Scènes de guérilla à Tripoli au Liban : "Ça tire avec des armes flambant neuves"
Voilà cinq jours que les combats entre opposants et partisans du régime syrien font rage à Tripoli, dans le nord du Liban. Notre Observateur, qui a pu suivre des combattants, raconte l’anarchie qui règne aujourd’hui dans certains quartiers de la ville.
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Un combattant sunnite dans le quartier de Bab El Tebbaneh. Photo prise par notre Observateur Ibrahim Chalhoub.
Voilà cinq jours que les combats entre opposants et partisans du régime syrien font rage à Tripoli, dans le nord du Liban. Notre Observateur, qui a pu suivre des combattants, raconte l’anarchie qui règne aujourd’hui dans certains quartiers de la ville.
Comme au mois de mai dernier, les combats opposent des habitants de Bab el-Tebbaneh, un quartier majoritairement sunnite et hostile au régime syrien, et ceux de Jabal Mohsen, un quartier alaouite favorable au président syrien Bachar al-Assad, lui-même chiite alaouite. Les affrontements se concentrent dans la bien nommée rue de Syrie qui fait office de ligne de démarcation entre les quartiers rivaux.
Mais cette fois, à la différence du mois de mai, les accrochages semblent s’ancrer dans la durée. Le bilan fait pour l’heure état de 12 personnes tuées ce vendredi, parmi lesquels un cheikh sunnite de 28 ans, Khaled el-Baradei. Son décès a suscité une grande indignation chez les combattants sunnites, faisant craindre une nouvelle escalade de violences. Par ailleurs, plus d’une centaine de personnes ont été blessées, dont un journaliste et un technicien de la chaîne Sky News Arabia. Un cessez-le-feu avait été décidé le 22 août mais n’a pas été respecté par les combattants des quartiers rivaux.
La semaine dernière, l’enlèvement par un puissant clan chiite libanais d’une trentaine de ressortissants syriens sunnites, en représailles de la prise en otage d’un membre du clan en Syrie, a contribué à raviver les tensions.
Le Liban a passé près de 30 ans sous le joug du pouvoir syrien [l’armée syrienne a été présente de 1976 à 2005 sur le sol libanais], un voisin qui exerce encore aujourd’hui une forte influence dans le pays du Cèdre. Depuis un an, le Liban est dirigé par un gouvernement de coalition dominé par le Hezbollah (parti politique chiite soutenant Bachar al-Assad) et ses alliés. Actuellement, le gouvernement tente de prendre ses distances avec son voisin en pleine guerre civile.
Vidéo tournée vendredi dans le quarter de Bab El-Tebbaneh.
"Le conflit syrien est devenu leur conflit"
Ibrahim Chalhoub est journaliste pour la presse local à Tripoli. Il vit à deux kilomètres du lieu des affrontements.
Mardi, mercredi et jeudi [les 21, 22 et 23 août], je suis sorti dans la journée au moment des affrontements. Je suivais à chaque fois les combattants sunnites du quartier de Bab el-Tebbaneh qui s’affrontaient avec les alaouites du quartier voisin. Mais à partir de jeudi soir, il y avait beaucoup trop de snipers. La violence était telle que je ne suis pas sorti de chez moi.
La situation est bien pire que lors des derniers combats en mai. J’ai vu des combattants utiliser des armes flambant neuves. Il semble qu’ils aient réussi à s’approvisionner récemment. Ils avaient des mitrailleuses avec des jumelles de vision nocturne mais aussi des lance-roquettes. Les combattants alaouites sont également bien équipés.
Au cours de la journée, ils s’affrontent de manière sporadique mais la nuit, c’est en continu. La nuit dernière [du 23 au 24 août] a été la pire. D’une heure du matin à l’aube, les explosions n’ont pas cessé – j’entendais tout alors que je vis à deux kilomètres de là.
Déjà mardi, les snipers tiraient sur tout ce qui bouge. Sous mes yeux, un civil a sorti la tête de l’embrasure de sa porte et a reçu une balle provenant du côté alaouite. Les combattants sunnites ont eu beaucoup de mal à le dégager et il est mort peu après.
Photo de notre Observateur Ibrahim Chalhoub.
"Des deux côtés, ça tire n’importe comment. Tout est très désorganisé"
Des deux côtés, ça tire n’importe comment. Tout est très désorganisé. Les combattants avec qui je suis sorti tiraient des roquettes vers le quartier alaouite sans se préoccuper de savoir si elles pouvaient atterrir sur des civils innocents.
Ces derniers jours, des véhicules blindés de l’armée libanaise ont quadrillé les rues à l’intérieur et à l’extérieur du quartier des combats mais ils ne restent jamais longtemps. J’ai vu des combattants sunnites insulter des soldats et les chasser à plusieurs reprises. L’armée ne prend aucun risque parce que le gouvernement ne lui a pas clairement donné l’ordre d’intervenir et puis elle craint de perdre des hommes [jeudi, le gouvernment a officiellement donné le feu vert à l'armée pour qu'elle rétablisse l'ordre dans la ville].
Toutes les activités des zones environnant le lieu des combats sont au point mort. Dans mon quartier, les fenêtres sont fermées et les gens évitent de sortir. En ce moment, nous vivons au jour le jour. Personne ne sait combien de temps dureront ces affrontements. Mais s’ils s’étendent en dehors de Tripoli, je crains que la situation ne se transforme en guerre civile [dans une interview accordée à France 24, le député libanais Samy Gemayel s’inquiète lui aussi que 'des groupuscules armés puissent à terme, si rien n’est fait, mener le pays à la guerre civile'].
Beaucoup d’alaouites se considèrent pratiquement comme des binationaux. Ils ont des maisons, des amis et de la famille en Syrie, et garde un bon souvenir des années où le gouvernement syrien alaouite contrôlait le Liban. Les sunnites ont aussi des amis et de la famille en Syrie, mais qui sont, eux, contre le régime et qui, pour certains, sont en prison. Des deux côtés, le conflit syrien est devenu leur conflit.
Un combattant sunnite dans le quartier de Bab el-Tebbaneh. Photo prise par notre Observateur Ibrahim Chalhoub.
Des forces de sécurité stationnées, vendredi 23 août, près des quartier où se déroulent les affrontements. Photo prise par notre Observateur Mohamad Dankar.