Des bouddhistes radicaux saccagent un entrepôt tenu par des musulmans
Un groupe d’une centaine de personnes, avec à sa tête des moines bouddhistes, a attaqué à Colombo, la capitale du Sri Lanka, l’entrepôt d’une marque de vêtements, dont les propriétaires sont musulmans. L’assaut a été mené le 28 mars par des extrémistes qui multiplient dernièrement les campagnes de haine contre la minorité religieuse, et ce, sans être inquiétés par les autorités.
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La police devant l'entrepôt de Fashion Bug après l'attaque.
Un groupe d’une centaine de personnes, avec à sa tête des moines bouddhistes, a attaqué à Colombo, la capitale du Sri Lanka, l’entrepôt d’une marque de vêtements dont les propriétaires sont musulmans. L’assaut a été mené le 28 mars par des extrémistes qui multiplient dernièrement les campagnes de haine contre la minorité religieuse, et ce, sans être inquiétés par les autorités.
L’épisode renvoie inévitablement aux attaques meurtrières perpétrées la semaine dernière au centre de la Birmanie contre des commerces appartenant à des musulmans.
Un moine jette, sous le regard des policiers, une pierre sur une caméra de surveillance située à l'extérieur de l'entrepôt Fashion Bug. Vidéo réalisée par Azzam Ameen.
Sur une des vidéos postées sur Internet, un moine jette une pierre sur la caméra de surveillance de l’entrepôt sous le regard de policiers totalement passifs et les acclamations de la foule. L’entrepôt saccagé appartient à Fashion Bug, une chaîne populaire de prêt-à-porter qui détient des magasins dans tout le pays. Durant l’assaut, les assaillants ont multiplié les insultes envers la communauté musulmane. Plusieurs personnes ont été blessées, parmi lesquelles le gérant des lieux ainsi que des journalistes qui couvraient l’évènement.
Les musulmans représentent environ 9 % de la population sri-lankaise, c’est le troisième groupe religieux derrière les Singhalais, de confession bouddhiste, et les Tamouls à majorité hindoue. Pendant la longue guerre civile qui a opposé les bouddhistes aux Tamouls (de 1983 à 2009), les musulmans sont restés en retrait. Aujourd’hui, quatre ans après la fin de la guerre, ils deviennent la cible de bouddhistes radicaux, lesquels exhortent leurs partisans à boycotter les entreprises appartenant à des musulmans et ont récemment fait pression sur le gouvernement pour que disparaisse de tous les emballages alimentaires la mention "halal".
Parmi ces nouvelles organisations bouddhistes, la plus importante est Bodu Bala Sena (BBS), "Le Pouvoir de la force bouddhiste". Vendredi, l’organisation a publié une déclaration dans laquelle elle dément avior un lien avec l’attaque de l’entrepôt. Pourtant la marque était déjà dans le collimateur de la BBS. Il y a deux semaines, lors d'un rassemblement massif, son secrétaire général Galabodaaththe Gnanasara, a accusé Fashion Bug, ainsi que No Limit, une autre chaîne de vêtements dirigée par des musulmans, de convertir de force des bouddhistes à l’islam. Il a par ailleurs accusé les directeurs de ces magasins d’avoir "créé des harems [peuplées de femmes bouddhistes]". L’homme fort de la BBS avait également déclaré : "Je ne demande à personne d’aller jeter des pierre sur ces magasins et de les attaquer. [...] Nous préférons le dialogue".
“Des gens dans la foule ont tenté de me voler mon téléphone portable pour m'empêcher de filmer la scène”
Azzam Amin est journaliste à Colombo. Il habite à deux pas de l'entrepôt Fashion Bug et est arrivé sur les lieux peu de temps après que la foule a commencé à l'attaquer.
Ce jour-là, il y avait une foule compacte d'environ 500 personnes emmenée par une douzaine de moines. Ils ont jeté des pierres contre les vitres du bâtiment, provoquant d’importants débris de verre. Des vêtements qui se trouvaient à l’intérieur de l’entrepôt ont ensuite été éparpillés dans la rue. Entre 25 et 30 policiers étaient sur place au moment des faits mais ils étaient complètement dépassés.
