Émeutes anti-Japon en Chine : pourquoi les autorités laissent faire ?
Publié le : Modifié le :
Après plusieurs jours de manifestations anti-japonaises sur le sol chinois, dont certaines ont tourné à l’émeute, beaucoup s’interrogent sur le manque de réaction des autorités chinoises face à ce mouvement de protestation.
Publicité
Un concessionnaire Toyota vandalisé par des manifestants.
Après plusieurs jours de manifestations anti-japonaises sur le sol chinois, dont certaines ont tourné à l’émeute, beaucoup s’interrogent sur le manque de réaction des autorités chinoises face à ce mouvement de protestation.
Depuis plusieurs semaines, le ton monte entre la Chine et le Japon concernant le contrôle de l’archipel Senkaku (Diaoyu en chinois). L’annonce, le 11 septembre dernier, de l’achat des îles par Tokyo à une riche famille japonaise pour deux milliards de yens a mis le feu aux poudres. En colère, les autorités chinoises ont envoyé 14 navires autour de l’archipel. Essentiellement constituées de rochers, ces îles n’en sont pas moins stratégiques puisqu’elles sont situées dans une zone potentiellement riche en hydrocarbures et sur une route maritime importante. Alors qu'elles sont administrées par le Japon depuis 1890, la Chine affirme qu’elles font partie de son territoire et revendique leur contrôle.
Des manifestations anti-Japon ont eu lieu dans 80 villes chinoises ce week-end, certaines se sont poursuivies en début de semaine. Plusieurs rassemblements ont tourné à l’émeute : des magasins japonais ont été saccagés par des manifestants et des voitures de marque nippone ont été vandalisées. Un concessionnaire Toyota de la ville de Qingdao, dans l’est du pays, explique sur son site internet que les manifestants ont brisé les vitrines de son magasin avant de l’incendier. Selon les gérants, ni la police, ni les pompiers ne leur sont venus en aide malgré leurs appels répétés.
La police est toutefois intervenue dans plusieurs endroits pour calmer les émeutiers, ce qui n’empêche pas de nombreux internautes chinois de se demander pourquoi les autorités, qui s’emploient d’ordinaire à étouffer tout mouvement de contestation, ont laissé la situation dégénérer.
Accrochages avec la police lors d'une manifestation forte de plusieurs milliers de personnes devant l’ambassade japonaise, samedi à Pékin. À l’inverse de ce qu'il s'est déroulé dans d’autres villes chinoises, les forces de l'ordre étaient mobilisées en masse.
La police escorte une manifestation anti-Japon dans la ville de Kunming dans le sud-est du pays. Vidéo publiée sur YouTube mardi.
"Si les autorités gardent une relative maitrise des manifestations, cette situation est à leur avantage"
Sui (pseudonyme) est un de nos Observateurs en Chine. Il est étudiant.
D’habitude, toutes les initiatives de manifestations contre le gouvernement sont étouffées sur le champ. Et dès que les gens essaient de s’organiser via internet, très souvent, on se retrouve au final avec plus de policiers que de manifestants. Mais dans ce cas c’était différent, le gouvernement et les médias officiels ont encouragé la protestation. Les médias n’ont cessé d’inviter la population à exprimer une forme de "patriotisme rationnel".
En fait, il semblerait même que la police ait participé à certaines de ces manifestations. Beaucoup d’internautes chinois disent qu’ils ont vu des policiers se comporter comme des manifestants, prenant parfois la tête des cortèges. [Le site chinois du New York Times explique qu’à Pékin, des policiers en civil ont encouragé la foule à agiter des drapeaux grâce à des porte-voix sur lesquels ont pouvait lire "police".] Des photos ont même été postées sur Internet mais elles ont rapidement été censurées.
"Le gouvernement exploite ces sentiments patriotiques pour détourner des vrais problèmes internes"
Par ailleurs, d’ordinaire, les autorités sont très rapides quand il s’agit de censurer sur Internet les contenus relatifs à des manifestations. Mais durant le week-end, les utilisateurs de Weibo [l’équivalent chinois de Twitter] pouvaient librement faire des recherches concernant les rassemblements anti-japonais. La censure a repris en début de semaine, et actuellement, les termes "anti-Japon" ou "anti-japonais" ne donnent aucun résultat. En revanche, on peut toujours utiliser les mots "manifestations" ou "îles Daioyu", qui sont d’ailleurs actuellement les termes les plus populaires.
Sujets les plus populaires sur Weibo. En première position arrive “918”, en référence à l’anniversaire le 18 septembre de l’invasion de la Mandchourie par le Japon en 1931 et en deuxième position arrive "îles Diaoyu".
C’est très facile pour le gouvernement d’exploiter ces sentiments patriotiques et de détourner l’attention de la population des vrais problèmes internes auxquels la Chine est confrontée actuellement. Je pense notamment aux manifestations pour l’égalité sociale, contre la hausse du coût de la vie, les problèmes environnementaux ou encore la corruption. En fait, à partir du moment où les autorités ne perdent pas le contrôle et que les violences sont relativement maitrisées, cette situation est à l’avantage du gouvernement. C’est pour cela qu’ils laissent faire, dans une certaine mesure.
Le gouvernement réclame ces îles depuis longtemps, mais ni la Chine ni le Japon n’ont fait quoi que ce soit jusqu’à maintenant, parce que ces deux pays partagent des intérêts communs, notamment d’ordre économique. Mais avec le dix-huitième congrès du Parti communiste, prévu le mois prochain pour changer l’équipe dirigeante, notre pays traverse une période de transition complexe. Les membres du gouvernement veulent faire preuve de fermeté en matière de politique étrangère afin de marquer les esprits et, si possible, de garder leurs postes.