MONDE ARABE

Journée de la femme : quatre militantes révolutionnaires témoignent

 Originaire de Syrie, du Yémen, d’Egypte et de Tunisie, quatre femmes qui ont participé au Printemps arabe reviennent sur leur rôle dans les révolutions qui ont bouleversé leur pays, les défis relevés et les déceptions.

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Manifestation pour le droit des femmes aujourd'hui à Tunis.Photo envoyée par Amel Ben Attia.

 

Originaire de Syrie, du Yémen, d’Egypte et de Tunisie, quatre femmes qui ont participé au Printemps arabe reviennent sur leur rôle dans les révolutions qui ont bouleversé leur pays, les défis relevés et... les déceptions.

Elles ont participé aux révolutions qui ont renversé leurs dirigeants, l’an dernier, avec, entre autres, l’espoir de voir leur condition s’améliorer. Aujourd’hui, la progression des partis islamistes, vainqueurs des dernières élections en Egypte et en Tunisie, leur fait craindre un recul de leurs droits. 

 

À l’occasion de la Journée de la femme, huit féministes arabes ont lancé un appel pour défendre la dignité de la femme et l’égalité entre les sexes. Elles souhaitent ainsi rappeler que les "violences demeurent répandues tant dans l'espace public que privé" et que, finalement, "très peu de mesures sont prises pour mettre fin à ce fléau".

YÉMEN : "Avec tout ce que nous avons appris durant ces mois de crise, nous pouvons désormais nous organiser pour réclamer nos droits"

Mariam Hussein Aboubaker al-Attaf, 40 ans, est professeur de lycée et militante. Elle vit à Al-Hodeida, au Yémen

Avant le soulèvement qu’a connu le Yémen, les femmes ne participaient pas beaucoup à la vie publique, hormis les plus instruites. Mais au début de la contestation, les partis politiques avaient besoin d’élargir leur base. Ils ont donc commencé à s’adresser aux femmes pour essayer de les mobiliser. Des campagnes de sensibilisation avaient lieu partout, notamment dans les mosquées.

Cette initiative a très vite porté ses fruits et on a vu, par la suite, à quel point les femmes étaient bel et bien présentes dans les manifestations. Mais dès que ces partis ont accédé au pouvoir avec la signature de l’accord de Riyad [accord entre l’ancien président Saleh et la "rencontre collective", qui regroupe les principaux partis politiques d’opposition], ils leur ont très vite tourné le dos. Défendre nos droits n’a été pour eux qu’une stratégie pour obtenir notre soutien.

Mais cela n’est pas très grave à mes yeux, car les manifestantes d’hier ne comptent pas en rester là. Avec tout ce qu’elles ont appris durant ces mois de crise, elles s’organiseront elles-mêmes à présent pour réclamer leurs droits [selon l’Indice sexo-spécifique de développement humain (ISDH), le Yémen arriverait en tête des pays où la discrimination envers les femmes est la plus importante]. Et ce qui me réjouit, c’est cette révolution a prouvé que quand nous en avons l’occasion, nous autres femmes yéménites sommes promptes à nous engager politiquement. La militante Tawkol Karman, l’une des lauréates du prix Nobel de la Paix en 2012, est un des exemples de cet engagement, mais elle n’est pas la seule. Et sa renommée permettra au moins que l’on s’intéresse davantage au sort des femmes yéménites."

ÉGYPTE : "Après le départ de Moubarak, notre forte mobilisation ne s’est pas traduite dans le nouvel échiquier politique"

Hannah Kamal est scénariste et productrice de télévision au Caire, en Égypte.

La révolution n’a pas constitué un changement radical pour les femmes égyptiennes. Notre situation initiale était déjà différente de celle de la plupart des femmes arabes, car beaucoup d’entre nous travaillent mais continuent à s’occuper de leurs enfants. Et souvent, ce sont les femmes qui gèrent aussi les comptes de la famille. La femme égyptienne est par conséquent très active et impliquée. Pas étonnant donc que les femmes aient été aussi présentes sur la place Tahrir. Mais ce qui était nouveau, c’est que, pour une fois, leurs efforts étaient mis en valeur et elles étaient sur le devant de la scène.