La plupart des assaillants avaient à peine une vingtaine d’années. Ils n’arrêtaient pas de proférer des insultes contre les musulmans. L’un d’eux m’a expliqué qu’il était là parce qu’une bouddhiste avait été violée par un musulman, qu'elle était encore à l'intérieur du bâtiment et que la police ne pouvait pas la sauver. [Ce qui s’est avéré être faux.]
"Je ne sais pas où les assaillants se sont procurés toutes ces grosses pierres"
J'ai sorti mon téléphone pour filmer la scène, mais les gens ont tenté de me le voler. Peu après, plusieurs équipes de télévision sont arrivées et ont réussi, malgré la présence des moines qui ont essayé de leur bloquer la route, à pénétrer dans le bâtiment pour filmer les dégâts. Quand ils sont sortis, les gens leur ont jeté des pierres. Je ne sais d’ailleurs pas où ils se les sont procurés, tant elles étaient grosses. J'ai emmené un caméraman à l'hôpital qui a dû se faire poser trois points de suture. Là-bas, un homme m’a raconté que la foule s’en était d'abord pris à un autre magasin appartenant à des musulmans, situé à côté de sa maison. Assimilé à un musulman, il avait aussi été pris pour cible.
L'un des gérants de l'entrepôt soigné dans un hôpital localaprès avoir été agressé. Photo prise par Azzam Ameen.
L'incident de Fashion Bug aura duré environ une heure et demie. Il a pris fin quand les pompiers sont arrivés sur les lieux et ont dispersé la foule. Une partie s’est alors réfugiée dans le temple bouddhiste qui se trouve de l’autre côté de la rue et de là, a continué à lancer des pierres.
“Ironie de l’histoire, la fin de la guerre au Sri Lanka a fait ressurgir de nouveaux conflits”
Sanjana Hattotuwa vit à Colombo. Il est militant des droits de l’Homme et rédacteur en chef de Groundviews, un site de journalisme participatif.
Pendant les 27 années de guerre au Sri Lanka, il existait de nombreuses tensions d’ordre social, ethnique ou religieux mais celles-ci étaient mises au second plan. Ironie de l’histoire, c’est la fin de la guerre au Sri Lanka qui a fait ressurgir ces conflits.
Au cours des deux dernières années, des groupes composés de moines bouddhistes et de simples sympathisants se sont renforcés et livrés à des discours de haine ainsi qu’à des actes éhontés de violence contre des mosquées et des entreprises appartenant à des musulmans. Ils ont échafaudé toutes sortes de théories du complot à propos de cette communauté qui, selon eux, tente de prendre le contrôle du pays. Il est intéressant de voir que le même phénomène se déroule actuellement en Birmanie: alors que les relations entre la population birmane et ses dirigeants se sont pacifiées, des extrémistes bouddhistes commettent de plus en plus d’actes d’agression contre la minorité musulmane du pays.
"Ce qui est troublant, c'est que notre ministre de la Défense s’affiche en public avec des extrémistes bouddhistes"
Ici, au Sri Lanka, ce qui est assez troublant, c'est que notre ministre de la Défense – une figure très puissante qui se trouve également être le frère de notre président – s’affiche en public avec des membres de la BBS, le plus connu des groupes extrémistes bouddhistes. Il a récemment participé à la cérémonie d'ouverture d’un nouveau bureau de la BBS. [Lors de cette cérémonie, le ministre de la Défense Gotabhaya Rajapaksa a déclaré à la foule : "ce sont les moines qui protègent notre pays, notre religion et notre race. [...] Nous sommes là pour vous soutenir." Pire, la BBS a signé un contrat avec un opérateur de téléphonie mobile - dont l'actionnaire majoritaire est le gouvernement – pour lui vendre une sonnerie que les gens peuvent désormais acheter et télécharger. C’est en partie comme cela que l’organisation parvient à se financer. Cela soulève beaucoup de questions quant à l’intégrité du gouvernement.
Les vidéos de l'attaque sur Fashion Bug prouvent que les policiers ont eu peur d’intervenir. Pourquoi tenteraient-ils de rétablir le calme alors que notre gouvernement ne fait rien pour arrêter les violences antimusulmanes?