PAKISTAN

Les "infidèles" hazaras traqués et exécutés à Quetta

 Le simple fait de marcher dans les rues de Quetta, capitale de la province du Baloutchistan, au Pakistan, représente un risque mortel pour les Hazaras, une communauté musulmane chiite considérée comme "infidèle" par les extrémistes wahhabites qui font la loi dans la région. Notre Observateur témoigne d’un calvaire qui dure depuis plus de 20 ans et qui a encore fait une victime ce lundi 23 avril.

Publicité

Manifestation de femmes hazaras à Quetta, le 19 avril. Photo de notre Observateur, Basit Ali.

 

Le simple fait de marcher dans les rues de Quetta, capitale du Baloutchistan, au Pakistan, représente un risque mortel pour les Hazaras, une communauté musulmane chiite considérée comme "infidèle" par les extrémistes wahhabites qui font la loi dans la région. Notre Observateur témoigne d’un calvaire qui dure depuis plus de 20 ans et qui a encore fait une victime ce lundi 23 avril.

Le samedi 14 avril, neuf Hazaras ont été tués par des terroristes à Quetta. Les attaques ont été revendiquées par les extrémistes de Lashkar-e-Jhangvi (LeJ) , un groupe lié aux Taliban et à Al-Qaïda, qui sévit depuis plusieurs années dans la région et cible particulièrement les chiites hazaras. Neuf autres membres de la communauté avaient été tués dans des violences religieuses au cours de la semaine précédente.

Quelques instants après ces tueries, des manifestations ont été organisées par les Hazaras de Quetta pour protester contre l’incurie des pouvoirs publics. Les manifestants ont brûlé des pneus, caillassé et incendié des voitures. Les autorités de la province ont envoyé des forces spéciales pour rétablir l’ordre dans la ville, qui est restée paralysée pendant deux jours. S’adressant aux Hazaras, elles ont ensuite fait savoir qu’elles mettraient en œuvre toutes les ressources disponibles afin de mettre un terme à la vague terroriste qui gangrène actuellement la province du Baloutchistan.  Des déclarations qui n’ont pas su calmer les esprits : les 17 et 19 avril, les femmes hazaras ont pris le relais en descendant par milliers dans les rues pour exiger la fin du "génocide".  En parallèle de ces rassemblements, le décompte des morts continue. Le 21 avril, deux Hazaras ont été tués sur l'un des grands axes de Quetta. Et, ce lundi, notre Observateur Basit Ali nous signale un nouveau meurtre.

Manifestation de femmes hazaras à Quetta, le 19 avril.

Il y a un peu plus d’un siècle, une grande partie de la communauté hazara a fui la pauvreté et l’oppression dont elle était victime en Afghanistan, pays à forte majorité sunnite, pour s’installer au Pakistan, et notamment à Quetta. Les chiites hazaras sont aujourd’hui 400 000 à y vivre, essentiellement du commerce. Après la chute des Taliban en 2001, la province pakistanaise du Baloutchistan, frontalière de l’Afghanistan, est devenue la base arrière des combattants extrémistes afghans. Et, à mesure que des groupes terroristes wahhabites, une branche radicale d'allégeance sunnite, s’y sont implantés, la minorité chiite locale, dont la majorité est hazara, a été prise pour cible dans de multiples attentats. Selon Abdul Qayuum Changezi, qui dirige l’organisation Hazara Jarga, plus de 600 Hazaras ont été tués depuis 2000, dont une majorité dans la région de Quetta.  Les analystes évoquent une escalade des violences à caractère religieux ces dernières semaines.

 

Arrestation de terroristes présumés par des civils hazaras après l'attaque du samedi 21 avril, qui a fait deux morts.

 

"Les extrémistes sont partout. On finit par soupçonner tous les gens que l’on croise dans la rue"

Basit Ali est photographe et activiste. Il est hazara et vit à Quetta.

À Quetta, les Hazaras ont été visés pour la première fois par des extrémistes en 1999. Certaines périodes sont plus violentes que d’autres et certains attentats sont plus meurtriers, comme par exemple l’attentat-suicide du 4 juillet 2003 contre une mosquée hazara de la ville [l’attaque avait fait 53 morts et 150 blessés, selon le bilan des organisations de défense des droits des Hazaras], mais les violences n’ont jamais vraiment cessé ces 20 dernières années

Depuis le début, l’objectif des groupes extrémistes, c’est que nous quittions le territoire car nous ne sommes pour eux que des "infidèles" [En juin 2011, le groupe Lashkar-e-Jhangvi a distribué des tracts expliquant que tous les chiites étaient des infidèles et que le Pakistan serait la tombe des Hazaras s’ils ne quittaient pas le pays avant 2012, NDLR].

Nous sommes tous contraints de vivre reclus. Après les récentes attaques pendant lesquelles des terroristes sont allés chercher des commerçants dans leur boutique, certains ont tout simplement choisi d’arrêter de travailler. Des enfants ont cessé d’aller à l’école car la sécurité n’est absolument pas assurée dans les établissements hazaras et les femmes évitent les marchés. Nous avons perdu notre liberté. Les policiers sont totalement absents de nos quartiers. On en vient à s’organiser nous-même pour protéger les nôtres. Avec un groupe de bénévoles, dont certains sont armés, nous mettons régulièrement en place des sortes de checkpoint dans nos quartiers, mais c’est très compliqué car nous ne voulons pas non plus fermer la zone aux autres habitants.

Moi, je ne me sens plus en sécurité nulle part. Je sais que les Hazaras sont reconnaissables très facilement à leur visage [les Hazaras ont en général des traits mongols, NDLR]. J’ai moi-même survécu à plusieurs attentats dans lesquels j’ai perdu des amis proches. Les extrémistes nous entourent, ils vivent dans la même ville que nous, la menace est permanente. Et, après toutes ces violences, on finit par soupçonner tous les gens que l’on croise dans la rue.

Personne ne comprend pourquoi le gouvernement a totalement démissionné devant le calvaire que vit notre communauté. Les Hazaras vivent pourtant en bonne entente avec les sunnites non extrémistes de la ville. Nous voulons avoir le droit d’être chiites et d’être pakistanais. Malheureusement au Baloutchistan, ce sont les extrémistes qui font la loi.

Manifestation de femmes Hazaras à Quetta

Photos prises le 19 avril par notre Observateur, Basit Ali.

Le calvaire des Hazaras en peinture

Représentation d'une attaque contre un magasin de chaussures tenu par des Hazaras, le 29 mars, qui a fait 9 morts.

 

Représentation d'une attaque, le 20 septembre 2011, contre un bus qui a fait 26 morts à Mastung, dans le nord-ouest du Baloutchistan.

 

Des terroristes ouvrent le feu, le 30 juillet 2011, contre un bus allant d'Hazara Town, à l'ouest de Quetta, à Marriabad, au sud-est de la ville, et font 11 victimes.

 

Toutes ces représentations ont été postées sur le site HazaraNewsPakistan.

Billet écrit avec la collaboration de Ségolène Malterre, journaliste à France 24.