Pour autant, après le départ de Moubarak, cette mobilisation ne s’est pas traduite sur le nouvel échiquier politique. On s’attendait à ce que les nouvelles autorités encouragent la parité au Parlement, afin que les femmes y soient davantage représentées, mais il n’en fut rien [il n’y a que neuf femmes députées à l’Assemblée populaire égyptienne http://news.bbc.co.uk/2/hi/programmes/newsnight/9695850.stm ]. Aujourd’hui, beaucoup d’Egyptiens parlent d’égalité entre hommes et femmes et se disent heureux de l’apparition de nouvelles figures féminines - qu’elles soient journalistes ou activistes. Mais quand on en vient à la question du pouvoir et de la politique, ils sont beaucoup moins enthousiastes. Dès qu’on veut s’attaquer aux choses sérieuses, rien ne bouge.

Je reste tout de même optimiste et je continue de croire que cela évoluera. Depuis la révolution, je vois des femmes, jeunes ou moins jeunes, révolutionnaires ou pas, s’intéresser davantage à la politique. Après des années de dictature, il est normal que les Egyptiens n’aient pas beaucoup d’expérience en matière de politique et que les femmes en aient encore moins. Nous n’avons pas encore de Margaret Thatcher, mais qui sait, peut-être que, d’ici quelques années, les Egyptiens seront surpris de découvrir des politiciennes compétentes. Et je ne crois pas que la victoire des Frères musulmans soit un obstacle à la progression de nos droits. Ce qui les intéresse, c’est surtout le pouvoir et il feront ce que souhaite le peuple pour être réélus."

 

SYRIE : « Je ne vois pas en quoi la mise en place d’un État islamiste pourrait être pire pour nous que le régime syrien actuel »

Rima Flihan est écrivaine et activiste syrienne. Elle a participé à l’organisation de la "manifestation des intellectuels", le 13 juillet 2011 à Damas, où elle a été arrêtée avec une trentaine d’autres. Elle est aujourd’hui exilée en Jordanie.

Il est évident qu’il reste beaucoup à faire pour améliorer les conditions de vie des femmes syriennes, qui souffrent de nombreuses inégalités et qui sont aussi victimes de violences domestiques. Nous sommes également peu présentes dans les domaines politique et économique. Le régime de Bachar Al Assad n’a d’ailleurs nullement favorisé le combat pour les droits de la femme, puisque les autorités ont mis fin à l’activité des associations féministes et ont harcelé certaines activistes. Dans ce contexte, la révolte a été l’occasion de se libérer de ce carcan : beaucoup de femmes sont descendues dans la rue. Certaines ont même participé aux quelques manifestations organisées à Damas. Et des mères de familles participent aussi, indirectement, en encourageant leurs enfants à sortir manifester.

Je ne vois pas en quoi la mise en place d’un État islamiste pourrait être pire pour nous que le régime syrien actuel, dont la répression est une négation de notre droit à la vie. Mais, personnellement, je ne crains pas une percée des salafistes. Le tissu social du pays est divers [70% de musulmans sunnites et des minorités chiite, chrétienne et kurde] et les Syriens rejettent la violence par nature. Si l’avenir de notre pays passe par le vote, j’ai confiance."

 

"Heureusement que nous ne sommes pas seules dans cette lutte. Beaucoup d’hommes nous soutiennent."

Amel Ben Attia est artiste peintre. Elle vit à Tunis.

Le fait que nous soyons des femmes a été un élément secondaire durant la révolution. Nous étions tous logés à la même enseigne. Les matraques et les balles des policiers ne faisaient pas de différence entre les sexes. Par ailleurs, il ne faut pas se laisser avoir par l’image de la femme émancipée exportée par le régime de Ben Ali. C’était du féminisme d’Etat, le régime utilisait la question du droit des femmes pour faire sa propre promotion sans jamais vraiment le faire évoluer. Nos acquis datent pour la plupart de l’époque d’Habib Bourguiba [premier président tunisien].

Ben Ali parti, nous continuons à sortir dans la rue pour défendre ces acquis. J’étais devant l’Assemblée constituante aujourd’hui pour dire au gouvernement [essentiellement composé d’élus du mouvement islamiste Ennahda] que nous sommes déterminées à défendre nos droits. Il y a des lignes rouges auxquelles on acceptera jamais que l’on touche comme le Code du statut personnel [CSP - instauré le 13 août 1956, au lendemain de l’Indépendance] qui, entre autres, interdit la polygamie et a instauré une âge minimum pour le mariage. Nous continuerons aussi à nous battre pour maintenir notre droit à l‘éducation et au travail. Heureusement que nous ne sommes pas seules dans cette lutte. Beaucoup d’hommes nous soutiennent."