ZIMBABWE

Le délabrement et la corruption des écoles zimbabwéennes révélés par une vidéo amateur

 Une vidéo postée en ligne récemment témoigne du délabrement, de la surpopulation et de la manipulation politique qui ont cours dans des écoles situées dans des zones rurales du Zimbabwe. Nos Observateurs témoignent du déclin constant du système éducatif.  

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Une vidéo postée en ligne récemment témoigne du délabrement, de la surpopulation et de la manipulation politique qui ont cours dans des écoles situées dans des zones rurales du Zimbabwe. Nos Observateurs témoignent du déclin constant du système éducatif.

 

La vidéo, qui se compose d’images prises en caméra cachée et d’interview anonymes, a été publiée par une organisation de défense des droits de l’Homme, dont le nom ne peut être révélé pour des raisons de sécurité, mais qui a donné des informations fiables par le passé. Nos Observateurs au Zimbabwe confirment que les scènes filmées reflètent la réalité dans plusieurs parties du pays.

 

La première scène montre un groupe d’enfants dont le cours se déroule dehors, assis par terre. Un enseignant y explique qu’il n’y a pas assez de salles de classes et que même dans les salles de classes, il n’y a ni chaises ni tables. Il ajoute que l’école ne comprend que huit toilettes pour 700 étudiants.

 

Une seconde vidéo montre une école qui a monté une pièce de théâtre à l’occasion de la fête de l’Indépendance zimbabwéenne : on voit les enfants chanter à la gloire du président Robert Mugabe, âgé de 88 ans et à la tête du pays depuis 1987, et prétendent tuer des dissidents politiques.

 

Dans une troisième séquence, un parent assure que les élèves comme les enseignants se voient régulièrement forcés, pendant les heures de classe, de se rendre à des meetings politiques du Zanu PF, le parti de Mugabe.

 

Le système éducatif zimbabwéen s’est détérioré au cours des deux dernières décennies, à cause de la baisse des investissements gouvernementaux. Les écoles sont souvent surpeuplées, et ne peuvent offrir les services de base aux élèves. Le ministre de l’Éducation du pays, David Coltart, a lui-même critiqué le manque d’investissement du gouvernement pour améliorer le niveau du système : "nous dépensons tellement pour la défense, et des montants tellement pitoyables en éducation(…). Si nous ne nous préoccupons pas de ces questions, c’est l’éducation d’une génération entière qui sera perdue" a-t-il estimé mi-octobre. Le budget de la Défense du Zimbabwe s’élevait ainsi à 35 millions de dollars (environ 27 millions d’euros) pour la première moitié de l’année de 2012, alors que seuls 5 millions étaient alloués à l’éducation, selon le ministre.

 

Les difficultés de financement de l’école sont directement liées aux difficultés politiques du pays : selon un rapport de Transparencey International, l’éducation est le secteur du Zimbabwe le plus touché par la corruption : d’importants fonds des écoles situées en zones rurales sont redistribués vers celle des zones urbaines, alors que le Zanu PF a le monopole de la nomination des professeurs. Selon l’ONG, ces derniers seraient également mis à contribution pour participer aux campagnes politiques du parti.

“Dans les écoles où j’ai travaillé, des étudiants allaient en classe le matin et d’autres l’après-midi, afin que nous n’ayons pas à leur faire cours dehors

Jonathan (le prénom a été changé) est étudiant à l’université au Zimbabwe.

 

J’ai récemment travaillé comme enseignant temporaire, pendant mes vacances, dans une école primaire au centre du Zimbabwe. Cette école rurale n’avait que quatre salles de classe, alors qu’il en aurait fallu au moins le double. Nous avions un système selon lequel des élèves venaient le matin, d’autres l’après-midi, pour éviter que nous ayons à leur faire cours dehors. Malgré cela, l’absentéisme était très fort car les élèves devaient souvent marcher de très longues distances pour arriver à l’école, parfois jusqu’à 20 kilomètres.

 

Comme dans beaucoup d’écoles, les étudiants et les enseignants étaient régulièrement obligés d’assister à des meetings politiques. La motivation principale était de gonfler le nombre de participants. Je n’aurais pas de problème avec le fait de voir des élèves assister à un meeting de leur plein gré, pendant leur temps libre, mais pas si on les force. Et pour moi, le discours haineux qui prévaut souvent dans ces rassemblements est intolérable.

 

"Les frais scolaires dans les zones rurales sont désormais bien supérieurs à ce que peut payer le villageois moyen"

 

Peter (pseudonyme) est avocat en droits de l’Homme, et travaille régulièrement sur des cas liés au système éducatif.

 

Bien que je pense que le pourcentage d’étudiants qui abandonnent les cours, d'après les chiffres dans la vidéo [la vidéo cite un rapport de l’Unicef selon lequel le nombre d’enfants scolarisés serait tombé de 80 % à 20 %], je suis d’accord avec le fait que les standards d’éducation se sont effondrés, aussi bien dans les zones rurales qu’urbaines. Ce déclin est essentiellement dû aux contraintes financières des parents. Il est très difficile pour eux de financer les études de leurs enfants dans une économie à court de liquidités, qui ne produit presque rien, et qui était encore une économie basée sur l’agriculture il y a quelques dizaines d’années. Les frais scolaires se sont envolés en parallèle de la baisse des investissements gouvernementaux dans l’éducation. Dans les écoles publiques situées en zone rurale, il en coûte entre 15 et 50 dollars (environ de 11,50 à 38 euros) par semestre, ce qui est bien supérieur à ce que peut payer le villageois moyen. Dans les villes, les frais vont de 150 à 200 dollars (environ 115 à 154 euros) par semestre. Avec la majorité des parents au chômage, c’est bien trop cher pour beaucoup d’entre eux.

 

Mais l’éducation est tenue en haute estime par les Zimbabwéens. En conséquence, les parents se battent et dépensent tout leur argent pour payer des études à leurs enfants. Et ce, bien que beaucoup d’entre eux ne seront plus en mesure de payer lorsque leurs enfants entreront au lycée, car les frais deviennent alors plus élevés. Il y a aussi des écoles privées, mais bien sûr, elles sont encore plus onéreuses, et ne sont fréquentées que par une toute petite élite.

 

“Dans un village, la moitié d’une école a été transformée en camp d’entraînement de milices"

 

La politisation de secteur éducatif a également compromis la qualité de l’éducation dispensée dans nos écoles et lycées. Par exemple, dans un village où je me suis rendu, la moitié d’une école a été transformée en camp d’entraînement de milices, et les enseignants et les élèves sont censés cohabiter avec des instructeurs miliciens. Ces milices sont financées par l’État, leur programme vise, en théorie, à inoculer le patriotisme aux jeunes gens. Néanmoins, en pratique, ce sont des milices qui ont subi des lavages de cerveau et qui diffusent des programmes de propagande pour le Zanu PF, le parti au pouvoir de Robert Mugabe, et qui dénoncent ceux qui ont des sympathies pour l’opposition. Les enfants ne devraient pas être exposés à cela.

 

Le fait que des enseignants soient sous-payés ne doit pas être non plus surestimé, parce qu’il est clair que notre système éducatif était prospère quand ils étaient bien payés, et qu’ils faisaient beaucoup d’envieux.

Néanmoins, au cours des dernières années, tous les salaires des fonctionnaires et des employés du service public ont stagné, et sont désormais très bas, à cause essentiellement de l’inflation. Les enseignants en ont marre et se mettent régulièrement en grève, un problème supplémentaire pour la qualité de l’éducation des élèves.