La statue du poète syrien Abou Ala al-Maari décapitée par les djihadistes
Depuis plus d’un an, les djihadistes de Jabhat al-Nosra s’attaquent aux statues d’Abou Ala al-Maari, une figure de la littérature arabe du Xe siècle, dans toute la région d’Idleb au nord-ouest de la Syrie. Ce groupe, qui se trouve sur la liste des organisations terroristes établie par les États-Unis, a encore abattu il y a quelques jours un buste du philosophe qui trônait à Maarat al-Nou’man, sa ville natale.
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Photo de la statue décapitéede Abou Ala al-Maari. Envoyée par Mohammad Ibrahim.
Depuis plus d’un an, les djihadistes de Jabhat al-Nosra s’attaquent aux statues d’Abou Ala al-Maari, une figure de la littérature arabe du Xe siècle, dans toute la région d’Idleb au nord-ouest de la Syrie. Ce groupe, qui se trouve sur la liste des organisations terroristes établie par les États-Unis, a encore abattu il y a quelques jours un buste du philosophe qui trônait à Maarat al-Nou’man, sa ville natale.
Plusieurs explications à ces destructions peuvent être avancées. Le philosophe pourrait être ciblé parce qu’il est considéré, à tort, comme un aïeul des Assad et qu’il est révéré par les chiites pour son appartenance présumée à la famille de l’Imam Ali et donc à celle du prophète Mohammed. Ou parce que certains de ses écrits sont considérés comme hérétiques. Il est également possible que ces attaques soient perpétrées dans le cadre d’une campagne d’abattage systématique des statues, en vertu d’une application radicale de l’islam.
Abou Ala al-Maari est un poète et philosophe syrien né et mort à Maarat al-Nou’man, au sud d’Alep (973-1057). Défenseur de la justice sociale, cet éternel pessimiste pensait qu’il ne fallait pas concevoir d’enfants pour leur épargner les douleurs de la vie. Dans "Risalat al-Goufran", son personnage visite le paradis et rencontre des poètes païens qui ont trouvé le pardon. Cette œuvre, qui peut être considérée comme l’ancêtre de "La Divine Comédie" de Dante, est toujours très polémique dans le monde musulman. Sur ordonnance du ministère des Affaires religieuses et du Waqf algériens, elle a notamment été interdite du Salon international du livre d’Alger en 2007.
Dans un des ses poèmes, il écrit par exemple :
Foi, incroyance, rumeurs colportées,
Coran, Torah, Évangiles
Prescrivant leurs lois ...
À toute génération ses mensonges
Que l’on s’empresse de croire et consigner.
Une génération se distinguera-t-elle, un jour,
En suivant la vérité ?
Deux sortes de gens sur la terre :
Ceux qui ont la raison sans religion,
Et ceux qui ont la religion et manquent de raison.
Tous les hommes se hâtent vers la décomposition,
Toutes les religions se valent dans l'égarement.
Si on me demande quelle est ma doctrine,
Elle est claire :
Ne suis-je pas, comme les autres,
Un imbécile ?
"Ce buste avait survécu à trois grandes batailles"
Ala'ddine (pseudonyme), habitant de Maarat al-Nou’man.
Des djihadistes de Jabhat al-Nosra sont venus de nuit dans la rue où se trouve le buste, ils l’ont descendu de son socle et lui ont tranché la tête. Ils ont bien préparé leur coup pour ne pas se faire repérer par les hommes du Conseil militaire de l’Armée syrienne libre [ASL], qui sont postés de l’autre côté de la rue.
C’est dommage car cette statue à survécu à trois grandes batailles. L’ASL a peur de se confronter aux combattants de Jabhat al-Nosra, car elle se bat déjà sur deux fronts, avec les Kurdes et avec l’armée syrienne.
Je ne pense pas qu’ils connaissent les écrits de ce philosophe, ils pensent surtout qu’il a des origines perses [il n’a pas d’origines perses]. Avant cet incident, ils avaient déjà tiré à plusieurs reprises sur la statue. Si c’était son œuvre qui les dérangeait, ils auraient attaqué le musée qui est à côté. Ils ont aussi détruit les stelles dans les cimetières car ils considèrent qu’ériger une stelle ou une pierre tombale est contraire aux préceptes de l’islam. Je ne vois pas en quoi c’est contraire à l’islam de pouvoir retrouver le tombeau de mon grand-père.
Photo de la statue. Envoyée par Mohammad Ibrahim.
Jabhat al-Nosra se conduit en maître des lieux. Moi-même j’ai vu un combattant de Jabhat al-Nosra obliger une femme chrétienne à se voiler dans une rue de Seïf al-Daoula à Alep, il lui a même donné un voile. Il est interdit de fumer en leur présence, ils exigent que les femmes, même voilées, ne portent pas de pantalon. Je pense qu’ils se sentent en position de force, donc ils commencent à dévoiler leurs objectifs, qui ne sont pas toujours en adéquation avec ceux de la révolution.
"La tension est à son comble entre Jabhat al-Nosra et l’Armée syrienne libre"
Mohammad Ibrahim, activiste syrien habitant de Maarat al-Nou’man.
Jabhat al-Nosra veut détruire toutes les statues [hommes politiques, figures historiques, figures religieuses, etc.] érigées sur le territoire syrien et ne s’en cache pas.
Pour le moment, personne n’a réagi car la ville est déserte. Sur les 150 000 habitants, il ne reste que quelques combattants originaires de la ville et ceux qui sont venus de l’extérieur. Au début du soulèvement, plusieurs comités ont été formés pour la protection du patrimoine historique et culturel, mais avec les temps qui courent les gens essayent juste de survivre.
Photo du musée de Maarat al-Nou'man, en face de la statue d'Abou Ala al-Maari. Envoyée par Mohammad Ibrahim.
Beaucoup d’éléments de l’œuvre d’Abou Ala al-Maari sont préservés dans le musée de la ville, mais les plus précieux sont cachés au domicile d’un membre important du Conseil militaire, avec tous les documents administratifs, notamment les actes de propriété.
Ces djihadistes sont pour la plupart étrangers, ils revendiquent leur appartenance à al-QaÏda ouvertement, ils ont gagné la majorité des batailles qu’ils ont engagées mais ils ont leurs propres objectifs. Jabhat al-Nosra s’impose par les armes et il faut reconnaître qu’une partie non négligeable de la population adhère à leur idées, car ce sont eux qui ont les meilleurs résultats sur le terrain et parce qu’ils ont les moyens financiers d’aider la population. Mais la tension est à son comble entre Jabhat al-Nosra et l’ASL. Aujourd’hui, même si des opérations conjointes ont lieu, il y a une totale séparation entre les deux groupes, ce qui n’était pas le cas avant.
Billet écrit avec la collaboration de Wassim Nasr (@SimNasr), journaliste à FRANCE 24.