorité de commerçants, mais c’est la partie émergente de l’iceberg, car il existe maintenant un boycott généralisé des magasins "musulmans". Les partisans du "969" distribuent des tracts incitant les bouddhistes à ne pas se rendre dans les magasins tenus par des musulmans.
Ma sœur possède un magasin et elle a perdu la quasi-totalité de ses clients depuis le début de cette campagne. Ils savent qu’elle est musulmane, notamment parce qu’elle porte un foulard. Comme pour beaucoup d’autres commerçants musulmans, elle se retrouve maintenant dans une situation financière difficile.
Je me suis récemment rendue dans un magasin tenu par une vieille amie et j’ai vu qu’elle avait mis une affiche "969" au mur. Je n’ai pas osé lui demander pourquoi elle avait fait ça, puisque depuis quelque temps, elle fait comme si elle ne me connaissait pas. Tous mes amis les plus proches sont bouddhistes, et tous, ces temps-ci, m’évitent.
Je ne me sens plus en sécurité à Rangoun. Je pense que les musulmans ne sont en sécurité nulle part dans ce pays. J’aimerais aller vivre à l’étranger, mais mes parents sont trop vieux pour partir et je ne peux pas les laisser seuls."
Un auto-collant "969" sur un magasin de textile à Rangoun. Photo envoyée par un de nos Observateurs.
“Pour nous, 969 est symbole de danger”
Ko Moe Myint (pseudonyme) est musulman et habite à Naypyidaw, la capitale.
A Naypyidaw, la campagne "969" a vraiment pris de l’ampleur ces derniers jours. Des inconnus, conduisant des camionnettes, vont de maison en maison et de magasin en magasin pour distribuer des autocollants et des DVD "969". Ils collent également leurs autocollants dans des lieux publics, par exemple aux arrêts de bus. Ils opèrent principalement le long de l’avenue Yaza Hta Nay, où se trouvent de nombreux commerces, mais où habitent aussi toutes sortes de gens – des bouddhistes, des musulmans et même des hommes d’affaires chinois.
J’ai aussi remarqué beaucoup de DVD des sermons de Wirathu en vente ici. J’en ai vu 100 copies dans un seul magasin. Ils sont aussi proposés par des vendeurs de rue. Beaucoup de personnes se prêtent également des copies de DVD, ou les relayent sur les réseaux sociaux, principalement sur Facebook.
Cette campagne a eu un effet visible sur les bouddhistes. Par exemple, je suis en train de construire une maison et certains de mes employés sont bouddhistes. Ils ont tous démissionné sans raison. Il ne veulent plus, ou n’osent plus, me parler. J’ai remarqué des autocollants "969" sur leurs motos.
La plupart des bouddhistes ne vont plus que dans les magasins bouddhistes. Des partisans du "969" racontent aux gens que la viande et les légumes vendus dans les magasins musulmans sont empoisonnés ! Et qu’ils n’empoisonnent par leurs victimes immédiatement, mais dans six mois…
Certains bouddhistes disent que la campagne "969" n’attaque pas les autres religions, qu’elle ne fait qu’exprimer leur fierté d’être bouddhistes. Pourtant, depuis qu’elle existe, des musulmans à travers le pays se retrouvent victimes de violences ! Pour nous, "969" est symbole de danger. Plus on voit ce signe, plus on a peur. Bouddhistes et musulmans qui vivaient ensemble par le passé se retrouvent maintenant déchirés par cette campagne. Tant qu’elle existera, je pense qu’il n’y aura pas de stabilité en Birmanie.