"Dronestagram" : la guerre des drones en direct sur Instagram
Alors que la plupart des utilisateurs d’Instagram se servent de cette application de partage de photos pour poser en compagnie de leurs amis, de leurs familles ou de leurs animaux, James Bridle, lui, préfère y relayer des images satellites de villes du Pakistan, du Yémen et de Somalie bombardées par les drones des armées américaine et britannique.
Publié le : Modifié le :
Grâce aux rapports compilés par le Bureau of Investigative Journalism, le blogueur David Bridle a localisé cette image satellite capturée dans les environs de la ville de Jaar, au Yémen, à l'endroit même où un drone a frappé le 18 octobre. Sept à neuf personnes auraient été tuées durant le raid.
Alors que la plupart des utilisateurs d’Instagram se servent de cette application de partage de photos pour poser en compagnie de leurs amis, leurs familles ou leurs animaux, James Bridle, lui, préfère y relayer des images satellites de villes du Pakistan, du Yémen et de Somalie bombardées par les drones des armées américaine et britannique.
Le travail de cet artiste et écrivain anglais consiste à prendre des captures d’écran sur Google Earth des endroits où ont eu lieu des frappes de drones et à les poster sur un compte Instagram qu’il a baptisé "Dronestagram". Une initiative qui, très vite, a su séduire bon nombre d’internautes. Trois semaines après son lancement, ils étaient déjà plus de 4 000 à s’être inscrits sur son compte.
James Bridle réussit là où d’autres ont échoué. L’été dernier, Apple avait refusé à plusieurs reprises d’inclure dans son magasin virtuel une application iPhone appelée Drones +, laquelle prévoyait d’envoyer une alerte à chaque fois qu’un drone américain faisait une victime. L’entreprise américaine justifie le rejet de cette application par le fait qu’elle "risquait de choquer un grand nombre de personnes", sans donner toutefois plus de précisions.
Cette photo montre une zone située à quelques kilomètres de la ville de Maarib, au Yémen. Le 21 octobre, au moins quatre membres présumés d'Al-Qaïda auraient été tués lors d'une frappe à cet endroit.
"Le but est rendre ces endroits un peu plus visibles, plus proches, plus réels"
James Bridle est un artiste et écrivain installé à Londres. Il a deux blogs Dronestagram et BookTwo.
Si les nouvelles technologies comme le GPS ou Kinect [un dispositif de détection de mouvement utilisé dans les jeux vidéo] rendent bien des services à leurs utilisateurs, ces derniers ne savent pas forcément qu’elles sont très prisées par l’armée qui s’en sert dans le cadre d’opérations de frappes ciblées. Les drones représentent l’un des meilleurs exemples. Ils sont puissants et invisibles. Mais pour moi, ils sont surtout très inquiétants, c’est la raison pour laquelle j’ai voulu leur donner un peu plus de visibilité.
C’est principalement le Bureau of Investigative Journalism qui me communique des renseignements sur les frappes de drones. Cette organisation non lucrative basée à Londres rédige des rapports sur les attaques de drones à partir d’informations collectées auprès de médias locaux et internationaux, et dans certains cas, de témoins sur le terrain [selon ce même Bureau of Investigative Journalism, l’armée américaine aurait tué jusqu’à 3 378 personnes en 350 frappes de drones depuis 2004, au Pakistan uniquement]. Je consulte ces rapports puis, en fonction de ce qu’ils me révèlent, j’essaye de repérer sur Google Earth les lieux où les bombes ont pu frapper. Parfois, il m’arrive de mettre la main sur la photo d’un village ayant subi une attaque. Le but est rendre ces endroits un peu plus visibles, plus proches, plus réels.
"Les photos que je poste sont en lien avec le présent et prouvent que les drones continuent d’agir"
Aujourd’hui, les drones frappent encore et cette réalité échappe à beaucoup de gens. Il est donc indispensable de montrer, d’alerter. En tant que réseau social, Instagram permet d’être dans l’instantanéité. Les photos que je poste sont en lien avec le présent et prouvent que les drones continuent d’agir.
Je suis vraiment ravi que mon projet suscite autant d’attention. Mais mon travail comporte aussi un aspect morbide puisque je guette en permanence où et quand vont frapper les drones. Ces drones sont de vraies aberrations technologiques. Non seulement, ils violent impunément le droit international [selon des responsables de l'ONU, certaines attaques de drones américains pourraient être considérées comme des crimes de guerre], mais aussi les valeurs humanitaires et morales. Il existe des preuves tangibles que les personnes tuées dans les attaques ne sont pas toutes liées au terrorisme. Les frappes de drones en Afghanistan font partie d'une guerre déclarée. Mais en Somalie, au Yémen et au Pakistan, on se trouve dans une situation de guerre non déclarée, du coup les attaques sont opérées dans le secret le plus complet. Ce qui, je crois, constitue un précédent extrêmement préoccupant dans les affaires internationales.
Photo satellite d'un village, situé à 40 kilomètres de Sanaa, la capitale du Yémen, attaqué par un drone le 7 novembre. Un membre présumé d'Al-Qaïda et deux de ses gardes du corps auraient été tués. Trois autres personnes, dont un enfant, auraient été blessés.
Le 28 octobre, deux hommes auraient trouvé la mort lors d'une attaque de drone sur une route isolée dans l'est de Saada, une province du nord du Yémen.