Élection présidentielle au Yémen :"Ce n’est rien d’autre qu’un jeu de chaises musicales"
Les Yéménites sont appelés aux urnes mardi pour "bâtir un nouveau Yémen". Mais pour cette première élection depuis le soulèvement du peuple début 2011, seul un candidat est en lice : Abd Rabbo Mansour Hedi, vice-président d’Ali Abdallah Saleh. Et l’opposition d’hier oscille entre la colère et la volonté de tourner la page.
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Manifestation contre les élections à Aden, dans le sud du pays, lundi 20 février. Sur la pancarte, on peut lire : "En participant à ces élections formelles, tu participes à maintenir les corrompus en place, à enterrer la révolution vivante et à tuer sa jeunesse".
Les Yéménites ont été appelés aux urnes ce mardi pour "bâtir un nouveau Yémen". Mais pour cette première élection depuis le soulèvement du peuple début 2011, seul un candidat était en lice : Abd Rabbo Mansour Hedi, vice-président d’Ali Abdallah Saleh. Et l’opposition d’hier oscille entre la colère et la volonté de tourner la page.
C’est sans surprise qu’Abd Rabbo Mansour Hedi a été élu hier président intérimaire du Yémen. Ce dernier devra assurer la transition du pouvoir pendant deux ans. Un vote aux allures de référendum puisque, parmi les différentes candidatures, seule celle du vice-président a été retenue par l'Assemblée des représentants.
La tenue de cette élection présidentielle avait été décidée en novembre dernier lors de la signature de l’accord de Riyad résultant de la médiation des pays du Golfe. Le texte, signé par le président déchu Ali Abdallah Saleh et la "rencontre collective", une coalition réunissant les principaux partis d’opposition, prévoyait, entre autres choses, le départ du président sans que ni lui ni les membres de sa famille, dont certains occupent toujours des postes clés notamment dans l’armée, ne puissent être jugés.
À Aden, dans le sud du pays, la journée de vote a été émaillée de violences dès l’ouverture des bureaux. Vingt d’entre eux ont été fermés suite à des attaques perpétrées par des séparatistes.Plusieurs jours avant le scrutin,les manifestations anti-élections s’étaient multipliées dans la ville et avaient été violemment réprimées par les forces de l’ordre. Au nord par contre, c’est dans une ambiance festive que les électeurs se sont rendus massivement aux urnes.
Manifestation contre les élections lundi 20 février à Aden.
"Ces élections ne représentent qu’une partie des Yéménites"
Mariam Hussein Aboubaker al-Attaf, 40 ans, est professeur au lycée de Al-Hodeida. Elle fait partie de la frange de l’opposition qui a rejeté l’accord de Riyad.
Je boycotte ces élections qui n’ont rien, à mes yeux, d’un processus démocratique. Voter pour un seul candidat, c’est ça la démocratie ? Les opposants indépendants [ceux qui ne font pas partie de la "Rencontre collective"] que nous sommes ne sont pas les seuls à refuser cette mascarade. C’est également le cas pour les Houthis [indépendantistes chiites du nord-ouest du Yémen] et pour les séparatistes du sud [basés à Aden, le mouvement indépendantiste sudiste a appelé au boycott du scrutin et l’aile radicale du mouvement a proclamé mardi une journée de "désobéissance civile".] Ces élections ne représentent donc qu’une partie des Yéménites. Elles sont exclusivement celles du Congrès général du peuple [le parti d’Ali Abdallah Saleh] et de la Rencontre collective, autrement dit des partis qui sont déjà au pouvoir. Mais tous les autres en sont exclus.
Ce n’est qu’un jeu de chaises musicales : on nous change Saleh pour son vice-président Mansour, mais le système lui est bien en place. Ce n’est pas pour cela que nous sommes sortis dans la rue. Nous voulions un réel changement.
Si ces élections ont lieu, c’est également à cause des pressions américaine et saoudienne [dont la médiation a permis les accords de Riyad. Les élections se déroulent sous l'égide des Nations unies (ONU) et du Conseil de coopération du Golfe (CCG)]. Et nous refusons cette ingérence. D’ailleurs, nous comptons organiser une marche le 25 février qui partira d’Al Hodeida vers les frontières avec l’Arabie saoudite pour dénoncer la politique du royaume saoudien à notre égard."
"Ce vote c’est l’occasion de tourner la page des violences"
Ahmed Abbas Al Bacha était un militant d’opposition à Taëz. En novembre dernier, il rejetait l’accord de Riyad mais aujourd’hui, il fait partie des observateurs qui veilleront au bon déroulement des élections.
Je suis allé au bureau de vote ce matin [mardi] à Taez pour recevoir les instructions nécessaires au bon déroulement du scrutin. En sortant de là-bas, j’ai vu une petite manifestation d’une centaine de personnes contre les élections. Mais j’ai aussi vu beaucoup d’habitants aller très tôt faire la queue devant les bureaux pour voter.
Il est vrai que ces élections ressemblent davantage à un référendum car il n’y a qu’un seul candidat. Et il est vrai aussi qu’elles sont en désaccord avec la Constitution qui exige qu’il y ait au minimum deux candidats pour la tenue d’une élection présidentielle. Mais je pense que la situation très particulière dans laquelle nous nous trouvons aujourd’hui justifie cette exception. Notre principal souci est de sortir de la crise et de tourner la page des violences qu’on a connues jusqu’à maintenant. Alors que j’étais contre l’accord de Riyad il y a quelques mois, je me suis rendu compte qu’il n’y avait aucun autre moyen d’avancer et qu’une moitié de solution vaut mieux que rien du tout. Les Yéménites doivent aujourd’hui voter pour faire en sorte pour que la transition se déroule dans les meilleures conditions. Autrement, nous raterons encore une fois l’occasion d’apporter un véritable changement à ce pays.
Il est vrai que les proches de Saleh sont encore au pouvoir dans certains domaines, notamment celui de la défense [le fils même de Saleh a procédé à une purge de la garde républicaine en décembre dernier]. Mais nous comptons sur le nouveau président pour faire appliquer toutes les clauses de l’accord de Riyad, dont celle qui stipule que les membres de sa famille doivent se retirer du pouvoir. Par ailleurs, nous comptons sur les soldats déserteurs, qui ont aujourd’hui réintégré l’armée, pour impulser une réforme des institutions."
Blessure d'un manifestant à Aden le 21 février.
Cet article a été écrit en collaboration avec Sarra Grira, journaliste à France 24.